Je ne me permettrais pas de faire une critique un tout petit peu officielle d’aucun concert dans lequel j’ai joué (même si en privé je ne me gêne pas)… Entre autres, parce qu’on ne perçoit pas la musique de la même manière « de l’intérieur », sur scène, que dans la salle. Cette mise au point est cruciale car, alors que j’ai eu le privilège de jouer le Messie à trois occasions, successivement à Montréal, Trois-Rivières (ma version préférée parmi les fois où j’ai joué, avec un chef d’envergure et d’expérience) et Gatineau, occasions séparées par plusieurs années, dans trois orchestres différents, avec trois chefs différents, des solistes différents, et même des versions différentes, puisque, la dernière fois, c’était la version Mozart que nous avons exécutée…
Or, le Messie, pour dire vrai, je ne l’avais jamais entendu « du dehors », jusqu’à ce soir. Disons que, comme première fois, c’est faire les choses en grand: j’écoute l’Orchestre Métropolitain, assez fraîchement revenu de tournée européenne, dirigé par son chef principal, l’incontournable Yannick Nézet-Séguin.
Bon. Dès l’ouverture, dès le premier récitatif, dès la première aria, dès le premier chœur, j’ai chaque fois la même réaction: « [placer ici le juron de votre choix; cette critique est un billet interactif], c’est ça le Messie??!? »
… Pour gagner du temps, pour ne pas avoir l’air trop téteux en ne faisant que des compliments, que dis-je, des éloges, et pour laisser un peu de substance à ma réputation de grincheux, je vais commencer par les critiques. Ce ne sera pas long, il y a assez des doigts d’une seule main pour les compter:
-il y a eu un enchaînement qui m’a paru un peu court à mon goût (mais la version était cohérente et défendable; ça allait avec le parti-pris « allant » de la soirée; j’y reviendrai);
-il y a eu une tête de sujet de fugue où le piano est arrivé trois notes trop tôt à mon goût (même commentaire que précédemment);
-il y a eu deux passages un peu faux dans les basses et un dans les violons (sur environ trois heures de musique);
-il y a eu, je crois, un décalage à la timbale, et
-en vérité, le moment le plus pénible du concert n’avait rien à voir avec la musique: ça a été quand mon [mettre ici le qualificatif méchant de votre choix] de voisin s’est fait craquer les jointures! Ça me retourne l’estomac à tous les coups!
Par contre, en vérité, je ne suis pas du tout certain d’avoir encore assez de cheveux pour compter tout ce qui m’a plu dans la soirée! Voyons, par où commencer?
Par le travail soigné entourant chaque détail? Yannick Nézet-Séguin n’est pas « un chef d’orchestre » normal; il est un animateur d’orchestre et de musique, un sculpteur de son (je crois que cette image a été utilisée par un des critiques qui suivait l’orchestre en tournée; elle est très juste, à mon sens) [ajout du lendemain matin: plutôt que de contrôler les gestes et les pensées de ses musiciens, il est le fédérateur de leurs actions]… Par le découpage, le relief de chaque phrase, si ce n’est chaque note? Par la clarté de chaque intention? Par l’intelligence du propos (dans le sens de la compréhension, de la création de liens dans le langage)? Par la qualité des nuances? Certains crescendo du chœur sont à donner des frissons! Par l’équilibre irréprochable des sections et la construction impeccable des plans sonores? Par la qualité de la diction du chœur et des solistes? Faut dire que, pour une fois, je pouvais lire le texte, ça m’a aidé à le comprendre (ahem…)… Par la qualité et la beauté du chant des solistes (notamment dans les vocalises)? Par le caractère vif mais jamais pressé de la musique, dans les mouvements rapides? Par le côté dansant de la direction et de la musique? Par l’ampleur des mouvements lents, qui ne sont jamais traînants ni lourds? Par la qualité de la direction envers la chorale? Je veux dire que, depuis mon siège, lors des parties chorales, je sentais que le chef faisait pleinement confiance à ses musiciens et dirigeait directement, presque uniquement, la chorale… Ça m’a rappelé que, la première fois que j’ai vu Yannick, il était le tout jeune chef d’une chorale qui jouait avec l’Orchestre Symphonique de Mont-Royal (ancêtre de l’Orchestre Philharmonique du Nouveau-Monde), dirigé alors par Jacques Faubert… Même si Yannick était clairement un surdoué, je ne sais pas si beaucoup de monde imaginait, cette fois-là, le parcours à venir de ce presque gamin… Humblement, je dois dire que j’ai surtout eu l’impression qu’il avait la mèche courte, parce qu’il avait élevé la voix contre sa chorale, mais je n’ai jamais su le fin fond de l’histoire…
En fait, ce qui m’a le plus touché, c’était cet instant où j’ai senti, profondément et clairement, ce que vivait la soprano sur scène… Pardonnez-moi de me mettre en scène, pour un bref instant, mais je veux dire que, lorsque j’accompagne quelqu’un, instrumentiste ou chanteur-chanteuse, j’essaie de donner totalement confiance à la personne, ou aux personnes, que j’accompagne, confiance que je serai là au moment nécessaire… Or, j’ai senti exactement cette impression de confiance, dégagée par la soprano, envers la direction du chef. Chapeau, le chef.
D’ailleurs, il a fini le dernier Amen tout en douceur, oui, oui, il a résisté à la tentation du forte… Chapeau derechef!
Et, lorsque les applaudissements (aussi nourris que mérités) ont commencé, il ne s’est pas retourné tout de suite: il a pris le temps de féliciter et remercier ses musiciens et sa chorale.
Admirable. Irréprochable. Et même, il y a un mot dont l’étymologie est: « qui sort de l’ordinaire », et il s’applique ici:
extraordinaire.
Merci pour ce concert, les musiciens, les solistes, les chefs de chœur et le chef d’orchestre.