Collation à Bercianos del Real Camino

[Avant tout, un petit aide-mémoire: Real Camino signifie chemin royal, n’est-ce pas? 😉 ]

En sortant de La Bastide du Chemin, où je m’étais arrêté à Sahagun, pensant qu’on y parlerait français (pas du tout le cas! Très gentil pareil), j’ai de nouveau dépassé Sergio, l’Italien qui utilise son parapluie comme bâton de marche. Chaque fois, je le salue en l’appelant par son nom, chaque fois on dirait qu’il n’entend pas… « ¡Ola! » suffira la prochaine fois.

Sortie de la ville par un joli pont, puis… ça se corse: je suis suivi par un essaim de jeunes Américains qui parlent fort et font du bruit avec leurs bâtons. Argh. Bon, mon pied gauche, tu ne voudrais pas revenir en forme, juste un peu, comme pour pouvoir aller 1 ou 2 kmh plus vite? Non? Alors, en échange, vas-tu vouloir aller plus loin, aujourd’hui? On verra? Bon, d’accord, tu veux que j’écoute… Bien…

[Note: je me prends « live » un second café, pour continuer d’écrire… Il est bon!]

Alors, j’écoute, sur le petit chemin qui longe la route.

[Miam! Un deuxième biscuit avec le second café!]

Donc, j’écoute…

[…]

-And what happened?

-He cheated on her!

[…]

-It’s her dad, but still, I don’t find it necessary to remain angry like that…

[…]

-Yeah, they’re getting engaged. She’s from Poland or something[…]

Puis la conversation vient sur l’attentat de Londres, ce matin; je ralentis: il est question d’amis ou de parents qui sont dans la ville ou les environs, puis… Pourquoi des gens feraient de pareilles choses, puis…

-ISIS, what does that stand for?

[…]

-Yeah, there was a full episode of [pas entendu le nom de la série] that was about that!

Zut! Ils prennent leurs informations dans les séries télévisées!

Et ils se mettent à parler de séries télé!!! Quand passe telle série, ah, mardi, je l’écoute sur CBS… Ils sont totalement connectés à la télé américaine!

Puis cette perle:

-Oh, I don’t know what it’s all about but the title sooo much turns me on!

Puis ils se mettent à parler de Games of Throne et de Guitar Hero…

Et j’ai envie de m’arrêter et de leur dire de sortir de leurs coquilles et de vivre dans le vrai monde, deux semaines dans leurs vies, de parler espagnol au-delà de Ola, una cerveza por favor, donde esta el bagno, muchas gracias…

Bon, Nicolas, calme-toi, ne va pas faire ton mononcle… fous-leur la paix, tu ne gagneras rien à les antagoniser.

Nous arrivons à une intersection où il y a un panneau qui dit qu’on peut aller par ici ou bien par là. Peintes au sol, une flèche par ici, et une par là. Ce n’est pas plus clair qu’il faut.

[J’en reviens encore à peine d’être parti pour ce voyage sans carte fiable!!! Moi qui naviguais à travers la France, l’Italie, l’Espagne, pendant les voyages de ma jeunesse!…]

Je retourne au coin voir la grande carte et croise le groupe: quelques garçons et filles genre fin CEGEP ou début bac… qui me disent ola en passant…

Ils prennent par là; ça règle la question, je prends de l’autre côté. Une flèche plus loin, je vois écrit « Francés » sur la chaussée, après la flèche. Cadeau du Camino, merci!

Une minute et demie plus tard, deux cylistes me dépassent, un jeune homme barbu casqué et une jeune femme cagoulée, casquée et tout, je ne vois que ses yeux et ses sourcils noirs et son sourire éclatant:

-You are the only one that chose the right way! They all went the wrong direction! [avec un geste vers le viaduc qui enjambait l’autoroute]

Je n’ai que le temps de lui crier merci. Son sourire illumine encore ma matinée. Les cadeaux du Camino sont surprenants, mais toujours précieux.

Passage le long de, puis sous, une voie ferrée… Pas de passage à niveau, viaduc, emprise et talus tout neufs, clôture intégrale, rayon de virage très large; on dirait une ligne à haute vitesse… J’aimerais voir passer un train… Quinze minutes plus tard, autre cadeau du Camino: un train, tout petit, deux motrices et trois wagons, à haute vitesse, oui.

