Critique du concert Le Messie de Handel et Yannick Nézet-Séguin, Montréal, vendredi 22 décembre 2017

Je ne me permettrais pas de faire une critique un tout petit peu officielle d’aucun concert dans lequel j’ai joué (même si en privé je ne me gêne pas)… Entre autres, parce qu’on ne perçoit pas la musique de la même manière « de l’intérieur », sur scène, que dans la salle. Cette mise au point est cruciale car, alors que j’ai eu le privilège de jouer le Messie à trois occasions, successivement à Montréal, Trois-Rivières (ma version préférée parmi les fois où j’ai joué, avec un chef d’envergure et d’expérience) et Gatineau, occasions séparées par plusieurs années, dans trois orchestres différents, avec trois chefs différents, des solistes différents, et même des versions différentes, puisque, la dernière fois, c’était la version Mozart que nous avons exécutée…

Or, le Messie, pour dire vrai, je ne l’avais jamais entendu « du dehors », jusqu’à ce soir. Disons que, comme première fois, c’est faire les choses en grand: j’écoute l’Orchestre Métropolitain, assez fraîchement revenu de tournée européenne, dirigé par son chef principal, l’incontournable Yannick Nézet-Séguin.

Bon. Dès l’ouverture, dès le premier récitatif, dès la première aria, dès le premier chœur, j’ai chaque fois la même réaction: « [placer ici le juron de votre choix; cette critique est un billet interactif], c’est ça le Messie??!? »

… Pour gagner du temps, pour ne pas avoir l’air trop téteux en ne faisant que des compliments, que dis-je, des éloges, et pour laisser un peu de substance à ma réputation de grincheux, je vais commencer par les critiques. Ce ne sera pas long, il y a assez des doigts d’une seule main pour les compter:

-il y a eu un enchaînement qui m’a paru un peu court à mon goût (mais la version était cohérente et défendable; ça allait avec le parti-pris « allant » de la soirée; j’y reviendrai);
-il y a eu une tête de sujet de fugue où le piano est arrivé trois notes trop tôt à mon goût (même commentaire que précédemment);
-il y a eu deux passages un peu faux dans les basses et un dans les violons (sur environ trois heures de musique);
-il y a eu, je crois, un décalage à la timbale, et
-en vérité, le moment le plus pénible du concert n’avait rien à voir avec la musique: ça a été quand mon [mettre ici le qualificatif méchant de votre choix] de voisin s’est fait craquer les jointures! Ça me retourne l’estomac à tous les coups!

Par contre, en vérité, je ne suis pas du tout certain d’avoir encore assez de cheveux pour compter tout ce qui m’a plu dans la soirée! Voyons, par où commencer?

Par le travail soigné entourant chaque détail? Yannick Nézet-Séguin n’est pas « un chef d’orchestre » normal; il est un animateur d’orchestre et de musique, un sculpteur de son (je crois que cette image a été utilisée par un des critiques qui suivait l’orchestre en tournée; elle est très juste, à mon sens) [ajout du lendemain matin: plutôt que de contrôler les gestes et les pensées de ses musiciens, il est le fédérateur de leurs actions]… Par le découpage, le relief de chaque phrase, si ce n’est chaque note? Par la clarté de chaque intention? Par l’intelligence du propos (dans le sens de la compréhension, de la création de liens dans le langage)? Par la qualité des nuances? Certains crescendo du chœur sont à donner des frissons! Par l’équilibre irréprochable des sections et la construction impeccable des plans sonores? Par la qualité de la diction du chœur et des solistes? Faut dire que, pour une fois, je pouvais lire le texte, ça m’a aidé à le comprendre (ahem…)… Par la qualité et la beauté du chant des solistes (notamment dans les vocalises)? Par le caractère vif mais jamais pressé de la musique, dans les mouvements rapides? Par le côté dansant de la direction et de la musique? Par l’ampleur des mouvements lents, qui ne sont jamais traînants ni lourds? Par la qualité de la direction envers la chorale? Je veux dire que, depuis mon siège, lors des parties chorales, je sentais que le chef faisait pleinement confiance à ses musiciens et dirigeait directement, presque uniquement, la chorale… Ça m’a rappelé que, la première fois que j’ai vu Yannick, il était le tout jeune chef d’une chorale qui jouait avec l’Orchestre Symphonique de Mont-Royal (ancêtre de l’Orchestre Philharmonique du Nouveau-Monde), dirigé alors par Jacques Faubert… Même si Yannick était clairement un surdoué, je ne sais pas si beaucoup de monde imaginait, cette fois-là, le parcours à venir de ce presque gamin… Humblement, je dois dire que j’ai surtout eu l’impression qu’il avait la mèche courte, parce qu’il avait élevé la voix contre sa chorale, mais je n’ai jamais su le fin fond de l’histoire…

