Ravel, Rubinstein (Bach, Arrau, Heifetz, Piatigorsky…) et notre temps, Montréal, dimanche 27 août 2017

… Ben oui, je réécoute Rubinstein dans les Valses nobles et sentimentales, mais aussi dans le Trio et La Vallée des cloches, extraite des Miroirs ainsi que dans la Forlane extraite du Tombeau de Couperin. Ben oui, il y a quelque chose de la drogue dans le fait de pouvoir réécouter plein de fois, presque en boucle, une musique particulière. Le fait que je tombe dans le piège moi-même ne m’empêche pas de dénoncer, de la même voix, que c’est bien d’un piège qu’il s’agit: « normalement » [comme s’il pouvait encore y avoir là une norme, après plus d’un siècle d’enregistrements et, disons, autour de trois-quarts de siècle de poussée massive pour transformer la musique d’acte essentiel en marchandise commerciale comme une autre…], « normalement », disais-je avant de m’interrompre moi-même [mes excuses renouvelées à tout le monde à qui je coupe la parole dans la vie!], « normalement », tout ça « n’aurait dû » n’exister qu’une fois… Enfin, disons qu’à l’époque d’avant le prodigieux XIXe siècle, pour enregistrer une image, il fallait quelqu’un très rapide du fusain ou du crayon, ou alors un temps de pose qui se comptait en minutes, voire en heures, devant le chevalet de l’artiste-peintre ou -sculpteur; pour le son, il n’existait carrément rien du tout, si ce n’est une excellente mémoire.

Puis, des gens ont trouvé moyen d’enregistrer des images, d’abord fixes, puis mobiles, et des sons, et même de combiner les deux ensemble. La relation entre l’humanité et le temps a commencé à changer, et comme la musique est essentiellement un art du temps, ben la relation avec la musique allait forcément changer tôt ou tard…

Il y a eu les enregistrements, bien sûr, des premières vedettes du disque, bien sûr… Que je sache, ça a commencé avec Caruso, ce qui est quand même très intéressant. Avec lui, quelques grands noms de la musique de la fin du XIXe siècle, puis tous les grands noms du XXe.

Alors est venue la surenchère. Il « fallait » avoir entendu Untel et Unetelle, puis leurs secondes, voire tierces versions, puis comparer (et apprendre, tout de même), puis faire mieux, et plus vite… Et perdre la trace de tout ce qui était dû à la technique dans le résultat final qui nous était (est) livré… Parce que oui, les vieux enregistrements grincent parfois, chuintent, craquent, sonnent comme bizarre, mais ils avaient le mérite d’être réalisés d’un coup, restant plus proches de l’acte, du geste de « faire » de la musique.

Puis la technique a changé… Il fallait bien faire racheter tout un matériel par bien du monde, allez! Alors, hop! à la rue les pianos mécaniques (ben oui, les rouleaux de piano, c’est un mode d’enregistrement de la musique, quoi…), les phonographes (à rouleaux) et les phonographes (à disques) avec leurs pavillons, il y a eu des lecteurs de disques à amplification électrique sur lesquels jouaient des disques à 78 tours par minute, puis à 33 tours, dits « haute fidélité », puis en stéréophonie, puis aussi des 45 tours, puis aussi des cassettes dites Philips, mais aussi les bandes huit pistes…

Car le support avait changé, permettant aussi à la technologie de l’enregistrement d’évoluer: maintenant, plutôt que de graver immédiatement un disque maître, la prise de son donnait lieu à une piste maîtresse sur une bande, un support magnétique. Cette bande, on pouvait la couper. La légende dit que feu Glenn Gould était un des premiers maîtres en ce domaine, enfin, disons, ses monteurs…

(je sais que les gens de ma génération connaissent cette histoire; j’écris aussi pour mes élèves plus jeunes…)

Puis une autre technologie a été développée, issue de l’informatique: l’enregistrement est passé de la captation analogique, où les ondes étaient retranscrites mécaniquement, à une captation numérique, où les ondes sonores étaient (sont encore) converties en signaux numériques lisibles par des programmes informatiques. Outre les mérites respectifs des différents modes, je rappelle tout ce qu’il a fallu acheter pour s’équiper dernier cri: les versions numériques des microsillons, puis les machines et les disques format compact (les CD, oui), puis les machines DAT (pour les enregistrements), voire les magnétoscopes, puis les minidiscs, puis les disques durs, puis les ordis, puis les lecteurs mp3, puis les cellulaires, puis les tablettes, puis les DVD et les Blu-rays, puis les modems et les routeurs… Et maintenant que tout le monde a jeté ses tables tournantes, il recommence à y avoir des sorties de microsillons!

Les cimetières et dépotoirs technologiques sont tellement pleins que des restaurants se servent de microsillons comme napperons!

Mais mon pamphlet n’est pas contre le gaspillage ni le ravage environnemental (enfin, pas que, disons).

Je note que oui, les enregistrements modernes sont infiniment plus propres, il y a moins d’erreurs ni d’accidents techniques, voire aucune faute de notes…

Mais (ben oui, une chronique de ma part, il y a toujours un « mais »)… Je réécoute le Trio en la mineur pour violon, violoncelle et piano du même Maurice Ravel, dans la version Heifetz Piatigorsky Rubinstein… Oui, ça sonne un peu caverneux, oui, les micros sont plus loin des instruments, non, on n’a pas autant le grain de l’archet, mais… ce qu’il n’y a pas non plus, dans ces vieux enregistrements, ce sont les fautes de goût, qu’on soit d’accord ou pas avec les choix d’interprétation. Ici comme dans ce que je connais de Claudio Arrau (par exemple), ce sont de très longues phrases, des divisions claires des voix, un souffle immense qui parcourt un mouvement entier; les structures sont très claires, évidentes, même. Tout a un sens.

En les écoutant, je n’ai pas du tout envie de leur demander pourquoi ils font de la musique, eux…

Je n’écris pas ça dans le but de passer pour un nostalgique passéiste…

Mais ça me fait penser au combat du bio contre l’alimentaire industriel… Un gourmet français, Jean-Pierre Coffe, écrivait il y a déjà plusieurs années un livre intitulé Au secours le goût, dans lequel il dénonçait l’uniformisation des qualités organoleptiques des aliments.

