Ce matin, je reçois un message de Karen qui m’offre un billet pour le concert de ce soir du MISQA (McGill String Quartet International Academy). Ah, ben tiens, pourquoi pas… Mais qu’y a-t-il au programme, au juste?
… Un très mauvais point pour le site du MISQA lorsqu’on essaie de le regarder depuis un téléphone: ça va vraiment mal!
Karen, qui est vraiment débrouillarde, réussit à m’envoyer l’info qui se dérobe dans mon cellulaire, alors ok, j’y vais!
Il y a deux quatuors qui jouent deux quatuors chacun, ça nous fait donc quatre quatuors en tout… En me relisant, je m’interroge: cette phrase est-elle compréhensible pour les non-spécialistes? Enfin, bon, ça finira certainement par s’éclaircir.
Donc, pour commencer, le quatuor Rolston, du Canada (probablement de l’ouest, mais ce n’est pas précisé), nous joue Beethoven et Schumann; deux quatuors que je ne connaissais pas (eh, oui, il y en a encore beaucoup!).
L’Opus 18 No 3 de Beethoven fait partie de la première série de quatuors du jeune Ludwig. Il a vraisemblablement été écrit vers 1798, et serait, en fait, le premier des quatuors de Beethoven, selon le Guide de la musique de chambre de Tranchefort (Fayard 1989). Beethoven n’était pas encore sourd mais il était encore jeune et ça s’entend: c’est plein de lumière et de couleurs. Il avait quand même quelques années de composition derrière la cravate et ça s’entend aussi: les ficelles sont attachées pas mal serrées.
Le quatuor se tire généralement très bien d’affaire: les timbres sont très bien mélangés, la justesse est impeccable presque tout le long (deux exceptions, dont un douloureux passage à l’octave entre les deux violons…), l’écoute est généralement très bonne, il n’y a pas de grosse tête dans ce quatuor et l’homogénéité est plaisante; j’aurais quand même pris un doigt de premier violon de plus, mais bon… Tout était très bien mis en place, enfin, presque tout, à une assez grosse réserve près: il y a eu, dans le finale, quelques passages où la mesure n’était pas claire. Pire, à un moment, les groupes en triolets entre paires d’instruments sonnaient comme des groupes deux brèves, longue… Ils s’écoutaient avoir fini, plutôt que d’assumer que les collègues joueraient à temps. Bon, ils sont jeunes, ça devrait pouvoir être corrigé rapidement.
L’Opus 41 No 3 de Schumann est très beau et très intéressant. J’avais des doutes au sujet de Schumann, allez savoir pourquoi, mais les trois œuvres de ce compositeur que j’ai découvertes cet été sont toutes superbes. J’ai les mêmes compliments à faire au quatuor Rolston, avec une remarque supplémentaire: leurs mouvements lents sont très beaux. Le finale, cette fois-ci, était exemplaire, je crois; d’ailleurs, la foule était en délire.
Après la pause, changement de groupe, nous avons maintenant affaire au quatuor Verona, un groupe multinational basé à la Julliard Music School. Ils nous proposent d’abord le 7e Quatuor, Opus 108, de Shostakovich (ou Chostakovitch, selon qu’on le transcrit en anglais ou en français, mais la graphie anglaise est plus à la mode), composé en 1960. C’est une œuvre très intéressante, que je ne connaissais pas encore, mais que j’ai vraiment envie de jouer, maintenant! Trois mouvements assez courts, enchaînés; ça se prend très bien.
Le quatuor joue généralement très bien. Une réserve, sur le son du violoncelle dans le grave, qui est insuffisant, alors que dans l’aigu c’est très beau. Cet ensemble-ci est aussi bien balancé que le précédent, et la justesse est, là encore, très bonne. Il y a un bout du deuxième mouvement qui a touché au sublime, lorsque le second violon joue des notes répétées, longue-brève, martelées, et que le violoncelle, d’abord, joue la mélodie dans l’aigu, puis que l’alto reprend dans le grave. C’étaient les meilleurs moments du concert entier, je crois.
Puis, c’est le moment du Quatuor de Ravel; finalement, une pièce que je connais, pas juste pour l’avoir entendue et analysée (du moins, le premier mouvement), mais aussi jouée, en particulier à l’université. Ce quatuor est fort beau, très « haydnien », dans un sens, vu l’extraordinaire travail sur le motif de tête du premier thème, motif qui a généré pratiquement tous les autres!
Le quatuor joue bien, mais… Mais quoi? Difficile à dire… Quelque chose ne passe pas. Je ne sais pas si c’est parce qu’un des deux quatuors « professionnels » qui enseignent à l’académie doit jouer le même Quatuor de Ravel, la semaine prochaine, mais bon, le courant ne passe pas tout le temps.
Oh, il y a de très bons moments, une bonne justesse, des connexions qui marchent… Mais… Mais bon, après les compliments, il est temps que je passe à la critique.
Rolston comme Verona devront, à mon sens, apprendre à finir leurs phrases piano; ils ont tendance à escamoter la dernière note dans le silence, trop doucement. Rolston comme Verona pourraient pousser plus loin encore leurs idées; ils jouent encore relativement sagement les sforzandi et les accents et les nuances très contrastées. J’ai confiance, avec l’expérience, ça va venir.
