Yoga, Rubinstein et Ravel (et Noireaut), Montréal, vendredi 25 août 2017

Ce matin, pour « célébrer » mon retour à un genre de forme (après deux jours de fièvres, courbatures, maux de têtes et réjouissances du genre… Les virus ne sont pas que dans les ordinateurs, semble-t-il!), je suis allé faire du yoga dans un cours de groupe. Non, non, ce n’est pas avec Gaël; c’est une partie du reliquat d’une petite série de quatre cours, achetée ailleurs (pas loin, géographiquement, même si « idéologiquement » c’est assez distant, mais je vais y revenir), pendant que la Divine était en vacances.

Donc, je me retrouve dans ce studio… Non, je ne dirai pas lequel; je n’ai pas envie de leur faire de la pub, même mauvaise… [Note: je vais prendre mon dernier cours restant, mardi matin prochain, je crois, avec une autre prof]

Au début, la monitrice demande qui a fait le plus de yoga de cette méthode, en jours consécutifs? Réponse, neuf mois… Je demande de préciser si on parle bien de cette méthode ou de yoga en général, parce que la nuance ne me semble pas toujours claire et me fais dire qu’on parle de cette méthode-ci. Alors, je ne dis rien sur mes quatre mois et quelques du début de l’année. La monitrice dit tout de même que les pannes dans la pratique lui semblent inévitables. Je me sens moins seul, joie! Elle demande ensuite ce que ça a apporté aux gens qui le font; une: « quand je ne ne fais pas, rien ne se passe, quand je le fais, tout tombe en place! » Réponse: « Oh, you’re such a marvelous person! » Un autre dit que ça devient aussi nécessaire que de dormir ou manger; je crois que Gaël aimerait ça… Mais bon, on passe à la routine.

Assis, respirer, sans bouger… S’il y a une douleur, l’accepter, l’examiner, ne pas essayer de s’en débarrasser… Détendre tout… [j’ai la jambe gauche qui s’engourdit] Accepter… « J’ai envie d’essayer quelque chose de nouveau, avec les dents: serrez les mâchoires ensemble… »

Dire que Gaël m’a si souvent dit de desserrer les dents… Et que, quelque part dans mon premier (ou deuxième? ou troisième?) jour de marche, en mai, je me souviens avoir  desserré les dents, consciemment, et m’être dit ok, c’est bon, je ne serrerai plus la mâchoire; parce que je m’étais aperçu, quelques semaines auparavant, que oui, je la serrais presque tout le temps! Et là, ce matin, ben quoi, en serrant les dents, même pas très fort, je m’aperçois que je tremble de la mâchoire!

La monitrice dit qu’elle va rajouter un peu de difficulté, mais que ça devrait être envisageable pour des gens qui en sont à leur 9e semaine (je n’en suis qu’à ma troisième, mais bon…): resserrer le plancher pelvien en même temps, et laisser tout le reste détendu. Autour de moi, j’entends soupirer, probablement sangloter, même… Mais la monitrice m’a rappelé à l’ordre et fait fermer les yeux, plus tôt, alors bon… Elle rajoute encore un coefficient de difficulté: sur les dents serrées, plaquer le sourire le plus faux possible…

Pour cet exercice, il fallait être assis sur les talons, mais il y avait une petite liberté accordée, en ce sens que ce n’était pas l’assise qui était prioritaire, mais bien de rester dans ce que nous faisions de nos gueules (je paraphrase largement, évidemment). Au début, j’ai mal aux cuisses, surtout aux quadriceps; je me détends, ça va mieux, je détends les aines aussi… Après un moment, je ne sens plus mes pieds… Problème de circulation, je crois, comme tantôt. Justement, la monitrice est là qui dit qu’il faut laisser circuler… Je sors de la posture, pour les jambes, pas pour les dents.

Elle fait faire d’autres trucs amusants, chien tête baissée, cobra, planche, chien tête levée, chaise, assis sur les hanches, chien tête baissée, planche, baisser au sol sans le toucher, chien tête levée, chien tête baissée, toujours en restant un moment, voire un bon moment, dans chaque position. Ça gémit partout alentour… Elle parle toujours de laisser remonter ce qui doit remonter, de laisser les douleurs s’exprimer, de les accepter, de ne pas chercher à corriger les postures…

Joyeux bébé (je tremble!), genoux sur la poitrine, savasana (des tas de minutes dans chaque cas, sauf le dernier)… puis ding! sur le petit bol, deux, trois fois, mains en prière, et bon c’est fini.