Comme je le dénonçais dans un de mes billets en voyage (à Villafranca de Bierzo), dans certaine frange de la musique pop, c’est là que nous en sommes: tout sonnait et goûtait pareil, ce matin-là. Le danger nous guette aussi en musique classique.

Ou voulais-je en venir? Il est tard et je perds un peu le fil…

Ah, oui… Nous, musiciens, finissons nos phrases et n’hésitons pas à raconter différemment les histoires, d’un récit à l’autre. Public, venez écouter de la musique en concert; vous aurez le privilège d’assister à un moment unique.

Yoga, Rubinstein et Ravel (et Noireaut), Montréal, vendredi 25 août 2017

Ce matin, pour « célébrer » mon retour à un genre de forme (après deux jours de fièvres, courbatures, maux de têtes et réjouissances du genre… Les virus ne sont pas que dans les ordinateurs, semble-t-il!), je suis allé faire du yoga dans un cours de groupe. Non, non, ce n’est pas avec Gaël; c’est une partie du reliquat d’une petite série de quatre cours, achetée ailleurs (pas loin, géographiquement, même si « idéologiquement » c’est assez distant, mais je vais y revenir), pendant que la Divine était en vacances.

Donc, je me retrouve dans ce studio… Non, je ne dirai pas lequel; je n’ai pas envie de leur faire de la pub, même mauvaise… [Note: je vais prendre mon dernier cours restant, mardi matin prochain, je crois, avec une autre prof]

Au début, la monitrice demande qui a fait le plus de yoga de cette méthode, en jours consécutifs? Réponse, neuf mois… Je demande de préciser si on parle bien de cette méthode ou de yoga en général, parce que la nuance ne me semble pas toujours claire et me fais dire qu’on parle de cette méthode-ci. Alors, je ne dis rien sur mes quatre mois et quelques du début de l’année. La monitrice dit tout de même que les pannes dans la pratique lui semblent inévitables. Je me sens moins seul, joie! Elle demande ensuite ce que ça a apporté aux gens qui le font; une: « quand je ne ne fais pas, rien ne se passe, quand je le fais, tout tombe en place! » Réponse: « Oh, you’re such a marvelous person! » Un autre dit que ça devient aussi nécessaire que de dormir ou manger; je crois que Gaël aimerait ça… Mais bon, on passe à la routine.

Assis, respirer, sans bouger… S’il y a une douleur, l’accepter, l’examiner, ne pas essayer de s’en débarrasser… Détendre tout… [j’ai la jambe gauche qui s’engourdit] Accepter… « J’ai envie d’essayer quelque chose de nouveau, avec les dents: serrez les mâchoires ensemble… »

Dire que Gaël m’a si souvent dit de desserrer les dents… Et que, quelque part dans mon premier (ou deuxième? ou troisième?) jour de marche, en mai, je me souviens avoir  desserré les dents, consciemment, et m’être dit ok, c’est bon, je ne serrerai plus la mâchoire; parce que je m’étais aperçu, quelques semaines auparavant, que oui, je la serrais presque tout le temps! Et là, ce matin, ben quoi, en serrant les dents, même pas très fort, je m’aperçois que je tremble de la mâchoire!

La monitrice dit qu’elle va rajouter un peu de difficulté, mais que ça devrait être envisageable pour des gens qui en sont à leur 9e semaine (je n’en suis qu’à ma troisième, mais bon…): resserrer le plancher pelvien en même temps, et laisser tout le reste détendu. Autour de moi, j’entends soupirer, probablement sangloter, même… Mais la monitrice m’a rappelé à l’ordre et fait fermer les yeux, plus tôt, alors bon… Elle rajoute encore un coefficient de difficulté: sur les dents serrées, plaquer le sourire le plus faux possible…

Pour cet exercice, il fallait être assis sur les talons, mais il y avait une petite liberté accordée, en ce sens que ce n’était pas l’assise qui était prioritaire, mais bien de rester dans ce que nous faisions de nos gueules (je paraphrase largement, évidemment). Au début, j’ai mal aux cuisses, surtout aux quadriceps; je me détends, ça va mieux, je détends les aines aussi… Après un moment, je ne sens plus mes pieds… Problème de circulation, je crois, comme tantôt. Justement, la monitrice est là qui dit qu’il faut laisser circuler… Je sors de la posture, pour les jambes, pas pour les dents.

Elle fait faire d’autres trucs amusants, chien tête baissée, cobra, planche, chien tête levée, chaise, assis sur les hanches, chien tête baissée, planche, baisser au sol sans le toucher, chien tête levée, chien tête baissée, toujours en restant un moment, voire un bon moment, dans chaque position. Ça gémit partout alentour… Elle parle toujours de laisser remonter ce qui doit remonter, de laisser les douleurs s’exprimer, de les accepter, de ne pas chercher à corriger les postures…

Joyeux bébé (je tremble!), genoux sur la poitrine, savasana (des tas de minutes dans chaque cas, sauf le dernier)… puis ding! sur le petit bol, deux, trois fois, mains en prière, et bon c’est fini.

En partant, j’essaie de lui raconter ce que j’ai dit au début sur les dents que je n’avais pas serrées depuis mai, et sur la circulation sanguine qui ne se fait pas comme je voudrais… Elle ne saisit pas trop ce que je veux dire, et insiste encore sur le fait qu’il faut laisser circuler les choses, accepter la douleur, que c’est la seule façon de voir, reconnaître les choses pour éventuellement savoir quoi faire avec…

Et tout à coup, j’ai le sentiment désagréable qu’une limite a été dépassée… Je ne suis pas du tout certain que cette jolie jeune femme qui ne sourit pas souvent (et pas à tout le monde), et peut-être l’organisation dont elle fait partie, ne se contente pas que d’accompagner les gens qui découvrent une douleur… Que peut-être elle, ils, s’occupent de provoquer, susciter ladite douleur? Que peut-être, et c’est un soupçon terrible, elle y prend plaisir? Avant de finir son cours, après la prière, elle a rappelé l’exercice des dents et du faux sourire, qu’elle a donné comme devoir à tout le monde, pour la semaine, après ou avant le brossage de dents du matin, en se regardant dans le miroir, afin de voir mieux de quoi ça peut avoir l’air quelqu’un qui sourit faussement…

Subitement, j’ai l’impression que la personne qui a beaucoup de blessures cachées, c’est elle… Qui a de la difficulté avec les faux sourires, c’est elle (difficulté résolue en ne souriant plus, ce qui, dans un sens, est tout à son honneur)… L’impression que, pour cette personne ou pour cette organisation, il n’y a de blessures que dans la psyché; rien d’ontologiquement physique ou physiologique.

