Critique de concert: MISQA, Montréal, vendredi 24 août 2018

Je me suis fait offrir deux billets pour le concert de ce soir de MISQA, autrement dit McGill International String Quartet Academy. Je n’ai trouvé personne pour m’accompagner, ce qui fait que le second billet est allé à quelqu’un qui était sur la liste d’attente. Conséquence: pendant la deuxième partie du concert, ma nouvelle voisine (qui n’y était pas pendant la première partie) m’a fait entendre le fonctionnement de ses intestins, qui s’agitaient tellement que, lorsque le quatuor jouait pianissimo, les gargouillis l’enterraient… Mais c’est une autre histoire.

Bon; ce soir, il y a eu des tas de bonnes nouvelles, des tas de découvertes, des confirmations de tendances, et, euh, bon… zut, j’aurais voulu être content de tout… Ce ne sera pas le cas, mais j’y reviendrai.

En première partie, le quatuor Viano, canada-américain, jouait l’op. 74 No 1 de Haydn et le 4e quatuor de Bartók. Après la pause, le quatuor sud-coréen Esmé a présenté l’Op. 133 de Beethoven.

Alors, pour les constats… Dans le premier quatuor, il y a deux hommes et deux femmes; le second est totalement féminin. Est-ce que cette présence des femmes change quelque chose à la musique de chambre? Je veux dire, par rapport à l’époque où les quatuors comme le Paganini, le Melos, l’Alban Berg, l’Amadeus et tant d’autres, étaient exclusivement masculins? Hum, comment dire… D’un point de vue féministe, certainement, mais d’un point de vue musical… en fait, non. Dans les deux cas, les nuances sont très marquées, la justesse impeccable, le rythme et la mesure totalement clairs, les moments d’attente pleinement assumés.  Pas de moment de grâce, mais « presque » pas de défaut non plus. Bon, le travail sur les timbres et les couleurs est encore embryonnaire (sauf dans le Bartók, en fait, où il est plus poussé, par la force des choses), mais faut quand même se rappeler qu’il est question d’ensembles récents, composés de membres bien jeunes encore. Le début du Beethoven sonne presque « metal », comme il se doit (à mon sens).

Autre constat: deux des membres du quatuor canado-américain et toutes celles du quatuor sud-coréen sont asiatiques, au moins d’origine. Le futur de la musique classique de tradition européenne serait-il de l’autre côté du Pacifique?

Entre le Haydn et le Bartók, les deux violonistes du premier quatuor changent de chaise. Je ne suis pas totalement certain que le premier-violon-du-Haydn-devenu-second-violon-du-Bartók était content du changement… J’ai eu le sentiment qu’il en faisait un peu plus que ce que ferait un second violon respectueux… Difficile à expliquer, mais c’est comme s’il avait voulu prendre la place… D’où ma question à ce sujet: pourquoi changer de chaise? Ciel, que ça va devenir compliqué. Notons que je n’ai aucune objection de principe à ce que la seconde-violon-du-Haydn devienne première-violon-du-Bartók; c’est seulement si ça tourne au conflit larvé que j’ai un problème, et je n’ai pas de réponse toute faite quant à ce qui « devrait » être la « bonne » solution.

Autrement, au chapitre des bonnes nouvelles, les deux excellentes altistes confirment, une fois encore, que les blagues d’altos sont probablement en voie de disparition. Le son est ample, riche, et lors des croisements de voix avec les violoncelles, la base harmonique est richement assumée.