En fait, ce qui m’a le plus touché, c’était cet instant où j’ai senti, profondément et clairement, ce que vivait la soprano sur scène… Pardonnez-moi de me mettre en scène, pour un bref instant, mais je veux dire que, lorsque j’accompagne quelqu’un, instrumentiste ou chanteur-chanteuse, j’essaie de donner totalement confiance à la personne, ou aux personnes, que j’accompagne, confiance que je serai là au moment nécessaire… Or, j’ai senti exactement cette impression de confiance, dégagée par la soprano, envers la direction du chef. Chapeau, le chef.

D’ailleurs, il a fini le dernier Amen tout en douceur, oui, oui, il a résisté à la tentation du forte… Chapeau derechef!

Et, lorsque les applaudissements (aussi nourris que mérités) ont commencé, il ne s’est pas retourné tout de suite: il a pris le temps de féliciter et remercier ses musiciens et sa chorale.

Admirable. Irréprochable. Et même, il y a un mot dont l’étymologie est: « qui sort de l’ordinaire », et il s’applique ici:

extraordinaire.

Merci pour ce concert, les musiciens, les solistes, les chefs de chœur et le chef d’orchestre.

Critique du concert « En amour avec le violoncelle », Montréal, samedi 16 décembre 2017

Il y a quelques années, j’ai pris la décision consciente de ne plus être jaloux ni envieux de qui que ce soit. Ce fut une de mes meilleures décisions. Aujourd’hui, elle va encore me servir, parce que je vais critiquer Stéphane Tétreault.

Toujours risqué de toucher à une star… D’autant que c’est la seconde fois que je l’entends de près, et aussi la seconde fois que je le critique; la première, j’étais juge à un concours auquel il participait, voici quelques années.

Cette fois-ci, il était la tête d’affiche dans un concert organisé au Conservatoire de musique de Montréal par Denis Brott, qui y enseigne.

J’ai encore découvert plein de musique dans ce concert à géométrie variable. Comme la première pièce: le duo opus 22 en Do de Friedrich August Kummer, très bien tourné; ça fait penser aux duos d’Offenbach, comme facture. Le maître et l’étoile affichent leur bonne humeur, leur joie, leur plaisir de jouer cette pièce et de partager ces moments. Dans un sens, c’est un concert très visuel.

Ensuite, il y a la 5e Suite de Jean-Sébastien Bach, arrangée pour deux violoncelles par László Varga; l’arrangement est inspiré de la version pour luth de cette même suite, version réalisée par Bach lui-même. Surprise: alors que la Suite originale est en do mineur, celle-ci est en sol mineur… Enfin, bon, ça va, quoi. Le Bach de Brott et Tétreault n’est pas tout-à-fait dans la veine qui me parle; esthétiquement, c’est très bien, mais il manque un je-ne-sais-quoi… Pour moi, cette Suite est belle et tragique; ce soir, elle n’était que belle (ce qui est quand même déjà remarquable, je le reconnais volontiers). Mon coup de barre habituel des soirs de concerts m’a frappé pendant cette pièce, donc je dois confesser ne pas avoir pu constater si c’était aussi visuel que le reste.

La première partie s’est conclue sur la Suite pour deux violoncelles et piano de Gian Carlo Menotti, une autre découverte pour moi. Suzanne Blondin assure, fort bien, la partie de piano. Voilà une pièce que j’ai bien hâte de réentendre (ou de jouer), pleine de finesse, d’intelligence et de vivacité d’esprit, très bien rendue par les trois artistes. C’est peut-être aussi celle qui a été le mieux répétée du programme; j’y reviendrai. Notons que c’est encore très visuel.

Après la pause, la formation s’élargit, alors que le Requiem opus 66 de David Popper est présenté à six violoncelles (trois voix doublées) et piano. C’est toujours un pari risqué, de jouer à deux par partie: ça rend le fondu sonore plus difficile… Et cette fois-ci ne fera pas exception à la règle. Mais au fond, c’est cohérent avec l’esprit directeur du concert; j’y reviendrai aussi, très bientôt. Visuel? Ben oui!

Puis voici des extraits des deux Bachianas Brasileiras, les numéros 1 et 5, qui sont essentiellement à huit violoncelles: dans les deux cas, le mouvement final sera omis.