Subitement, je comprends aussi, ou disons que je mesure de nouveau à quel point nous, les profs, avons tendance à enseigner en fonction de nos propres forces et points faibles, et que c’est difficile d’élargir nos palettes d’enseignement, aussi difficile que d’élargir nos palettes de jeu…

J’ai le sentiment que les gens qui ont « trippé » dans ce cours, dans ces cours, cherchent plus que du yoga; que leurs blessures sont assez profondes pour qu’ils cherchent un gourou…

Enfin… Le rapport avec Rubinstein, me demanderez-vous?

Après le yoga et quelques courses chez Segal (bon, je deviens encore plus cancanier que pendant mon voyage!), au retour chez moi, en m’écrapoutissant devant mon ordi, je trouve, relayée par une amie et collègue, une vidéo montrant Arthur Rubinstein, oui, le pianiste Polonais qui a vécu de 1887 à 1982, lors d’une visite dans un magasin Steinway, pendant une tournée de concerts en Pologne en 1967; il y joue sur ce qu’il appelle « son » piano. L’équipe de tournage d’une télévision allemande a eu la permission, après deux heures, de filmer quelques instants de cette visite. Il y a quelques très beaux moments de Chopin, deux ou trois pages de musique fascinante que je ne connaissais pas mais qui est vraisemblablement du Szymanowski, du Schubert, du Chopin encore…

Puis, à la vingtième minute (j’ai été scotché à l’écran depuis tantôt!), un accord que je reconnais… Et l’amorce de la première des Valses nobles et sentimentales  de Maurice Ravel.

Et là…

Oui, ce Ravel, Maurice, dont je parlais la semaine dernière en croyant le connaître, dont j’ai vu un jour, par hasard, la maison natale sur un quai du Pays Basque, dont je croyais aimer tant la musique…

Joué par un pianiste de juste avant mon temps… Dont j’avais entendu parler, mais que je ne connaissais pas, je dois bien l’admettre…

Ou alors, j’ai peut-être, peut-être, déjà entendu une version de ce genre, dans mon jeune temps, et mon goût artistique aura changé…

Bref…

Révélation. J’entends dans cette musique, dans tout ce rubato presque constant, dans ces temps qui semblent brièvement suspendus, comme collés dans l’air qui passe, dans ces phrases clairement terminées avant que ne commencent les suivantes [contraste brutal avec la génération internet de ma soirée au quatuor, la semaine dernière!], dans cette harmonie aux grappes de sons claires comme des gouttes de couleurs ou de lumières, dans ces détails si finement ciselés, suivi des voix autant que suivi des phrases, rondeur du son… Sans oublier cet usage si, comment dire? intelligent? de la pédale… [intelligence: discernement, compréhension] Quelque chose de tellement plus romantique que tout ce que j’avais imaginé, conçu, cru savoir, au sujet de Ravel et de sa musique… Mais pourtant, tellement évident, sensé, maintenant, tellement clair! Il y a quelque chose de…

…En écrivant plusieurs heures plus tard, mais oui! Je me souviens avoir pensé, lorsque j’analysais le premier mouvement du Quatuor, au Conservatoire, que Ravel était l’héritier assez direct de Haydn, par son travail poussé sur les motifs et la forme; ce soir, je vois la présence de Brahms dans cette filiation spirituelle. Cela dit, ce n’est qu’une intuition de passé minuit…

Je trouve sur internet des liens vers un enregistrement complet des mêmes Valses par ce même Rubinstein… Cette version, de quelques années antérieures, est un peu plus lente, du moins pour la partie que je puis comparer; il y a un bout, oh, quelques mesures, que je trouve trop rapide… Mais le reste! Le charme joue encore. Je trouve aussi la Forlane du Tombeau de Couperin, tout aussi magnifique.

Et le lien, me direz-vous encore? Les nombreux liens? Les constats, disons…

-Un sentiment: Ravel est pour moi « le » compositeur de la nostalgie…
-Une compréhension et un aveu: du temps de mon Conservatoire, je n’avais pas vraiment compris le « style » Ravel, dans le cours d’Harmonie 4e Cycle (il n’avait été qu’évoqué, n’étant pas au programme, cela dit); maintenant, je le reconnais, je crois…
-Un autre aveu: je ne connaissais pas Rubinstein dans Ravel, je suis gêné de le dire…
-Un constat: je suis ravi de disposer de cet enregistrement pour me coucher moins ignorant!
-Autre constat: les enregistrements, à mon sens, sont irremplaçables comme documents, mais hélas, comme produits de consommation, ils ruinent la musique, surtout le concert…
-Une découverte: Arthur Rubinstein, comme le grand Jacques, ne donnait jamais deux fois la « même » œuvre, ce qui relativise la valeur du document (une bonne chose en soi!).
-Donc, c’est encore d’une leçon de liberté qu’il s’agit, liberté face au texte, mais aussi liberté face à soi-même.
-Lien avec le cours de yoga de ce matin: alors que je n’étais pas du tout ému de grincer des dents en souriant faussement, je suis pris aux tripes par cette musique, douce, forte, amère, riche, lumineuse, sombre et parfois si douloureuse…
-D’où le lien avec la Divine: Gaël ne choisirait jamais de faire souffrir quelqu’un dans son cours de yoga; accepter la douleur est une chose, la provoquer en est une autre, et elle sait la différence, elle.
-Finalement, le lien avec Philippe Noireaut, qui faisait un sondage amical, aujourd’hui sur le titre de son prochain album: s’il me lit, je crois qu’il comprendra pourquoi, pour moi, ce serait L’effet et la cause.