Puis, à Bercianos, je dépanne Gabrielle (une Australienne qui a travaillé deux ans en Angleterre et tout lâché pour pouvoir prendre de vastes vacances et voyager en Europe), juste parce que je sais quelques mots d’espagnol. Elle me reconnaît pour m’avoir vu écrire avec le petit clavier. Elle note l’adresse de mon blogue: elle était fascinée par le peu que je lui ai raconté de ma rencontre avec le groupe de jeunes Américains.

En tout cas, cette conversation « normale » m’a fait beaucoup de bien.

English digest: if you are American, come have a look at the world outside of MSNBC, CNN, Fox… It is beautiful.

Fin de café à Sahagun (4 juin 2017)

… Entendre parler du retrait des États-Unis du protocole de Paris, et d’un attentat à Londres…

Repenser à Manuel et à son message de paix, d’entente et de fraternité.

Avoir un peu envie de pleurer…

English digest: Manuel will explain everything one needs to know; remember to see him on the way.

Les toilettes du Camino… (Sahagun, 4 juin 2017)

HIer, tout occupé par mon drame interne en repensant à Incendies, j’ai oublié de revenir sur ce que j’ai vu à deux albergues dans deux villages successifs…

Je parlais dans un billet précédent des minuteries des lumières des salles de bain, qui sont généralement toujours trop courtes… Hier, donc, j’ai vu ce qui m’a semblé un sommet du vice: le commutateur de la minuterie était en-dehors de la salle de bain! Même pas eu le temps de me laver les mains avant la fin de l’éclairage!

– – –

Je dis souvent à mes élèves que le violoncelle est une métaphore de la vie, exemples à l’appui. Gaël va dire à ses élèves que le yoga est une métaphore de la vie, exemples à l’appui. Je vais ajouter que le Camino est une métaphore de la vie… Il y a des moments d’une élévation magnifique, comme tous ces instants où nous, les voyageurs, avons sous les yeux à quel point notre planète est un endroit magnifique… Et en même temps, des considérations du plus terre-à-terre comme quand et où manger, faire la lessive ou soulager nos besoins naturels…

On peut même combiner le terre-à-terre et l’élevé en faisant de la philosophie pratico-sémantique: par exemple, comment caractériser l’empirique, le dogmatique et le pragmatique?

C’est simple: le dogmatique va à la toilette à 5h30 le matin après avoir lu quelque part que c’est la chose à faire… L’empirique y va quand ça se présente et peut parfois pester contre les files d’attentes… Le pragmatique va à la toilette à 5h30 après avoir observé que nous sommes 20 ou 30 dans l’albergue et qu’il n’y a qu’une seule salle de bains à l’étage, pour tout ce monde (la salle à manger est encore fermée donc les toilettes attenantes ne sont pas disponibles)! L’évolution entre l’empirique et le  pragmatique se fait assez vite.

… J’avoue que, lorsque je lisais la description des albergues dans mon guide, je ne comprenais pas l’insistance du signalement des nombres de douches et de toilettes en regard du nombre de lits disponibles. Maintenant, c’est clair!

Déjeuner à Sahagun (dimanche 4 juin 2017)

Levé très tôt, plié mon linge pas vraiment totalement sec, parti à 6h06, revenu parce que j’avais oublié de déposer la clef (…), reparti à 6h13, traversé San Nicolas del Real Camino sans m’arrêter, sinon pour une photo…

Dans un sens, j’aurais aimé dormir ici! Mais je n’aurais pas eu l’extraordinaire entrevue avec Roberto, hier soir… Et je doute que mon pied gauche aurait accepté les km supplémentaires, hier soir…

Donc, pas arrêté… Première albergue: semble trop chic, trop nouvelle, bah… seconde, n’est pas sur le chemin… troisième… n’existe pas, tiens, le village finit ici. Ben coudon, Sahagun ce sera.

Marche en solitaire un bon moment, puis en vue de Sahagun, quelques mots puis quelques pas avec Gordon, Anglais récemment retraité, à la faveur d’un détour vers un ermitage.

Il faisait 10 degrés et venteux lorsque je suis parti. La tortilla con patatas et le café sont bienvenus!

