Critique de concert: Sasi Ardiak, Montréal, dimanche 1er juillet 2018

La vie, parfois, on en fait un récit linéaire, mais en réalité, c’est un faisceau de circonstances. Être né dans une autre famille, serais-je violoncelliste, aujourd’hui? Ne pas avoir été violoncelliste, je n’aurais pas fait les quelques tournées que j’ai faites, je n’aurais pas rencontré les gens que je connais, etc…

Plus prosaïquement, si ma répétition de ce soir s’était réellement terminée à l’heure prévue, je ne serais probablement pas allé au concert de Sasi Ardiak. Mais avant ça, si ma mère ne me l’avait pas rappelé, je n’y serais pas allé non plus. J’avais reçu l’invitation à l’événement Facebook, mais comme ça tombait un soir de répétition, je me disais, bah… Pourtant, c’était bien le dernier concert à Montréal d’une amie Basque, qui est arrivée il y a deux ans pour compléter ses études.

Et franchement, qu’est-ce que j’aurais manqué?!?

Du folklore basque.

Oui, mais, minute…

D’accord, c’est du folklore, donc il y a une simplicité dans la musique, tsé, des répétitions, couplet-refrain, genre…

Oui, mais minute… Le couplet et le refrain, là, ils ne sont pas toujours (voire pas souvent) écrits en mesures régulières, tsé… Pis il y a des altérations de la septième, en particulier, et au moins un mode autre que le majeur/mineur de base. Il y a là-dedans tellement plus d’invention que dans les machins indigents entendus à Villafranca del Bierzo, il y a un peu plus d’un an.

…Après relecture, je modifie ma phrase: « Contrairement aux machins indigents entendus à Villafranca del Bierzo, ici, il y a de l’invention » serait plus exact.

Bon, un quatuor de folklore basque.

Oui, mais, minute… D’abord, ils sont « tight » en maudit, rythmiquement. C’est pas mal l’exact contraire du n’importe quoi. Pis y jouent juste. Pis y jouent pas qu’un instrument par personne. Jokin, à gauche, il joue du pandero. Du quoi? C’est le nom scientifique du tambour (de) basque. Oui, le cousin d’infortune de la flûte à bec en plastique, tsé, l’autre instrument de torture des classes de musique au primaire. Ben, il se trouve que, lorsque quelqu’un sait en jouer, ça peut vraiment devenir aussi un instrument de musique, genre. Il joue également, ce soir, sur un tom et une caisse claire. Pour ceux qui le connaissent, je dirais que Jokin me fait penser à Zia Tabassian. Oui, c’est un compliment. À côté, il y a Pauline, qui joue de la xirula (prononcer chiroula), et du txistu (prononcer tchistou). Kèkcékça? Ce sont des espèces de petits cousins de la flûte à bec dont on parlait tantôt, mais il y a nettement moins de trous, juste trois. Pourtant, ça joue à peu près autant de notes qu’une flûte à bec. Et, contrairement aux instruments de torture, ça sonne vachement bien! Surtout quand c’est joué avec aisance, comme c’est ici le cas. Après, il y a Maider, qui joue essentiellement de l’accordéon, mais aussi de l’alboka, un machin qui ressemble à une pipe à deux fourneaux, et qui sonne nasillard un peu. Disons que ça évoque la cornemuse, moins le sac de peau et les nombreux tuyaux annexes. C’est donc foncièrement beaucoup plus facile à transporter, ce qui est un avantage non négligeable. Le chauffeur d’autobus qui m’a dit, une fois, en me voyant avec mon violoncelle, que « tu aurais dû écouter ta mère… Jouer du pipo! » serait content. [note: non, le chauffeur d’autobus en question ne connaissait clairement pas ma mère, mais je digresse] Finalement, à droite, il y a Vianney, qui joue essentiellement de l’euphonium, un genre de tuba au registre de trombone, mais aussi de l’alboka.

Mais c’est pas tout: Jokin est parolier et Maider et Vianney sont compositeurs. Ils ne font pas que des originaux, dans le groupe, mais autrement ils sont arrangeurs de la plupart de leurs pièces.

Parolier, oui, car ce n’est pas tout: ils chantent, aussi, tous. Ici, il y aura ma seule vraie critique de la soirée: il resterait un peu de travail de justesse à faire sur les versions a capella à quatre voix…

Oui, mais… D’abord, ils osent! chanter a capella à quatre voix, ce qui est tout à leur honneur. Ensuite, c’est beau, c’est chaleureux, c’est délicat, c’est fluide, c’est sonore. Comme ce qu’ils font à l’instrument, d’ailleurs. Je dirais même plus: c’est naturel, aussi comme ce qu’ils font à l’instrument.

Ils font quoi, déjà, à l’instrument? Ben, des accents déplacés, du deux contre trois, parfois, des arrangements assez complexes merci, l’euphonium joue parfois sur les contretemps, parfois des descentes chromatiques échevelées, l’accordéon remplace parfois un orchestre à lui tout seul…

Orchestre… Ben oui, il y a un véritable travail « orchestral », et pas seulement à l’accordéon, sur les textures, les couleurs, les sonorités, les nuances. Ces gens sont habitués de jouer ensemble, ça se voit, ça se sent. Dans leur précision de groupe, dans leur justesse (impeccable, lorsqu’il est question d’instruments, ou de voix accompagnée, soit dit en passant), mais aussi dans leur élan commun, dans la confiance manifeste des uns envers les autres, mais aussi dans le fait que personne n’essaie d’être plus grand que le groupe, mais aussi dans l’absence de cabotinage.

Car ils ne bougent pas beaucoup. Juste assez, en fait. Ils ne font pas des tas de fioritures non plus. Que font-ils? De la musique, c’t’affaire! Avec compétence, intelligence et sensibilité. Et humour, en fait. C’est discret mais assez fréquent. Et avec une capacité certaine à animer les foules.

Mais surtout, surtout, avec plaisir, en vérité. Plaisir dont ils ne sont pas du tout avares; au contraire, ils le partagent volontiers. Et, miracle de la musique, plus le plaisir est partagé, plus il y en a à partager.

Dire que si j’étais resté assis sur mon cul comme je pensais initialement le faire, je n’aurais même pas su tout ce que j’aurais manqué…

… Là, au contraire, j’ai adoré.

Merci beaucoup!

2 réponses sur “Critique de concert: Sasi Ardiak, Montréal, dimanche 1er juillet 2018”

  1. C’est comme toujours, passionnant, bien écrit, superbement compétent et ça donne envie de découvrir…bref tout ce qu’un(e) critique digne de ce nom devrait être, mais n’est que trop rarement…encore une fois, bravo, Camarade!

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