Mariage, Montréal, 19 août 2017

J’avais un peu parlé de ce mariage, l’autre jour, en rapportant les propos du père de la mariée, qui a su qu’il avait une fille lorsqu’elle avait déjà 15 ans…

[…] « Ça n’allait pas très bien avec sa mère, alors j’ai su que j’avais une fille, elle avait quinze ans! Ce n’est pas une relation proche proche, alors normalement elle m’appelle surtout pour l’argent. Mais là, elle veut que je joue à son mariage… » [je paraphrase en partie]

écrivais-je le 7 août dernier:

Esquissé passé, Montréal, août 2017

Bon; c’est simple, en apparence: le monsieur veut deux violons, un violoncelle, une basse et une chanteuse pour jouer Let the bright Seraphim de Handel au mariage de sa fille; il va lui-même jouer la partie de trompette.

L’apparence de simplicité se dissipe peu à peu: pour des raisons pas totalement claires (registre aigu à la trompette?), il veut que la pièce, originalement écrite en Ré, soit jouée en Do. Il me passe des feuilles de premier et second violon, de violoncelle et de basse, qu’il a écrites de sa main, au stylo bille (!), pour la transposition en Do.

Rendu chez moi, je fais quand même quelques vérifications. Premier résultat: apparemment, il faudrait, en fait deux violons, un alto, un violoncelle, une basse et un orgue continuo, pour vraiment rendre l’orchestration de Handel… Tout ça, c’est au-dessus des moyens de notre monsieur. Ok, on y va pour son instrumentation. Mais… parlant de moyens, ne veut-il pas d’autre musique, puisque nous y serons de toute manière? Non, juste cette pièce-là. Bon, d’accord…

Complication supplémentaire: il n’a pas d’ordinateur, pas de courriel, pas de cellulaire, et il habite en région, à plus de cinq heures de car de Montréal…

Il est stressé, nous n’avons que deux semaines pour trouver le monde nécessaire; personnellement, ça ne m’énerve pas trop… Première bonne nouvelle: Monique est disponible pour chanter. Joie! J’écris aux membres de mon quintette de mai; les violons ne sont pas disponibles, mais Francis l’est, à la basse.

Le samedi suivant, je joue pour un tout autre mariage (celui aux chiens en tête de cortège!), avec deux autres violonistes, Brigitte et Kristin; je leur demande, elles sont disponibles. Bien, j’ai tout mon monde. En prime, Kristin s’offre pour recopier à l’ordi les transcriptions au stylo-bille. Merci!!!

Bon; j’ai l’adresse, j’ai l’horaire approximatif; j’aimerais bien qu’on se voit avant la cérémonie; j’appelle à l’église pour confirmer l’horaire et vérifier que nous puissions pratiquer avant que le monde arrive… Boîte vocale.

Pas de retour d’appel. Deuxième appel, le lendemain, courriel.

Pas de retour d’appel, ni de courriel.

Les jours suivants, j’appelle sans laisser de message, ni obtenir de réponse… Je finis par rappeler le monsieur, qui me dit que « tu n’as pas trouvé l’église? » Gnarf! J’ai trouvé, personne ne répond. « Ce sont des protestants, ils ne font pas toujours comme nous! » Ah, ben tiens! Enfin, le mariage devrait être à 15h ou 15h15 (ce n’est pas vraiment clair), disons que nous prenons rendez-vous pour 14h15 pour essayer la pièce (dans la version copiée par Kristin) à tout le monde, trompette incluse.

Alors, bon, nous arrivons à l’église à 14h16, genre, Brigitte, Kristin et moi, et Francis sort du dépanneur en face. Monique est déjà sur place, au jubé. C’est une église très moderne, un peu en forme de théâtre, orgue électrique sur le côté, un balcon (euh, un jubé, je veux dire) large, peu profond, pas très surélevé, une grande verrière au lobby (euh, au-dessus du portail, je veux dire), colorée, sans motif particulier. Il y a des jeunes qui s’activent, je demande où est le célébrant, il n’y est pas, les jeunes se préparent à répéter leur musique (Ben, et nous, alors?): il y a une batterie pas encore installée, un clavier, deux autres chaises… Personne ne semble au courant que nous soyons prévus au programme! Un enregistrement commence à jouer pendant que nous nous installons, en déplaçant des bancs au jubé pour nous faire de la place.

Nous pouvons finalement essayer notre musique, du moins les cordes et la chanteuse, parce que notre trompettiste n’y est pas encore. Tout marche plutôt bien, plutôt vite, surtout compte tenu qu’il n’y avait que Monique qui avait déjà joué cette pièce! Mais bon, c’est assez clair comme musique, même compte tenu de la voix manquante, et la copie propre nous aide vraiment! Merci encore! Seul accident, un petit dièse de trop, ici… Kristin nous confirme, par ailleurs, que notre copiste au stylo avait fait une bonne job, lui aussi; juste un peu moins habituelle au regard…

Avant que notre trompettiste n’arrive, le band, en bas, fait un essai de son lui aussi; il y a une batterie, euh, non, une BATTERIE, une guitare, un clavier, une basse… plus des micros pour des voix. Ça va péter tantôt.

L’heure avance, il est passé 15h45 lorsque, finalement, en complet cravate écharpe chapeau chic et en sueur, notre trompettiste arrive. Il a eu des problèmes de transport en commun (nous sommes loin du terminus des autobus interurbains). Il reprend son souffle quelques instants puis nous essayons la pièce avec lui.