Donc, premier et deuxième mouvements de la première… Ça… Euh, ça… Hum, il y a quelque chose qui cloche… Mais quoi? Observons… Ce n’est pas net, le centre sonore est massif, oups, un petit décalage… C’est encore très visuel… Pardon? Ce que je veux dire par « visuel »? Je parle particulièrement de Stéphane Tétreault, qui « exprime » sa musique par force gestes, mimiques, mouvements… D’ailleurs, Chloé Dominguez, sa voisine de pupitre, doit « entrer dans la danse » (elle le fait en souriant), ne serait-ce que pour éviter un coup de coude malencontreux…

… Bon sang, c’est ça qui ne marche pas: Stéphane Tétreault joue comme un soliste, pas comme un chambriste. Est-il bon? Oui! C’est juste, c’est expressif, c’est sonore, il y a des jeux de couleurs et de nuances très marqués, très variés, y compris un pianissimo splendide, à un certain moment… Mais c’est lorsqu’il est seul qu’il joue si doucement; en groupe, il est presque toujours saillant par rapport aux autres (à une exception près, j’y reviendrai très bientôt). Lorsqu’il jouait en duo et en trio, avec Denis Brott et Suzanne Blondin, ce n’était pas aussi perceptible que dans un groupe plus large.

Mais il n’est pas le seul; c’est la culture dominante de ce groupe, l’esprit directeur du concert dont je parlais tantôt: voici, en fait, un ensemble de solistes. Il n’y a pas de travail de fondu des timbres des « sections », pas de travail sur les plans sonores (je le sais, car cette Bachianas je l’ai jouée et quelque peu dirigée, du même coup). Ça pourrait s’expliquer par le peu de temps de répétition probablement accordé à la préparation de ce concert… Car je sens qu’il n’y en a pas eu beaucoup, ce qui serait conforme aux contraintes courantes de la vie musicale moderne, hélas…

Cela dit, mon sentiment est que c’est plutôt un choix éditorial, si j’ose dire. La preuve: la voix grave, qui a été confié à quelqu’un qui me semble peu expérimenté, prend très (trop) peu de place, ce qui, pour un ensemble de violoncelles, est quand même fort de ketchup, si j’ose dire derechef. Une note en passant: lorsque j’ai dirigé cette pièce, je jouais justement la voix grave.

Comprenons-nous bien: je suis ravi que des étudiant-e-s aient participé à ce concert, et tout le monde était bon, ou très bon, ou très très bon, voire excellent, pas de souci de ce côté. Mais les qualités brutes des instrumentistes ne peuvent pas compenser d’elles-mêmes les lacunes de « recomposition » de cette musique d’ensemble. Même les excellents chambristes que sont Chloé Dominguez, Pierre-Alain Bouvrette et Élisabeth Dubé (qui n’a joué que dans la toute dernière pièce; à son arrivée, les basses ont été assurées) ne pouvaient pas renverser le cours des choses.

Bachianas Brasileiras No 5. Aline Kultan, soprano, se joint au groupe pour le premier mouvement. La fois précédente où j’ai entendu ce mouvement, c’était dans un arrangement pour contrebasse (qui jouait la mélodie sur sa 5e corde, aigüe), guitare et percussions. C’était beaucoup moins spectaculaire mais beaucoup plus fondu, justement, malgré la différence de timbre entre les instruments; ceux-là avaient beaucoup joué ensemble et réfléchi à leurs plans sonores (en vérité, c’est en y repensant que j’ai compris ce qui clochait, ce soir; autrement dit, ma critique est une petite entorse au suivi historique).

… Bon, je parlais de ma résolution de ne pas être jaloux ni envieux, mais j’aurais peut-être intérêt à en prendre une au sujet de ma facilité à chialer… Parce qu’on pourrait croire, vu mes critiques, que j’ai grogné pendant une bonne partie du concert…

Ce serait une erreur. D’abord, à cause de l’Hymnus pour 12 violoncelles, opus 57  de Julius Klengel, qui venait clore le programme. Une autre découverte pour moi, une autre pièce que j’ai hâte de réentendre (ou de jouer), parce que c’est vraiment très beau. Aussi, parce qu’un ensemble de violoncelles, c’est vraiment très beau en soi. Et, avant d’être taxé de partialité (ce qui est probablement vrai), je défie quiconque de me proposer un autre orchestre d’instruments identiques qui sonne aussi bien… J’aimerais qu’il y ait plus de concerts d’ensembles de violoncelles, et, selon les commentaires entendus à la sortie du concert, je suis loin d’être le seul.