En partant, j’essaie de lui raconter ce que j’ai dit au début sur les dents que je n’avais pas serrées depuis mai, et sur la circulation sanguine qui ne se fait pas comme je voudrais… Elle ne saisit pas trop ce que je veux dire, et insiste encore sur le fait qu’il faut laisser circuler les choses, accepter la douleur, que c’est la seule façon de voir, reconnaître les choses pour éventuellement savoir quoi faire avec…

Et tout à coup, j’ai le sentiment désagréable qu’une limite a été dépassée… Je ne suis pas du tout certain que cette jolie jeune femme qui ne sourit pas souvent (et pas à tout le monde), et peut-être l’organisation dont elle fait partie, ne se contente pas que d’accompagner les gens qui découvrent une douleur… Que peut-être elle, ils, s’occupent de provoquer, susciter ladite douleur? Que peut-être, et c’est un soupçon terrible, elle y prend plaisir? Avant de finir son cours, après la prière, elle a rappelé l’exercice des dents et du faux sourire, qu’elle a donné comme devoir à tout le monde, pour la semaine, après ou avant le brossage de dents du matin, en se regardant dans le miroir, afin de voir mieux de quoi ça peut avoir l’air quelqu’un qui sourit faussement…

Subitement, j’ai l’impression que la personne qui a beaucoup de blessures cachées, c’est elle… Qui a de la difficulté avec les faux sourires, c’est elle (difficulté résolue en ne souriant plus, ce qui, dans un sens, est tout à son honneur)… L’impression que, pour cette personne ou pour cette organisation, il n’y a de blessures que dans la psyché; rien d’ontologiquement physique ou physiologique.

Subitement, je comprends aussi, ou disons que je mesure de nouveau à quel point nous, les profs, avons tendance à enseigner en fonction de nos propres forces et points faibles, et que c’est difficile d’élargir nos palettes d’enseignement, aussi difficile que d’élargir nos palettes de jeu…

J’ai le sentiment que les gens qui ont « trippé » dans ce cours, dans ces cours, cherchent plus que du yoga; que leurs blessures sont assez profondes pour qu’ils cherchent un gourou…

Enfin… Le rapport avec Rubinstein, me demanderez-vous?

Après le yoga et quelques courses chez Segal (bon, je deviens encore plus cancanier que pendant mon voyage!), au retour chez moi, en m’écrapoutissant devant mon ordi, je trouve, relayée par une amie et collègue, une vidéo montrant Arthur Rubinstein, oui, le pianiste Polonais qui a vécu de 1887 à 1982, lors d’une visite dans un magasin Steinway, pendant une tournée de concerts en Pologne en 1967; il y joue sur ce qu’il appelle « son » piano. L’équipe de tournage d’une télévision allemande a eu la permission, après deux heures, de filmer quelques instants de cette visite. Il y a quelques très beaux moments de Chopin, deux ou trois pages de musique fascinante que je ne connaissais pas mais qui est vraisemblablement du Szymanowski, du Schubert, du Chopin encore…

Puis, à la vingtième minute (j’ai été scotché à l’écran depuis tantôt!), un accord que je reconnais… Et l’amorce de la première des Valses nobles et sentimentales  de Maurice Ravel.

Et là…

Oui, ce Ravel, Maurice, dont je parlais la semaine dernière en croyant le connaître, dont j’ai vu un jour, par hasard, la maison natale sur un quai du Pays Basque, dont je croyais aimer tant la musique…

Joué par un pianiste de juste avant mon temps… Dont j’avais entendu parler, mais que je ne connaissais pas, je dois bien l’admettre…

Ou alors, j’ai peut-être, peut-être, déjà entendu une version de ce genre, dans mon jeune temps, et mon goût artistique aura changé…