Pour commencer, il installe sa copie au stylo dans son étui de trompette, sur une table à l’arrière du jubé, alors que nous sommes sur le bord. Nous l’entendons un peu faiblement. Il est, à mon avis, à l’extrême de son registre émotif, gêné, timide et que sais-je encore… Deuxième essai; j’insiste pour qu’il prenne un lutrin et vienne jouer parmi nous, au bord du balcon; Francis et moi allons partager notre pupitre (nos parties sont identiques, de toute façon), et nous échanger de place… Ça va nettement mieux la seconde fois; le trompettiste joue juste et a beau son, pas très puissant, alors il faut vraiment qu’il soit parmi nous.

Notre homme disparaît, il ne se passe rien pendant longtemps, des gens arrivent, trois limousines dont deux immenses sont stationnées devant l’église, rien ne se passe… Je descends voir le célébrant, qui ne sait pas trop quand nous allons jouer; il parle juste d’une pièce « by Seraphim », après son homélie. C’est certainement nous. Je remonte au jubé et discute avec le père de la mariée/trompettiste, qui pensait que nous allions jouer à la signature. Mais ça tombe bien que ce soit pas mal plus tôt, parce qu’il est de plus en plus tard et Francis a un autre engagement ce soir-là. En passant, j’observe que le nom de la mariée n’est pas le nom du père…

Après un autre vaste moment, je redescends, pour voir ce qui se passe. Je tombe, juste sous notre balcon, sur deux jeunes hommes, dont l’un sera certainement le marié, puis sur un petit groupe de jeunes femmes dans un genre de petit bureau. L’une d’entre elles dit que je suis « certainement Monsieur Cousineau », puis elle s’excuse de ne pas avoir retourné mes appels: cette musique-là (la nôtre) est une surprise et pour l’essentiel, personne n’était au courant. C’est aussi pour ça, pour rester « cachés » plus longtemps, que nous sommes au jubé. Apparemment, il n’y avait que la marraine de la mariée qui était au courant, et elle a protégé le secret.

Finalement, à peine plus tard, la cérémonie commence. Un photographe me fait de grands signes pour que je me pousse un peu, pour ne pas faire tache dans ses photos (je suis au balcon!). Un nombre impressionnant de garçons entrent en marchant à un genre de pas suspendu, puis un nombre correspondant de jeunes filles, de la même manière. Tout ce monde se fait face, des deux côtés de l’allée centrale, puis commence à marcher en cortège en se donnant la main, toujours à cet espèce de pas dont je ne connais pas le nom, avec une jolie ondulation d’un côté puis de l’autre; ça me rappelle, en encore plus dansant, le pas de mon père conduisant ma sœur à son mariage…

Changement de musique, puis des bambins tapissent de pétales de roses le tapis blanc de la nef (non, ce n’est pas la phrase du siècle, pardon…).

Autre changement de musique, et sur « You raise me up », la mariée s’avance, au bras de son père, justement. Le marié vient la rejoindre puis, à l’ignoble modulation, le futur nouveau couple s’élance lentement vers l’autel pendant que Brigitte, derrière moi, éclate d’un rire tonitruant. De l’autre côté du jubé, Monique se tient prudemment au loin (elle me confiera plus tard qu’elle ne voulait pas embarquer dans le fou rire, sinon plus rien n’aurait été contrôlable, et je la crois!). Je fais signe à Brigitte de rire un peu moins fort, mais nous sommes unanimes à grincer des dents à cause de la modulation. [Correction: il semble que l’éclat de rire ait juste été synchronisé avec l’affreuse modulation par un hasard superbe…]

Le célébrant dit quelques mots de bienvenue, vérifie que tout le monde soit dans la joie, fait applaudir tout le monde, puis il cède la parole à l’équipe de « joie et adoration », c’est-à-dire au petit band de tantôt, auquel se joignent une chanteuse soliste et trois choristes. Il y a six chants enchaînés, dont les paroles sont projetées sur l’écran derrière l’autel. Je vois, à ma droite lointaine, notre homme qui sourit en échangeant quelques mots avec Monique. J’en suis soulagé; tantôt, il était tellement stressé, tellement tendu, j’ai été quand même un peu inquiet. Je veux que tout se passe bien, pour nous, pour sa fille, mais aussi pour lui, et pour lui dans les yeux de sa fille. Mot d’ordre entre nous: nous allons l’accompagner et l’appuyer de notre mieux.

Il y a échange de consentements, puis c’est l’homélie. Le célébrant fait encore retentir des applaudissements ici et là, il commence à donner ses conseils aux futurs mariés. Moment de candeur délicieux lorsqu’il parle de son propre mariage (« Ça fait quinze ans que je suis marié, et mon épouse est ici à ma droite! ») [elle est assise à quelques rangs de là], et qu’il explique que bien des choses sont allées mieux lorsqu’il a été amené à se « demander comment pense une femme », et que c’est allé encore mieux lorsque sa femme a commencé elle aussi à imaginer comment pense un homme; il commençait à dire que la chicane avait nettement diminué lorsqu’un rapide coup de patin a réorienté son discours.

Puis c’est la fin de l’homélie et il annonce une musique qu’il va falloir écouter attentivement, « parce que ce sont des violons et ils n’ont pas d’amplification ».

Ben regarde-nous bien aller, toi! Et hop! Handel, c’est dans la poche! Nettement notre meilleure fois, comme de raison.

Nous rangeons discrètement nos affaires en nous préparant pour partir. Notre homme est content et nous remercie. J’offre un lift à Monique, en plus de Brigitte et Kristin; nous devons nous retrouver devant la porte. Je descends et sors par la porte principale, puis j’attends… Personne ne vient.

Ah, si, il y a des gens qui arrivent; des invités en retard à la cérémonie! Mais tiens, les amis sont là, qui sont sortis par la porte de côté. En m’approchant, surprise! Notre trompettiste/père de la mariée est là lui aussi! Il est tout sourire et nous remercie encore. Il voulait vraiment jouer cette pièce-là, parce qu’elle n’est pas facile et il savait que les petits jeunes à la batterie et à la guitare « ne seraient pas capables de la jouer, celle-là! ». Puis il part (Francis lui offre un lift vers le métro).