Aussi, à cause de toutes les qualités de ce concert que j’ai mentionnées jusqu’ici; également, parce que c’est important d’avoir encore le privilège d’assister à des concerts de musique vivante, ce qui nous donne ensuite, à notre tour, le privilège de les critiquer…

Mais surtout, surtout, pour « le » moment de fondu de la soirée: lorsque la soprano est allé chercher son la aigu, à la toute fin de son mouvement, et que l’ensemble de violoncelle a joué le la grave… Cette note-là était sublime, et je pèse mes mots; elle valait, à elle seule, le prix du billet et plus encore.

Oui, je sais, c’est fou… Pis c’est comme ça.

Deux saisons d’orchestre (été – automne 2017)

Alors, cet été et cet automne, il y a eu l’OSS (Sherbrooke), la Sinfonia de Lanaudière (quelques fois), l’OSG (Gatineau), l’OPNM (Orchestre Philharmonique du Nouveau Monde, couronne nord de Montréal), pour deux programmes, l’OSD (Drummondville) en dernière minute: j’ai été appelé moins de deux heures et demie avant le début de la première répétition!

Il y a eu Franck, Ravel, Sibelius, Haendel, Mozart, Schubert, Vivaldi, les Beatles et, bien sûr, des chansons de Noël (on n’y échappe pas!).

Il y a eu beaucoup de route, parfois seul, parfois avec des compagnons et compagnes fort agréables, souvent en auto, parfois en bus. Il y a eu des repas sur la route, en groupe, seul, de la cuisine dans un petit appartement… Une trouvaille: Saint Sushi, sur Duluth.

Des moments de stupeur, comme lorsque la violon solo demande au chef:

-Qu’est-ce que tu veux qu’on fasse, ici?

-[il regarde sa partition en tournant les pages] Euh, on va reprendre au début.

-Mais… On fait quoi?!?

-Euh… Ça va certainement aller mieux la prochaine fois…

Un moment d’inquiétude lorsque la violon solo est passée par-dessus bord d’une scène non protégée, heureusement sans trop de mal. N’empêche… grrr…

Un moment de froid intrigant, au festival d’opéra de Québec: c’était l’été, en principe, mais tout le monde était en manteau: on gelait!

Des moments de grâce lorsque j’ai eu le privilège, comme violoncelle solo, d’accompagner les chanteuses dans le Gloria de Vivaldi.

Esquissé passé, Outremont, jeudi 14 décembre 2017

La grand-mère est allongée sur le divan, juste à côté. Au début, elle a commenté (félicité) quelques fois, mais là, elle ronfle, carrément.

Le chien, ou plutôt le chiot, a été castré il y a quelques jours. La pauvre bête se promène avec un collier en entonnoir, ce que les anglos appellent un col élisabéthain (c’est pas une blague), et se cogne un peu partout. Au début de la leçon, il jappe férocement. Bon, eh, je suis juste en train d’accorder!

Mon élève appelle son mari, pour qu’il vienne s’occuper du chien; T. passe et joue avec le chien trois minutes puis retourne au match. Il remontera quelques fois, descendra le chien, qui remontera systématiquement.

Max (le chiot en question) finit par se trouver un jouet qui lui convient: un genre de dinosaure (un stégosaure, me semble), violet et bleu, avec des écailles jaunes.

Il installe sa peluche entre les deux chaises de la leçon de violoncelle et se met à la zigner énergiquement. Je le regarde faire, en disant: « Trop tard… »

Je ne sais plus si c’est le chiot qui zigne ou la grand-mère qui ronfle, mais K. et moi éclatons de rire.

La soirée et la leçon ne sont pas finis. Max pissera de joie lorsqu’il reconnaîtra l’amie d’O., le fils de K. et T.

Euh, oui, pardon? La musique? Ben, ça va très bien, merci!

Esquissé passé, Montréal, mardi 12 décembre 2017

-Vous êtes pas habitués à grand-chose, vous les Québécois… La dame était un cas de misère sociale, elle a été amenée à l’hôpital parce qu’elle était confuse. Elle avait des marques rouges à cause des puces de lit. Elle a été mise dans une chambre privée, en isolement. Tout le monde avait peur d’aller la voir, mais pas moi. Elle est en jaquette d’hôpital, elle n’a plus rien; les puces, elles sont chez elle. J’ai dit que quand j’étais petite, j’ai eu la gale; tout le monde avait peur de moi!

[…] – Ils m’ont forcée à mettre une blouse d’isolement! Je leur ai dit voyons, elles ne vont pas me sauter dessus! C’est un gaspillage de ressources!