Songe d’une nuit d’été (Harrington, 14 juillet 2017)

Je partage une gig de mariage à St-Sauveur avec Karen. Elle a un chalet dans le nord, pas très loin de là, chalet dont elle m’a parlé plusieurs fois au cours des années. Je propose qu’on se retrouve à St-Sauveur pour dîner avant la gig, Karen propose bien mieux et m’invite à son chalet, la veille et le soir de la gig. Merci beaucoup!

Le chalet est sur le bord du même lac où se trouve le camp musical Cammac, et un des arguments de Karen a été de me dire que le quatuor Saguenay (anciennement Alcan) allait jouer le vendredi soir en question.

La route pour s’y rendre est bien belle, mais sortir de Montréal à l’heure de pointe est une épreuve. Je finis tout de même par arriver presque en même temps que Karen et ses trois fils.

Arrivés vers 18h45, nous descendons la petite côte entre le stationnement et le chalet, simple et rustique. Souper rapide sur le balcon-terrasse puis c’est l’heure d’aller au concert. Mon vrai récit commence ici…

… parce que le moyen d’aller au concert, c’est le canot. Cammac est dans la deuxième baie à gauche, du même bord du lac. Gilet de sauvetage, pagayes, nous partons; Karen dirige, je rame de l’avant. Traversée rapide, d’une douzaine de minutes, amarrage à l’escalier, là où il y a déjà plusieurs barques.

Montée à travers le camp musical (c’est ma première visite à Cammac!), arrivée à la grande nouvelle bâtisse, le concert va commencer bientôt; Karen croise de ses amies, nous sommes invités à faire de la musique de chambre après le concert! À suivre…

Concert. Ce n’est pas Alcan (euh, Saguenay) qui ouvre le bal, mais presque: il n’y a pas de premier violon mais une flûte, tenue par Josée Poirier; le reste de la formation, Nathalie Camus au violon, Luc Beauchemin à l’alto et David Ellis au violoncelle, ressemble plus à ce à quoi je m’attendais. Mozart, un quatuor avec flûte… Nouvelle pièce pour moi; c’est joué avec élégance, sobriété… Je remarque les dialogues entre l’alto et le violoncelle… sans totalement reconnaître le son de Luc, j’apprécie la « bass attitude » si présente dans son jeu. J’aimerais que mes élèves puissent entendre ça. Le numéro du catalogue Köchel de ce quatuor m’a échappé, mais j’ai une impression de pièce de relative jeunesse. À réécouter.

Ensuite, Marie-Annick Béliveau, accompagnée par Myriam Bernard, présente un cycle de 12 lieder de Schumann. Encore du nouveau: c’est la première fois que j’entends du Schumann chanté. Première impression: ça semble plus « simple » comme écriture que la musique de chambre impliquant des cordes. Les atmosphères (romantiques allemandes, cela va de soi) sont fort bien et finement rendues. Je suis particulièrement frappé… ça peut sembler un détail, mais la dixième pièce (il me semble) se termine par un saut d’octave descendant, à la voix; je suis frappé, estomaqué, devrais-je dire, par la propreté et l’élégance du saut vocal de Marie-Annick; ça me laisse presque la même sensation de léger vertige que lors d’une descente imprévue sur la route! Tout était déjà beau, mais j’ai eu, là, l’impression d’un moment de perfection.

Pour finir, Josée et Myriam reviennent avec Martin Mangrum pour jouer un trio de Beethoven pour flûte, basson et piano. Encore quelque chose que je ne connaissais pas. Ça sonne jeune et frais, certainement une œuvre de jeunesse, avant que Beethoven ne soit devenu sourd. Le finale est un thème et variations; entre deux variations, la pianiste s’exprime sur le sujet de la variation suivante au bénéfice de son tourneur de pages (Luc, soit dit en passant), et on comprend vite pourquoi: il y a des tas d’arabesques en multiples croches à la main droite, un vrai feu d’artifices! que Myriam transforme en moment de poésie. Chapeau. Au total, une autre œuvre à réentendre.

Après le concert, je revois, dans l’ordre, Luc, Nathalie et David, qui, tous les trois, hésitent un moment avant de me reconnaître; la barbe, peut-être? Première révélation: Luc ne jouait pas avec son alto habituel. Ok, ça explique ma demi-reconnaissance de tantôt. Seconde révélation: le même Luc va jouer dans la lecture de musique de chambre. Troisième révélation: quelqu’un prête un alto à Karen et quelqu’un d’autre me prête un violoncelle, donc pas besoin de retourner au chalet pour prendre nos instruments. Ça tombe bien, il est déjà autour de 23h.