…Oui, tout ça pour ça… Il n’ira pas aux noces de sa fille. Il a fait cinq heures d’autocar interurbain pour venir à Montréal, couru dans le métro et après l’autobus et vers l’église, attendu de loin sa fille, joué avec des musiciens qu’il a engagés, puis il repart pour cinq autres heures d’autocar, sans avoir salué l’essentiel des gens présents… Je sens qu’il y a encore beaucoup de l’histoire qui nous a échappé…

Par contre, je sais qu’il y a au moins un homme à qui nous avons vraiment fait plaisir, aujourd’hui, un homme courageux.

Concert de quatuor à cordes (McGill, 18 août 2017)

Ce matin, je reçois un message de Karen qui m’offre un billet pour le concert de ce soir du MISQA (McGill String Quartet International Academy).  Ah, ben tiens, pourquoi pas… Mais qu’y a-t-il au programme, au juste?

… Un très mauvais point pour le site du MISQA lorsqu’on essaie de le regarder depuis un téléphone: ça va vraiment mal!

Karen, qui est vraiment débrouillarde, réussit à m’envoyer l’info qui se dérobe dans mon cellulaire, alors ok, j’y vais!

Il y a deux quatuors qui jouent deux quatuors chacun, ça nous fait donc quatre quatuors en tout… En me relisant, je m’interroge: cette phrase est-elle compréhensible pour les non-spécialistes? Enfin, bon, ça finira certainement par s’éclaircir.

Donc, pour commencer, le quatuor Rolston, du Canada (probablement de l’ouest, mais ce n’est pas précisé), nous joue Beethoven et Schumann; deux quatuors que je ne connaissais pas (eh, oui, il y en a encore beaucoup!).

L’Opus 18 No 3 de Beethoven fait partie de la première série de quatuors du jeune Ludwig. Il a vraisemblablement été écrit vers 1798, et serait, en fait, le premier des quatuors de Beethoven, selon le Guide de la musique de chambre de Tranchefort (Fayard 1989). Beethoven n’était pas encore sourd mais il était encore jeune et ça s’entend: c’est plein de lumière et de couleurs. Il avait quand même quelques années de composition derrière la cravate et ça s’entend aussi: les ficelles sont attachées pas mal serrées.

Le quatuor se tire généralement très bien d’affaire: les timbres sont très bien mélangés, la justesse est impeccable presque tout le long (deux exceptions, dont un douloureux passage à l’octave entre les deux violons…), l’écoute est généralement très bonne, il n’y a pas de grosse tête dans ce quatuor et l’homogénéité est plaisante; j’aurais quand même pris un doigt de premier violon de plus, mais bon… Tout était très bien mis en place, enfin, presque tout, à une assez grosse réserve près: il y a eu, dans le finale, quelques passages où la mesure n’était pas claire. Pire, à un moment, les groupes en triolets entre paires d’instruments sonnaient comme des groupes deux brèves, longue… Ils s’écoutaient avoir fini, plutôt que d’assumer que les collègues joueraient à temps. Bon, ils sont jeunes, ça devrait pouvoir être corrigé rapidement.

L’Opus 41 No 3 de Schumann est très beau et très intéressant. J’avais des doutes au sujet de Schumann, allez savoir pourquoi, mais les trois œuvres de ce compositeur que j’ai découvertes cet été sont toutes superbes. J’ai les mêmes compliments à faire au quatuor Rolston, avec une remarque supplémentaire: leurs mouvements lents sont très beaux. Le finale, cette fois-ci, était exemplaire, je crois; d’ailleurs, la foule était en délire.

Après la pause, changement de groupe, nous avons maintenant affaire au quatuor Verona, un groupe multinational basé à la Julliard Music School. Ils nous proposent d’abord le 7e Quatuor, Opus 108, de Shostakovich (ou Chostakovitch, selon qu’on le transcrit en anglais ou en français, mais la graphie anglaise est plus à la mode), composé en 1960. C’est une œuvre très intéressante, que je ne connaissais pas encore, mais que j’ai vraiment envie de jouer, maintenant! Trois mouvements assez courts, enchaînés; ça se prend très bien.

Le quatuor joue généralement très bien. Une réserve, sur le son du violoncelle dans le grave, qui est insuffisant, alors que dans l’aigu c’est très beau. Cet ensemble-ci est aussi bien balancé que le précédent, et la justesse est, là encore, très bonne. Il y a un bout du deuxième mouvement qui a touché au sublime, lorsque le second violon joue des notes répétées, longue-brève, martelées, et que le violoncelle, d’abord, joue la mélodie dans l’aigu, puis que l’alto reprend dans le grave. C’étaient les meilleurs moments du concert entier, je crois.

Puis, c’est le moment du Quatuor de Ravel; finalement, une pièce que je connais, pas juste pour l’avoir entendue et analysée (du moins, le premier mouvement), mais aussi jouée, en particulier à l’université. Ce quatuor est fort beau, très « haydnien », dans un sens, vu l’extraordinaire travail sur le motif de tête du premier thème, motif qui a généré pratiquement tous les autres!

Le quatuor joue bien, mais… Mais quoi? Difficile à dire… Quelque chose ne passe pas. Je ne sais pas si c’est parce qu’un des deux quatuors « professionnels » qui enseignent à l’académie doit jouer le même Quatuor de Ravel, la semaine prochaine, mais bon, le courant ne passe pas tout le temps.

Oh, il y a de très bons moments, une bonne justesse, des connexions qui marchent… Mais… Mais bon, après les compliments, il est temps que je passe à la critique.

Rolston comme Verona devront, à mon sens, apprendre à finir leurs phrases piano; ils ont tendance à escamoter la dernière note dans le silence, trop doucement. Rolston comme Verona pourraient pousser plus loin encore leurs idées; ils jouent encore relativement sagement les sforzandi et les accents et les nuances très contrastées. J’ai confiance, avec l’expérience, ça va venir.

Verona, plus spécifiquement, dans Ravel, très spécifiquement, pourrait jouer moins vite les mouvements rapides. Ça sonnait précipité et ça nuisait aux connexions entre les parties. En fait, zut, j’ai eu l’impression que c’était particulièrement le violoncelliste qui était off. 