English digest: back on line and back on the way.

Histoire de Roberto et Adriana (Moratinos, 3 juin 2017)

Juste comme j’écrivais que j’étais curieux de son histoire, Roberto est apparu et est venu me parler. Il était intrigué par mon clavier; je lui ai parlé du cadeau de ma mère à mon père, qui est devenu un cadeau pour moi suite au décès de mon père. Il m’a dit que justement, son père avait été malade lors de son premier Camino, il y a vingt ans, et était mort peu de temps après.

Il m’a surpris, ensuite, en me disant que j’étais une des quatre personnes qu’il avait retenues de son voyage jusqu’à maintenant, en compagnie de trois autres Italiens! Juste parce que nous avons parlé de musique!?

Il a accepté de me raconter son histoire; je vais la rendre du mieux que je puis.

Roberto est professeur de gymnastique; il a étudié à l’ISEF de Lombardie, à Milan. Il a un fils de 40 ans et une petite-fille de 8 ans.

Roberto n’était pas convaincu par la spiritualité de l’église catholique, ni par l’hindouisme, ni par le bouddhisme, ni par le soufisme, par rien, finalement. Il manquait toujours quelque chose.

Finalement, il a assisté à la première conférence de spiritisme…

(Il m’explique la pensée spiritisme, qui repose sur un principe de réincarnation qui me fait sérieusement penser à la foi des Cathares, que j’avais apprise pendant mes étés cordais, sauf que les mauvaises vies ne donnent pas lieu à des réincarnations en animaux… pour un résumé, voir Le nom de la Rose, où le tout est assez bien expliqué. Autrement, la référence française est Allain Kardec.)

Donc, il assiste à la première conférence de spiritisme à Natal. Il a rencontré la crème de la crème du spiritisme et a commencé à l’étudier et à s’impliquer comme bénévole. Il est resté au total onze ans au Brésil.

Après deux ou trois ans, il a rencontré Adriana, et ils ont d’abord été patients, puis ont travaillé ensemble dans deux centres de spiritisme: un de magnétisme, suivant et amplifiant la tradition française, et un de chirurgie spirituelle, le centre Francesco di Assisi, à Ceara Mirim.

(Adriana a 7 frères et 5 sœurs, nés dans la campagne pauvre près de Natal, sa mère est morte jeune, presque à la naissance de son dernier enfant. Son père travaillait sur une ferme, il est mort lui aussi peu de temps après; les plus grands s’occupaient des plus petits Ils sont tous partis, chacun leur tour, vers la ville pour trouver du travail.)

Cependant, il y a une grande différence d’âge entre eux, de l’ordre de 42 ans. Roberto a 70 ans, Adriana presque 28. Roberto ne voulait pas accepter l’amour qu’il ressentait. Après trois mois de fréquentation, lorsqu’ils sont venus en Italie, Roberto a consulté un psychologue. Un premier psychologue devait l’écouter, mais Roberto a été malade, incapable de se rendre au rendez-vous. Un second rendez-vous a été pris, avec une psychologue, Madame Castagnetti. Elle a écouté Roberto et Adriana pendant 20 minutes, puis a démoli les peurs de Roberto en lui disant de ne pas se cacher. Alors, il a accepté la situation.

Ils ont fait ensemble un tour du Brésil à moto, 11 000 magnifiques kilomètres, en 2014. En 2015, Roberto a eu un accident de moto et le bras gauche fracassé.

Ici, les récits divergent: Roberto dit que c’est avant l’accident, Adriana dit que c’est après, mais Roberto a eu l’idée de créer un centre de spiritisme dans son patelin, Villafranca di Verona. Il voit une lacune importante dans la connaissance du spiritisme en Italie du nord.

Ils étaient encore très liés au Brésil, ce qui explique que ça ait attendu si longtemps. Mais la présidente des spiritistes italiens, Regina Zanella, et la présidente des spiritistes des États-Unis, lui ont donné l’impulsion de créer le centre, « c’était presque un ordre ».

Alors, il a mis en vente ce qu’il avait construit au Brésil, une vaste maison près de Natal, et est retourné en Italie avec Adriana. Il y est retourné aussi un peu pour se rapprocher de sa vieille mère (il a un frère et une sœur, laquelle s’intéresse au spiritisme alors que le frère, pas du tout!)