Autre bonne nouvelle: alors que je n’ai pas raffolé du premier quatuor de Bartók (entendu sur disque il y a plusieurs années), je dois dire que j’ai trouvé le 4e intéressant, au point même que je serais très curieux de le jouer, tiens! Et aussi que je crois avoir mieux compris l’op. 133 de Beethoven. Oui, oui, celui de la Grande fugue. Bon, je continue de préférer, en matière de quatuors à cordes, le Beethoven qui avait toute son oreille des neuf ou dix premiers quatuors (opus 18 et 59, plus le quatuor « Harpe éolienne »), coloré, limpide, au Beethoven quelque peu torturé et déchiré de l’opus 133, mais au moins, cette fois-ci, j’ai réalisé (finalement! Mais en vérité, c’est juste la seconde fois que je l’écoute, oups!) que la « Grande fugue » est, en réalité, une série de variations! Hum, je le redis, je préfère l’espèce de fugue-sonate du finale de l’op. 59 no 3…

Mais j’ai quand même beaucoup mieux saisi les tensions, le drame interne de tout ce quatuor, j’aurais envie de remercier le quatuor Esme, sauf que…

Sauf que, « ta barre n’a qu’deux kriss! », comme on dit en Malaisie. Car oui, il y avait des malaises… À cause, misère totale! de la violoncelliste! Elle a un son magnifique, elle joue juste, et bien, sauf, sauf…

Sauf qu’elle oublie, d’une part, de couper la résonance de son do à l’octave de la corde ouverte, assez souvent, ce qui peut créer des dissonances… Mais ce n’est pas le pire.

Le pire, c’est que, lorsqu’elle joue sur la corde de ré, dès que la nuance dépasse le mf, elle accroche la corde de sol. Pas une fois, pas deux fois, ce serait excusable, tsé, un excès d’enthousiasme, genre… Mais non! Chaque fois! Aaaargh! J’en étais rendu à guetter les changements de dynamique pour savoir quand j’entendrais de nouveau ce bourdon parasite!

Mais, minute! Dans MISQA, il y a bien A pour Academy? Voyons, la liste des profs… Tiens, ces jeunes ont eu des leçons privées et des classes de maîtres avec des tas de gens sérieux, par exemple, ici, Peter Prause, violoncelliste du quatuor Talich, et ici Valentin Erben, autrefois violoncelliste du quatuor Alban Berg… 

Et personne ne lui aurait rien dit, à cette pauvre fille? Ben voyons!?! Laisser passer une erreur d’école secondaire dans un récital qui serait, autrement, de qualité professionnelle? 

Bon, défaut technique? Chevalet trop plat? Pas son violoncelle habituel? Quelle que soit la raison, honnêtement, vous me reparlerez du quatuor Esme lorsque la violoncelliste aura corrigé ce problème.

Critique de concert: Abrazouver, dimanche 12 août 2018, Salles-sur-Cérou

Ils sont six, quatre hommes et deux femmes, ils ne sont pas jeunes, ils ne sont pas musiciens professionnels, ils jousent (excusez-la!), dans l’ordre ou le désordre, de la flûte traversière normale ou alto baroque (en bois, moins de clés); de la basse ou de la guitare; du tambour ou rien pan toute; de la clarinette ou rien pan toute, de la harpe celtique verte ou couleur bois (selon l’emplacement); de la guitare… Bon, ça fait six, le compte est bon. Ils chantent, aussi, tous.

Ils ont commencé dehors, l’orage menaçait, je leur ai suggéré de rentrer, ils ont fait bof, il s’est mis à pleuvoir pour de vrai, tout le monde est rentré en pagaille. Nous sommes passés des murs vestiges d’une très vieille maison effondrée aux murs restaurés d’une très vieille maison en bon état, il s’est mis à faire de plus en plus chaud parce qu’il y avait un monde impressionnant.

Impressionnant, une trentaine de personnes? Oui! Parce que c’est un groupe inconnu qui joue dans un (par ailleurs très joli) trou perdu du fin fond de la France profonde, un concert à peine annoncé, sans vedettes ni rien, même pas d’amplification. Cela dit, moi, le professionnel, j’ai déjà joué pour moins de monde que ça… Ici, c’est à peine si la salle peut contenir tout le monde.

Pourquoi est-ce bon? Pourquoi est-ce tellement bon que je suis ravi d’avoir passé ma soirée à les écouter?