Nous nous retrouvons au sous-sol avec une violoncelliste que j’avais peut-être déjà vue, une altiste que j’avais certainement déjà vue (moi et ma mémoire de noms!), à attendre les deux violonistes pour lire le premier Sextuor de Brahms, que j’ai joué il y a, ciel! plus de trente ans! aux Petits Violons, avec Philippe Müller comme premier violoncelle… et rejoué quelques années plus tard, ça doit quand même faire au moins un quart de siècle, aux mêmes Petits Violons, avec, cette fois-là, Mathieu Perreault (aujourd’hui à La Presse) comme second violoncelle. Pendant que je tente de m’habituer à ce violoncelle plus grand que le mien (comme c’est presque toujours le cas!), Luc et son compère tardent à venir, mais Luc moins que l’autre, alors, après avoir tenté en vain d’attirer l’autre violoniste en jouant le Scherzo du Sextuor, la violoncelliste va chercher ses cahier pour que nous puissions jouer le Quintette à deux violoncelles de Schubert, à la place… Pour celui-ci, je fais violoncelle deux, si, si, j’insiste! La partie de basse/bass drum est vraiment trop rigolote 🙂

Nous partons; Luc, premier violon, est assis en seconde place… Je fais tout arrêter et reprendre, une fois que les deux violons sont à leurs places « normales »; j’ai senti que j’aurais cherché le premier des yeux pendant tout le mouvement…. J’ai une amie qui dit que je suis psycho-rigide; elle a peut-être raison, finalement…

Comme nous en arrivons au milieu du mouvement, l’autre violoniste se pointe, finalement. Il attend sagement, littéralement assis dans son coin, que nous ayons terminé le mouvement pour que nous passions à Brahms. Luc et moi sommes tout de même perturbés de jouer le premier mouvement du Quintette de Schubert sans jouer le deuxième… Un peu comme commencer la soirée avec une personne de rêve, qui s’en irait juste comme ça commençait à être bon… Oui, oui, même en lecture « scrap » à des heures pas possibles (ça me rappelle ma jeunesse, lorsque nous lisions tard dans la grande maison, avec des amis de passage, sans déranger les voisins), ce quintette est une œuvre magnifique… Surtout le deuxième mouvement, à mon avis, mais bon, gnarf…

Enfin, Brahms, c’est pas d’la schnoutte non plus, alors ok, on change de compositeur et de formation; je me retrouve premier violoncelle, et en charge du premier thème… Ah, ça aussi, c’est beau… et du deuxième thème, ah, c’est beau aussi 🙂

Second mouvement, le thème et variations, qui commence par le magnifique thème exposé au premier alto; l’altiste proclame, avec raison (à mon avis) que c’est parmi les plus beaux thèmes à l’alto du répertoire. Séries de variations, reprise du thème au violoncelle pour la conclusion… Aaaah, Brahms…

Puis il est tard, la première altiste dit que le prochain mouvement va être son dernier; nous refaisons le scherzo du Brahms, nettement mieux que la première fois: normal, nous sommes plus réchauffés, et cette fois-ci il ne manque rien.

Et nous nous arrêtons, sans faire le quatrième mouvement. Luc et moi nous exclamons, encore, sur cet incroyable moment de vie où nous aurons joué un mouvement seulement du Quintette de Schubert, et trois mouvements seulement du premier Sextuor de Brahms! Mais bon, ne boudons pas notre plaisir de faire vivre cette superbe musique.

C’est bien beau tout ça, mais maintenant il est minuit, il faut rentrer… en canot, sur le lac, par nuit noire… Autre moment splendide, nous naviguons un peu vers le large, pour éviter les roches, puis vers le chalet de Karen, en évitant aussi le petit quai des voisins. Il n’y a de son que le bruit des pagaies, la turbulence du sillage de l’étrave du canot et nos voix lorsque nous chuchotons sur le lac. C’est à ce moment que me vient à l’esprit le titre de ce billet, qui aura attendu longtemps sa rédaction.

Rendus au chalet, deux voisins, père et fils, ont rejoint les fils de Karen autour du feu de camp; ils seront bientôt suivis par deux autres, maître et chiot (un mélange labrador et bulldog, noir comme la nuit). Bière, rosé, puis dodo…

… Le lendemain, il restera le mariage, avec la route dans les collines, l’église de Saint-Sauveur, Ghislaine Néron, la pianiste/organiste/chanteuse qui a l’air d’une retraitée « normale » lorsqu’on la croise avec son petit chien… mais attendez qu’elle se mette à chanter! Changement d’opinion garanti! Belle voix chaude, claire, juste… Puis le cocktail dans l’auberge introuvable pour toutes les applis de navigation! Et pourtant, elle est à deux pas!!! Puis le retour, la baignade dans le lac aux eaux agréablement tièdes, le tour du lac dans le canot à moteur du fils aîné de Karen (il a restauré le moteur lui-même et en est fier; Karen, qui pourtant ne raffole pas des moteurs sur son lac, est tout de même fière de son fils); puis l’aîné qui montre à ses deux cadets et à des enfants du voisinage comment faire le DJ avec une console démo; puis le gâteau pour l’anniversaire du cadet; puis le feu de camp, encore, mais je ne ressors pas ce soir: après ces deux journées (je n’ai pas dit que le vendredi, avant tout le reste, j’ai fait le cours de secourisme que j’avais décidé de suivre pendant mon voyage…), je tombe de sommeil. C’est simple, je n’ai pas entendu lorsque Karen et ses fils sont rentrés.

(Ce billet est dédié à Karen, évidemment. Merci beaucoup pour cette invitation et pour toutes ces années à partager des gigs et de la bonne humeur)

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