Ils sont six, quatre hommes et deux femmes, ils ne sont pas jeunes, ils ne sont pas musiciens professionnels, ils jousent (excusez-la!), dans l’ordre ou le désordre, de la flûte traversière normale ou alto baroque (en bois, moins de clés); de la basse ou de la guitare; du tambour ou rien pan toute; de la clarinette ou rien pan toute, de la harpe celtique verte ou couleur bois (selon l’emplacement); de la guitare… Bon, ça fait six, le compte est bon. Ils chantent, aussi, tous.
Ils ont commencé dehors, l’orage menaçait, je leur ai suggéré de rentrer, ils ont fait bof, il s’est mis à pleuvoir pour de vrai, tout le monde est rentré en pagaille. Nous sommes passés des murs vestiges d’une très vieille maison effondrée aux murs restaurés d’une très vieille maison en bon état, il s’est mis à faire de plus en plus chaud parce qu’il y avait un monde impressionnant.
Impressionnant, une trentaine de personnes? Oui! Parce que c’est un groupe inconnu qui joue dans un (par ailleurs très joli) trou perdu du fin fond de la France profonde, un concert à peine annoncé, sans vedettes ni rien, même pas d’amplification. Cela dit, moi, le professionnel, j’ai déjà joué pour moins de monde que ça… Ici, c’est à peine si la salle peut contenir tout le monde.
Pourquoi est-ce bon? Pourquoi est-ce tellement bon que je suis ravi d’avoir passé ma soirée à les écouter?
Hum… Dans l’ordre et le désordre… Nous, les classiques, sommes formés à jouer la bonne note au bon moment, de la bonne manière. Eux, les amateurs, ben, disons que ça dépend. Il y a des moments d’ordre, où tout est remarquablement en place, et alors c’est très bon, il y a aussi pas mal de moments de désordre, où le guitariste-bédéiste et le bassiste-bijoutier se mélangent les pinceaux… Mais ça ne réussit pas à être vraiment mauvais. Pourquoi, derechef?
Bon, le désordre, ça suffit pour l’instant, classons nos idées, en commençant par ce qui relève directement du domaine musical « technique », disons. Premier point: quand ils chantent, c’est juste, à de très rares exceptions près, qui, à mon avis, relèvent plus de déficiences de techniques vocales (particulièrement de choix de registre) que de déficit d’audition. Ce qui veut dire que oui, ce groupe a du potentiel. Beaucoup. Si la pensée qui guide l’action instrumentale fonctionnait avec les mêmes références que celle qui guide l’action vocale, ce serait très juste.
Aussi, le « time » (pardonnez l’anglicisme) est généralement bon. Suggestion: pensez plus mesure que temps individuel; je crois que ça va régler pas mal tous les petits accrocs de ce côté.
Mais enfin, pourquoi ces deux bijoutiers, cette conteuse, ce restaurateur, ce bédéiste et ce, euh, lui j’ignore ce qu’il fait, je sais seulement qu’il est Allemand, enfin, bref, pourquoi font-ils de la musique?
C’est là que ça devient vraiment intéressant. Cette musique, c’est un partage. C’est aussi une thérapie, la harpiste-conteuse l’a dit, et ça se voit, ça se sent, dans la profondeur, dans l’épaisseur de chaque chanson, dans le travail d’arrangement, car oui, il y a un vrai travail, et pas deux chansons pareilles. D’ailleurs, il y a beaucoup de variété dans le choix même du répertoire: on entend des trucs du Moyen-Âge et des créations récentes, bretonnes, françaises, allemandes, écossaises, irlandaises, il y a des chansons en anglais, nous avons même croisé Henri Salvador et Boris Vian, tout comme Leonard Cohen et les Cowboys fringants!
Mais pourquoi la musique, encore? Je crois, tout simplement, que ce groupe est l’illustration exacte de mon impression que la musique est quelque chose d’essentiel à l’humanité; elle n’est pas forcément « importante », comme la nourriture, le sommeil, mais il y a des pans entiers de ces personnes qui existent par ce biais. Pas juste de « ces » personnes devant moi, ce soir, d’ailleurs. Mais bref, ils ne jouent jamais au neutre. Il y a quelque chose de senti, tout le long de chaque chanson. C’est pour ça que c’est si bon.
Merci, Abrazouver.
Euh, hum, j’allais oublier… J’ai quand même une vraie critique à vous adresser… Pas seulement à vous, d’ailleurs… Mautadine que les amateurs ne savent pas saluer! Je devrais donner des cours, je crois.
Et un seul souci: si, dans tout ce beau monde, la jeunesse de cœur était abondante, pour la jeunesse de peau, c’est une autre histoire. Bande d’amis? Fossé des générations? Fin d’une certaine civilisation? Le public me faisait penser, sans ironie, au public des concerts classiques de Montréal, en terme de démographie!
Enfin, j’ai quand même hâte de vous réentendre.
Merci d’avoir méditer quelques temps sur notre groupe de fortune. Un vrai tableau, galerie de portraits où l’on se reconnaît.
Je savoure ces lignes…
La Maisonnette des contes et des légendes, »L’escalier délivré » de Salles garde la porte ouverte aux belles plumes.
Merci Nicolas.
Véronique
Oh! Merci beaucoup! Je lis cette réponse bien tard, en me préparant à écrire la critique d’un autre concert…