Hum… Dans l’ordre et le désordre… Nous, les classiques, sommes formés à jouer la bonne note au bon moment, de la bonne manière. Eux, les amateurs, ben, disons que ça dépend. Il y a des moments d’ordre, où tout est remarquablement en place, et alors c’est très bon, il y a aussi pas mal de moments de désordre, où le guitariste-bédéiste et le bassiste-bijoutier se mélangent les pinceaux… Mais ça ne réussit pas à être vraiment mauvais. Pourquoi, derechef?

Bon, le désordre, ça suffit pour l’instant, classons nos idées, en commençant par ce qui relève directement du domaine musical « technique », disons. Premier point: quand ils chantent, c’est juste, à de très rares exceptions près, qui, à mon avis, relèvent plus de déficiences de techniques vocales (particulièrement de choix de registre) que de déficit d’audition. Ce qui veut dire que oui, ce groupe a du potentiel. Beaucoup. Si la pensée qui guide l’action instrumentale fonctionnait avec les mêmes références que celle qui guide l’action vocale, ce serait très juste.

Aussi, le « time » (pardonnez l’anglicisme) est généralement bon. Suggestion: pensez plus mesure que temps individuel; je crois que ça va régler pas mal tous les petits accrocs de ce côté.

Mais enfin, pourquoi ces deux bijoutiers, cette conteuse, ce restaurateur, ce bédéiste et ce, euh, lui j’ignore ce qu’il fait, je sais seulement qu’il est Allemand, enfin, bref, pourquoi font-ils de la musique?

C’est là que ça devient vraiment intéressant. Cette musique, c’est un partage. C’est aussi une thérapie, la harpiste-conteuse l’a dit, et ça se voit, ça se sent, dans la profondeur, dans l’épaisseur de chaque chanson, dans le travail d’arrangement, car oui, il y a un vrai travail, et pas deux chansons pareilles. D’ailleurs, il y a beaucoup de variété dans le choix même du répertoire: on entend des trucs du Moyen-Âge et des créations récentes, bretonnes, françaises, allemandes, écossaises, irlandaises, il y a des chansons en anglais, nous avons même croisé Henri Salvador et Boris Vian, tout comme Leonard Cohen et les Cowboys fringants!

Mais pourquoi la musique, encore? Je crois, tout simplement, que ce groupe est l’illustration exacte de mon impression que la musique est quelque chose d’essentiel à l’humanité; elle n’est pas forcément « importante », comme la nourriture, le sommeil, mais  il y a des pans entiers de ces personnes qui existent par ce biais. Pas juste de « ces » personnes devant moi, ce soir, d’ailleurs. Mais bref, ils ne jouent jamais au neutre. Il y a quelque chose de senti, tout le long de chaque chanson. C’est pour ça que c’est si bon.

Merci, Abrazouver.

Euh, hum, j’allais oublier… J’ai quand même une vraie critique à vous adresser… Pas seulement à vous, d’ailleurs… Mautadine que les amateurs ne savent pas saluer! Je devrais donner des cours, je crois.

Et un seul souci: si, dans tout ce beau monde, la jeunesse de cœur était abondante, pour la jeunesse de peau, c’est une autre histoire. Bande d’amis? Fossé des générations? Fin d’une certaine civilisation? Le public me faisait penser, sans ironie, au public des concerts classiques de Montréal, en terme de démographie!

Enfin, j’ai quand même hâte de vous réentendre.

Carnet de route, Bruxelles – Allemagne, vendredi 3 août 2018

Remémoré, hier, en arrivant à Bruxelles, que mon père y est passé en 1958. Un clin d’œil de soixante ans.

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À Cologne, tous les trains étaient en retard, c’était le chaos dans la gare. Britta m’explique que c’est à cause de la chaleur! Les arrivées et départs ne se font pas toujours sur les quais habituels et les gens sont à cran. C’était un peu la même chose à Bruxelles, mais en moins pire.

Apparemment, il ne fait pas si chaud, si longtemps, habituellement, en Europe du centre. Britta me dit, plus tard, que les Allemands avaient l’habitude de voyager pour aller chercher le soleil, mais là, dans l’absolu, ce n’est plus nécessaire!

Cela dit, je n’ai pas bien retenu le lien entre la chaleur et la rupture des horaires de train.