Aussi, et surtout, reste la question: pourquoi jouer de la musique? Plus particulièrement, pourquoi jouer le Ravel, si ce n’est pas pour prendre son temps, surtout dans le mouvement lent? Ça sonnait instantané, limite pressé. C’est dommage…

[Rajout du lendemain… En racontant le concert à Brigitte, me vient à l’esprit que c’était comme si, pour la génération des musiciens de ce quatuor, il fallait des sollicitations constantes… Génération internet, quoi, pas habituée au(x) silence(s).]

Bon, c’est peut-être moi qui suis trop difficile, trop capricieux, mais…
« Moi j’aurais bien aimé un peu plus de tendresse
Ou alors un sourire ou bien avoir le temps »
comme le disait si bien le grand Jacques… Prenez le temps de finir les phrases, de laisser se dissoudre l’atmosphère de ce que vous venez d’évoquer, je vous prie.

Souvenez-vous, je vous prie, que Ravel était un personnage très pudique, très caché, secret, auquel on n’a connu aucune relation intime. Toute sa chaleur, toute sa tendresse, lorsqu’il y en a, passe dans sa musique; d’ailleurs, même sa musique, souvent, refuse, se cache, se dérobe à l’effusion. Parmi les rares exceptions: les mouvements lents du Concerto pour piano en Sol et du Quatuor,  justement… Mais pour ça, il faut aussi connaître la vie et l’œuvre de Ravel.

C’est comme pour Chostakovitch (ou Shostakovich): il y a un côté grinçant dans son opus 108, composé à une époque où le risque d’être disgracié et exilé était moins élevé pour Shostakovich que vers la fin des années 30, lorsque Staline n’avait pas aimé son opéra… Il reste que la dictature totalitaire était encore en place et que « l’humour est la politesse du désespoir », comme le disait si bien… Chris Marker (eh, non, ce n’était pas Boris Vian, ni Victor Hugo, ni Oscar Wilde, ni Georges Duhamel, ni Paul Valéry, ni Winston Churchill, selon Dominique Noguez).

Mais, encore une fois, il faut connaître le contexte des œuvres et la vie des compositeurs… Voici quelques mois, j’ai critiqué le concert de retour de Charles Dutoit à l’OSM, mais ce soir, je serai d’accord avec lui lorsqu’il dit que la culture générale des jeunes musiciens laisse souvent à désirer. Je le dis au risque de choquer de mes collègues, qui ont mal pris ce commentaire formulé récemment (j’ai perdu la référence, c’était sur Facebook et quelqu’un avait écrit une réponse, valable et pertinente, sur la différence entre les conditions de carrière à l’époque de Charles Dutoit et aujourd’hui, mais la remarque sur la culture me semble aussi valable et pertinente)…

Enfin, même si je tape sur les clous avec vigueur, j’ai bien aimé ma soirée, oui, oui. D’autant que c’était chouette de revoir Karen, Gill et Trisha et Robert et Yubin, puis de marcher vers chez moi en passant près du concert de Montréal Symphonique.

Au passage… (août 2017)

La nuit, tous les pois sont chats…

[Je ne sais pas pourquoi ce vieux calembour me revient périodiquement en tête, mais bon, aussi bien l’écrire…]

Les larmes du matamore, 17 août 2017

Comme bien du monde, j’ai vu des images des événements à Charlottesville, images troublantes, particulièrement celles du reportage de Vice…  Dans ce reportage, une des dernières séquences montre un plutôt jeune homme qui commence par dévoiler son arsenal, et qui ensuite ne déplore pas vraiment la mort d’une contre-manifestante. J’ai aussi vu le petit vidéo tourné par le matamore du reportage de Vice, alors qu’il apprend qu’il pourrait être arrêté: maintenant, il pleure et dit qu’il a peur pour sa vie.

Au-delà de la tentation de la condescendance et du mépris, qui est forte, je dois l’admettre (et plusieurs commentateurs, dans des sites américains, y ont succombé énergiquement), il y a la question de la crédibilité de ce message (qui est aussi mise en cause dans plusieurs commentaires).

Cela dit, si c’est vrai, s’il y a aux États-Unis d’Amérique, une quantité non négligeable de gens qui ont vraiment peur pour leurs vies, peur de se faire enlever les armes sans lesquelles ils perdent tous leurs moyens, alors mon sentiment est que le début de n’importe quelle issue de cette situation pourrie passera par un puissant effort d’écoute, d’éducation au sens large et de déconditionnement.

Ce sera d’autant plus difficile, long et ardu, que l’image même des É-U d’A est déformée, même chez ses partisans les plus forts. C’est loin d’être le presque paradis sur Terre que proclament ses zélateurs les plus naïfs…

Fin de semaine de cérémonies (Montréal, août 2017)

Ce billet est le dernier de ceux évoqués dans ma liste d’il y a cinq jours…

Samedi dernier, j’avais deux gigs, puis une autre dimanche matin. La première était un mariage, qui avait lieu dans un genre d’usine à mariages à Laval, un grand bâtiment avec des salles de conférences ou de réceptions de tailles variées, avec des tapis mais pas de fenêtres, sis dans un centre commercial. « Notre » mariage avait lieu au sous-sol, dans une salle assez vaste, décorée de ces trucs que j’aime si peu: de grands vases dans lesquels flottent des chandelles… Ça me donne tout le temps une impression d’incendie qui n’attend que la bonne occasion pour se déclencher… Et nous, les musiciens, qui sommes toujours loin de la sortie… Enfin, presque toujours: ce soir, j’ai joué pour un autre mariage, et nous nous sommes fait demander de nous déplacer, parce que nous empêchions le cortège d’entrer dans la « salle », cortège qui commençait par deux énormes chiens! Mais c’est une autre histoire…

Alors donc, ce mariage avait littéralement lieu dans un sous-sol de centre d’achat. Il y avait à quelques pas de moi une dame début cinquantaine, je crois, avenante, qui aurait pu être belle, n’eût été de sa robe bleue à paillettes, tellement échancrée au dos qu’elle laissait voir les sous-vêtements du haut et ceux du bas en un seul coup d’œil. Ça ne faisait pas chic ni affriolant, mais bien vulgaire, malheureusement…