Le projet original était de passer une partie de l’année au Brésil, l’autre en Italie, mais ce n’était pas pratiquement envisageable.

(Roberto me raconte qu’à 18 ans, il a rêvé de vivre à un endroit où il serait à l’abri de l’hiver humide et gris du nord de l’Italie; pendant 11 ans, c’est ce qu’il a fait!)

Le projet de centre de spiritisme, qui devrait devenir un foyer de la discipline, est encore tout entier dans son esprit, mais il compte bien entamer sa réalisation l’an prochain.

Pour vivre en Italie, Roberto et Adriana, qui sont liés spirituellement depuis 7 ans et demie, se sont également mariés légalement en janvier dernier.

L’idée du second Camino est venue à Roberto peu de temps avant leur voyage vers l’Italie pour y vivre.

As I wrote earlier, english digests are off line today. See you soon!

De Carrion de los Condes à Moratinos (16e étape, samedi 3 juin 2017)

… Que rajouter sur ce que j’ai déjà dit? Je crois avoir oublié, du point de vue du chemin, qu’alors qu’hier j’ai longé le Canal de Castille, ce matin je marchais sur le tracé de la Via Aquitania, oui, une ancienne voie romaine.

Évidemment, les arbres ne sont pas d’époque; le gravier non plus… Je crois qu’il ne reste vraiment que le tracé rectiligne.. Très rectiligne!

J’ai laissé Andrea et Nathalie-la-rapide à terradillos de los Templarios et ai continué un village plus loin; je pensais revoir Daniel et Ana, qui m’ont dépassé pendant mon café à Ledigos, mais ne les ai pas vus.

(Nathalie et Andrea)

Aussi, Andrea m’a dit qu’il y avait une église Saint-Nicolas ici; je vais aller y jeter un coup d’œil après ma bière d’étape.

À la place d’Andrea, Nathalie, Daniel ou Ana, je suis dans la même chambre que Salvatore et Adriana; lui, Italien de Vérone, 70 ans, prof de sport et elle, Brésilienne de, quoi, 24-25 ans? Je ne connais pas leur histoire, mais ils partagent le même lit. Dans un sens, je suis curieux, et ça fait plusieurs jours que nos chemins se croisent… mais Salvatore parle vite et je ne comprends pas toujours ce qu’il dit… Et Adriana (ou Diana, selon les jours), j’ai à peine entendu sa voix.  Enfin, nous verrons bien.

Parlant d’étapes… j’ai probablement franchi la moitié de mon voyage, maintenant… Ça fait un peu drôle d’y penser.

Correction: c’est Roberto, pas Salvatore, pardon! Et il est venu me rejoindre juste comme j’écrivais ceci. Je vais avoir son histoire sous peu…

English digest: walking on a Roman way is a straight through business.

Café à Ledigos (3 juin 2017), suite

Après le café et la vague de tristesse de tantôt, Nathalie et Andrea se sont assurées, chacune à sa façon et à son moment, que j’étais correct, puis nous sommes repartis.

Quelques pas avec Andrea, qui me parle de ses enfants partis du nid, puis de Schubert et de Satie (qu’elle joue au piano)…

Puis, marche solitaire… Pensées supplémentaires sur la pièce, sur la vie, sur Logical Song…

J’ai peur de ce que je trouve… Je l’accepte, pour le moment; je prends un caillou sur le chemin…

English digests are off line for the time being.

Café à Calzadilla de la Cueza (3 juin 2017), suite

Andrea nous raconte les visites à son urgence de cette Syrienne, fin quarantaine, qui fait des crises d’épilepsie sans être épileptique… crises causées par une dissonance au cerveau; elle parle des marques de menottes aux poignets, des brûlures dans le dos…

J’essaie de parler d’Incendies, ce printemps, et me mets à pleurer…

Statut dédié à ma tante Marie-Dominique et à ses excellents comédiens et son excellente équipe.

J’ajoute à la dédicace Luc, pour la belle chanson, Louise, Emmanuèle Et Karine pour la permission de l’utiliser, et enfin Wajdi Mouawad pour la pièce.

No english digest.