… Bon, j’ai pris du retard dans mon écriture… Là, je paie pour; j’ai beaucoup de chroniques à rattraper… Voyons; deux sur des concerts avec des chanteurs, une ou deux sur un décès et les funérailles subséquentes, une ou deux sur d’autres cérémonies dans la même fin de semaine, un esquissé passé douloureux… Bon, allez, au clavier, mon coco!
Ce billet-ci va parler de ma première gig d’orchestre, quelques semaines (déjà!) après mon retour de voyage.
Il y a parfois une curieuse relation entre les chanteurs et les… instrumentistes… J’ai failli écrire « les vrais musiciens »! Mais, outre la taquinerie méchante, ce petit mot illustre bien l’espèce de rivalité sous-jacente entre les deux « équipes », si j’ose dire; rivalité pas toujours dénuée d’un peu de jalousie de la part des instrumentistes, il faut bien le dire…
Jalousie basée, d’une part, sur l’antériorité de la pratique: les chanteurs « classiques » commencent parfois leurs études aussi tard que le collège ou l’université, parce que leur chant demande que la morphologie du corps soit entièrement développée, alors que nous, les instrumentistes, arrivons au même niveau scolaire nantis déjà de plusieurs années d’expérience. Alors, dans les mêmes classes, nous nous côtoyons, instrumentistes au moins un petit peu chevronnés d’une part, chanteurs et chanteuses ne sachant pas toujours de quoi il est question d’autre part, et parfois ça nous fait grincer des dents, surtout lorsque la réponse au problème insoluble pour les uns semble tellement évidente aux autres. En plus, les chanteurs et chanteuses sont formé(e)s pour assumer l’attention de toute une salle, en rayonnant en toutes circonstances; nous, non. Conséquence: aucun problème, si flagrant soit-il, ne semble jamais venir de la personne qui chante, lorsque ladite personne assume un peu trop ce rôle de vedette. Nous, ça nous énerve. Pour finir, il y a aussi les cachets, qui sont nettement plus favorables aux chanteurs solistes qu’aux orchestres qui les accompagnent…
Mais, rendu là, il faut bien dire qu’une sélection s’est déjà opérée, après les études; normalement, à l’orchestre, nous accompagnons des gens beaucoup plus solides et généralement infiniment plus aimables que ce que je viens de décrire, et c’est tout à leur honneur.
Reste que les répétitions ne sont pas toujours faciles…
Pour ce programme, composé d’airs d’opéra, il y a en tout huit solistes, soit deux sopranos, une mezzo, trois ténors et deux barytons. Dès le début de la répétition, le chef les convoque tour à tour, dans le désordre, pour tenir tout le monde un peu occupé, en alternance.
Contrairement au concert, les chanteurs, pendant les répétitions, sont tournés vers l’orchestre. Ça fait que nous pouvons mieux observer leur art et leurs manières… Ce sont tous d’excellents chanteurs, il faut bien le dire… mais la mezzo, entre les moments où elle chante magnifiquement un air orné d’une quantité incroyable de vocalises, par ailleurs magistralement et suavement exécutées, la mezzo, disais-je, mâche une chique de format olympique… « J’ai une gomme! », proclame-t-elle, comme si tout le monde ne l’avait pas remarquée. Je repense à mon père et à son dédain, que dis-je, dégoût, pour ces machins… Il aurait fait une crise d’apoplexie!
Il y a le baryton qui chante cet air si populaire, si universellement connu, à pleins poumons… Les chanteurs de concert ou d’opéra ont beaucoup de puissance; c’est aussi douloureux pour nous que d’endurer des trombones ou une batterie, croyez-moi! Et parfois, ils font des petits concours, on ne sait pas trop pourquoi: incertitudes momentanées pour cause de retour de vacances, crise de m’as-tu-vu, apprentissage ou redécouverte d’un texte peu familier? Toujours est-il que lorsque le même baryton et un des ténors commencent leur splendide duo, nous nous demandons quelle nuance peut bien être écrite dans leurs partitions; nous, nous avons « pianissimo » mais les oreilles nous frisent encore devant leurs « fortissimo » intense.
Le même ténor, qui souffre d’un déficit d’attention diagnostiqué (rapporté par une des soprani), est parti à la pause, oubliant de répéter un de ses airs… Un autre ténor chante son air « fortissimo » du côté des violons, épargnant relativement les basses, pour une fois.
… J’ai l’air de grincer des dents… Y a-t-il eu de beaux moments? Oui: d’abord, il y a très peu de Verdi dans ce programme, ce qui est une bonne nouvelle pour les instrumentistes. Verdi, c’est un peu comme Chopin ou Paganini: autant la mélodie est superbe, autant les accompagnements sont souvent monotones ou vides. Ensuite, il y a de très beaux airs, dont un splendide duo de Mozart, en plus des autres évoqués jusqu’ici, plus Bizet, Puccini et quelques grands favoris…
Mais tout ça ne prend son sens qu’au moment du concert, il faut bien le dire. Après une brève dernière répétition/prise de son, car le concert va avoir lieu en plein air, répétition essentiellement orientée sur les pièces d’ensemble (quelques duos, un trio, un sextuor), puis après le souper, nous arrivons enfin sur scène pour le concert.
Premier constat: il fait froid! Plusieurs musiciens restent en coupe-vent, une des chanteuses fera la remarque qu’il y a quand même une injustice envers les femmes dans ce genre de concert, alors qu’elle se présente en robe bustier devant un parterre rempli de gens en manteaux… On dirait un festival d’hiver, alors que nous sommes fin juillet!
Second constat: je peux bien chialer devant les petits travers des chanteurs et chanteuses en répétition, reste qu’il faut du courage en chien pour aller s’exposer comme ils le font, devant un public si nombreux, en mettant leur carrière en jeu à chaque fois: ils sont à un craquement de voix de la fin, dans un sens… On peut bien leur pardonner un petit moment de cabotinage… Ils savent susciter des vagues d’émotions dans le public, vagues sur lesquelles ils surfent avec aisance, voire avec élégance…
Il faisait trop froid, alors le chef a retiré une des pièces du programme; c’est vraiment bien tombé: il a commencé à pleuvoir juste vers la fin du rappel!