Bref…

Révélation. J’entends dans cette musique, dans tout ce rubato presque constant, dans ces temps qui semblent brièvement suspendus, comme collés dans l’air qui passe, dans ces phrases clairement terminées avant que ne commencent les suivantes [contraste brutal avec la génération internet de ma soirée au quatuor, la semaine dernière!], dans cette harmonie aux grappes de sons claires comme des gouttes de couleurs ou de lumières, dans ces détails si finement ciselés, suivi des voix autant que suivi des phrases, rondeur du son… Sans oublier cet usage si, comment dire? intelligent? de la pédale… [intelligence: discernement, compréhension] Quelque chose de tellement plus romantique que tout ce que j’avais imaginé, conçu, cru savoir, au sujet de Ravel et de sa musique… Mais pourtant, tellement évident, sensé, maintenant, tellement clair! Il y a quelque chose de…

…En écrivant plusieurs heures plus tard, mais oui! Je me souviens avoir pensé, lorsque j’analysais le premier mouvement du Quatuor, au Conservatoire, que Ravel était l’héritier assez direct de Haydn, par son travail poussé sur les motifs et la forme; ce soir, je vois la présence de Brahms dans cette filiation spirituelle. Cela dit, ce n’est qu’une intuition de passé minuit…

Je trouve sur internet des liens vers un enregistrement complet des mêmes Valses par ce même Rubinstein… Cette version, de quelques années antérieures, est un peu plus lente, du moins pour la partie que je puis comparer; il y a un bout, oh, quelques mesures, que je trouve trop rapide… Mais le reste! Le charme joue encore. Je trouve aussi la Forlane du Tombeau de Couperin, tout aussi magnifique.

Et le lien, me direz-vous encore? Les nombreux liens? Les constats, disons…

-Un sentiment: Ravel est pour moi « le » compositeur de la nostalgie…
-Une compréhension et un aveu: du temps de mon Conservatoire, je n’avais pas vraiment compris le « style » Ravel, dans le cours d’Harmonie 4e Cycle (il n’avait été qu’évoqué, n’étant pas au programme, cela dit); maintenant, je le reconnais, je crois…
-Un autre aveu: je ne connaissais pas Rubinstein dans Ravel, je suis gêné de le dire…
-Un constat: je suis ravi de disposer de cet enregistrement pour me coucher moins ignorant!
-Autre constat: les enregistrements, à mon sens, sont irremplaçables comme documents, mais hélas, comme produits de consommation, ils ruinent la musique, surtout le concert…
-Une découverte: Arthur Rubinstein, comme le grand Jacques, ne donnait jamais deux fois la « même » œuvre, ce qui relativise la valeur du document (une bonne chose en soi!).
-Donc, c’est encore d’une leçon de liberté qu’il s’agit, liberté face au texte, mais aussi liberté face à soi-même.
-Lien avec le cours de yoga de ce matin: alors que je n’étais pas du tout ému de grincer des dents en souriant faussement, je suis pris aux tripes par cette musique, douce, forte, amère, riche, lumineuse, sombre et parfois si douloureuse…
-D’où le lien avec la Divine: Gaël ne choisirait jamais de faire souffrir quelqu’un dans son cours de yoga; accepter la douleur est une chose, la provoquer en est une autre, et elle sait la différence, elle.
-Finalement, le lien avec Philippe Noireaut, qui faisait un sondage amical, aujourd’hui sur le titre de son prochain album: s’il me lit, je crois qu’il comprendra pourquoi, pour moi, ce serait L’effet et la cause.

2 réponses sur “Yoga, Rubinstein et Ravel (et Noireaut), Montréal, vendredi 25 août 2017”

  1. Mais oui, mon Camarade, je te lis …avec toujours beaucoup d’intérêt et d’admiration devant 1- ton savoir 2- ton talent pour le partager 3- pour la manière quasi cinématographique de raconter., en instantanés, en petites touches apparemment sans liens les unes avec les autres mais qui toujours se tiennent dans le sens plus large du récit et qui nous mettent au coeur de la scène 4- pour la profondeur toujours sous-jacente que tu sais très bien transmettre, , celle toujours cachée au creux même du quotidien, de tous nos quotidiens…bravo l’Ami (et bien noté pour « L’effet et la cause » , bien qu’il semble que « LInfanterre » et surtout « La dormeuse » arrivent en tête du petit sondage! Merci pour être ce que tu es. QUI tu es…un Artiste.

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée.

Ce site utilise Akismet pour réduire le pourriel. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.