Verona, plus spécifiquement, dans Ravel, très spécifiquement, pourrait jouer moins vite les mouvements rapides. Ça sonnait précipité et ça nuisait aux connexions entre les parties. En fait, zut, j’ai eu l’impression que c’était particulièrement le violoncelliste qui était off.
Aussi, et surtout, reste la question: pourquoi jouer de la musique? Plus particulièrement, pourquoi jouer le Ravel, si ce n’est pas pour prendre son temps, surtout dans le mouvement lent? Ça sonnait instantané, limite pressé. C’est dommage…
[Rajout du lendemain… En racontant le concert à Brigitte, me vient à l’esprit que c’était comme si, pour la génération des musiciens de ce quatuor, il fallait des sollicitations constantes… Génération internet, quoi, pas habituée au(x) silence(s).]
Bon, c’est peut-être moi qui suis trop difficile, trop capricieux, mais…
« Moi j’aurais bien aimé un peu plus de tendresse
Ou alors un sourire ou bien avoir le temps »
comme le disait si bien le grand Jacques… Prenez le temps de finir les phrases, de laisser se dissoudre l’atmosphère de ce que vous venez d’évoquer, je vous prie.
Souvenez-vous, je vous prie, que Ravel était un personnage très pudique, très caché, secret, auquel on n’a connu aucune relation intime. Toute sa chaleur, toute sa tendresse, lorsqu’il y en a, passe dans sa musique; d’ailleurs, même sa musique, souvent, refuse, se cache, se dérobe à l’effusion. Parmi les rares exceptions: les mouvements lents du Concerto pour piano en Sol et du Quatuor, justement… Mais pour ça, il faut aussi connaître la vie et l’œuvre de Ravel.
C’est comme pour Chostakovitch (ou Shostakovich): il y a un côté grinçant dans son opus 108, composé à une époque où le risque d’être disgracié et exilé était moins élevé pour Shostakovich que vers la fin des années 30, lorsque Staline n’avait pas aimé son opéra… Il reste que la dictature totalitaire était encore en place et que « l’humour est la politesse du désespoir », comme le disait si bien… Chris Marker (eh, non, ce n’était pas Boris Vian, ni Victor Hugo, ni Oscar Wilde, ni Georges Duhamel, ni Paul Valéry, ni Winston Churchill, selon Dominique Noguez).
Mais, encore une fois, il faut connaître le contexte des œuvres et la vie des compositeurs… Voici quelques mois, j’ai critiqué le concert de retour de Charles Dutoit à l’OSM, mais ce soir, je serai d’accord avec lui lorsqu’il dit que la culture générale des jeunes musiciens laisse souvent à désirer. Je le dis au risque de choquer de mes collègues, qui ont mal pris ce commentaire formulé récemment (j’ai perdu la référence, c’était sur Facebook et quelqu’un avait écrit une réponse, valable et pertinente, sur la différence entre les conditions de carrière à l’époque de Charles Dutoit et aujourd’hui, mais la remarque sur la culture me semble aussi valable et pertinente)…
Enfin, même si je tape sur les clous avec vigueur, j’ai bien aimé ma soirée, oui, oui. D’autant que c’était chouette de revoir Karen, Gill et Trisha et Robert et Yubin, puis de marcher vers chez moi en passant près du concert de Montréal Symphonique.
Salut mon Camarade…
Je te lis toujours avec beaucoup d’intérêt …car tu es précis autant que que passionné, extrêmement compétent sans être pour autant pédant, drôle sans cruauté, pédagogue lorsqu’il le faut et surtout sans langue de bois …ce qui fait que je m’ennuie de te voir, mais au moins ce blogue est là pour me rappeler l’ami et le musicien précieux que tu es.
Amitiés,
Philippe
PS : au fait, pour Ravel, c’est le Concerto pour piano en Sol , je crois que tu étais encore dans Gershwin!
Aïe aïe aïe aïe aïe aïe aïe aïe aïe aïe aïe !
Oups!
Merci! Beaucoup!
Bonjour Nicolas,
Nous espérons que tu te portes bien.
Nous sommes de retour d’Asie depuis hier dans la nuit… en plein décalage horaire. Voyage magnifique, ressourçant, que de bons mots et de belles (et parfois drôles) anecdotes. Des rencontres touchantes, dépaysantes, toutes en nuances, dans des cultures certes éloignées, mais où l’humain outrepasse les dissemblances et crée des liens, se transforme et en ressort enrichi par l’expérience. Wow! Nous avons hâte d’en entendre davantage à propos de Compostelle, de vive voix.
Par ailleurs, nous t’écrivons pour réitérer notre intérêt éventuel pour reprendre les leçons, si cela s’avérait possible, dès cette semaine. C-W est dispo pratiquement tout le temps. D’ici le début de la session officielle d’automne, nous opterions pour des cours de 90 minutes. Je me souviens qu’É. s’était aussi montrée intéressée. Sinon, nous attendrons.
Au plaisir de se retrouver,
Isabelle et C-W