La cérémonie a commencé pas mal à l’heure, mais a été retardée plusieurs fois par les exigences des gens de l’image et du son: il y avait deux caméras, deux photographes (au moins), et tout ce monde se chicanait pour trouver le plusse meilleur angle… Une des camérawomen (ça se dit comme ça?) dirigeait le trafic par des grognements et des claquements de doigts… Pas très élégant…

Il y a eu trois échanges de consentements, le dernier sous forme d’échange de vœux rédigés par les mariés; ça, c’était touchant, finalement, dans cette cérémonie autrement très tournée vers le paraître. Il faut dire que les célébrants laïcs sont bien à la peine, souvent, pour donner du sens à leurs cérémonies; ils utilisent toutes sortes de rituels pour émuler le sacré, si j’ose dire… Je repensais à la splendide cérémonie en mémoire de Gilles Tremblay à laquelle je participais la veille, avec en tête quelques questions et un constat.

Les questions: qu’est-ce que le chic? Le bon goût? La classe? Le constat: ben finalement, oui, je formule des jugements. Et vite, à part de ça!

Seconde gig: un 45e anniversaire de mariage, toujours à Laval, dans une autre usine à… Non, je serais un peu injuste: au moins, ici, il y a des fenêtres aux salles. Cela dit, c’est le même genre d’endroit, il y a plus de salles, plus petites, et c’est plus… désuet, disons, mais tout de même un tantinet plus chaleureux.

Le couple dont c’est le 45e anniversaire de mariage nous accueille. Il y a une photo de leur mariage, 1972, devant l’église… Ma parole, c’est Saint-Ambroise, l’église de « ma » caisse populaire!?! Vérification, oui, c’est bien ça. Nous jouons beaucoup, pour des gens qui sont attentifs et qui connaissent et aiment vraiment la musique. Nous sommes applaudis presque après chaque pièce, ce qui est rare, et pas que deux ou trois clap clap par ci par là, non; presque toujours tout le monde s’y met. Nous jouons des valses, les gens dansent; des rocks, les gens dansent. Demande spéciale des mariés: Moon River; ils sont trop sollicités pour danser, mais lorsque nous reprenons une valse, par la suite, ils dansent.

Ombre au tableau: la fête pour adolescentes, de l’autre côté du hall d’entrée, où il y a un DJ au système de son bionique. Les pauses, dans notre longue soirée, sont bienvenues, pour nous aérer les oreilles! Cela dit, lorsque nous revenons de notre (très honorable) souper (nous avons été installés dans une salle à manger inoccupée, largement vitrée, à l’étage, avec vue splendide sur un coucher de soleil accablé de nuages!), lorsque nous revenons, disais-je, ben zut, zgrougn et proutch, il y a maintenant un second DJ, atomique, dans la pièce voisine! Nous devons hausser la voix pour nous entendre parler! Bon, j’aime bien Long Train Running, là n’est pas la question… Juste, pas trois fois presque de suite, tellement fort à travers le mur que j’aie de la misère à entendre ce que jouent les collègues…

Mais « nos » gens nous restent fidèles, et ils continuent de danser sur notre musique, plutôt que sur l’invasion passant à travers les murs; ils ont du mérite, et nous aussi: pas facile de trouver son tempo lorsqu’une batterie géante te susurre la sienne à coup de pieds aux fesses!…

Nous étions convoqués de 17h à 23h (!!!) mais, vers 22h15 (tout de même!), le couple nous dit que nous sommes libérés, vu que presque tout le monde est parti (il y avait beaucoup de jeunes enfants dans ce groupe). Les personnes restantes nous remercient et félicitent à profusion; nous rejouons Moon River et cette fois-ci, le couple danse en souriant.

Comme nous partons, une des serveuses, plutôt toute jeune, nous dit son appréciation pour la délicatesse de notre musique, son côté « smooth ». Merci beaucoup!

Le lendemain matin, trop tôt, rendez-vous à l’église Saint-Léonard, pour jouer pour un anniversaire: la dame nous a engagés pour jouer pendant la messe, c’est un cadeau pour son frère. Nous devons jouer quatre pièces, dont une en trio flûte-violon-violoncelle, les trois autres on rajoute l’orgue.

Nous arrivons. Première surprise: l’organiste n’a pas reçu la musique, que la violoniste lui avait pourtant envoyée… Mais bon, c’est un organiste de remplacement, c’est sa première visite ici, donc il n’est pas au courant de grand-chose.

Nous pratiquons, ça va de mieux en mieux… Lorsqu’un monsieur arrive au jubé et nous dit, assez sèchement, que nous devons arrêter parce qu’il va y avoir une messe en bas!

Ben, on l’sait! On est là pour jouer!

Lui, c’est le chanteur de la paroisse et il n’est au courant de rien, lui non plus…

Gnarf…

La violoniste tente d’envoyer un texto à la dame qui nous a engagés; la flûtiste descend et remonte la nef en cherchant… Elle remonte juste comme la messe commence! Nous devions jouer notre première pièce pour le début; c’est manqué. Bon; ce sera après les lectures.

Et, bon, nous nous reprenons. Et ça va de mieux en mieux avec l’organiste, dans les pièces juives (oui, c’était la commande), dans Bach-Gounod (était-ce ça la commande, ou Schubert? J’ai oublié… Juste retenu que ce n’était pas une tonalité habituelle!) et dans California Dreaming! 

La flûtiste nous racontera après la cérémonie qu’elle est remontée jusqu’à l’autel et a demandé au curé s’il connaissait la dame X? Non! Le curé aussi était nouveau, c’était sa première journée dans cette paroisse!

La dame monte et nous remercie rapidement… Le lendemain, elle écrira un courriel substantiel pour dire qu’elle avait bien écrit à la paroisse pour informer qui de droit de son projet; n’ayant pas reçu d’accusé de réception, elle a supposé que tout était correct…

En tout cas, après ces trois gigs, j’avais encore plus d’appréciation pour le travail de Joëlle dans l’organisation impeccables des funérailles de vendredi…