Esquissé passé, Naples, lundi 31 décembre 2018

Histoire de deux couples…

Ils sont dans la fin vingtaine, peut-être, lui beau et elle très belle, assez grands et minces, lui vêtu de beige (la couleur, pas le style), cheveux et barbe bruns courts, elle en manteau rouge vif, cheveux bruns longs, montée sur des talons aiguilles vertigineux; c’est simple, je me demande comment elle peut marcher sur les pavés en pente! Il tend le bras vers elle, elle éloigne sa main. Quelques paroles échangées de plus, même manège et même résultat. Elle n’est pas contente. Ils marchent quand même ensemble, en remontant la petite pente. Je me retourne, pour voir; quelques pas plus loin, il lui passe le bras autour de la taille. La réconciliation est en cours.

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Autre quartier, plus âpre, autre couple, plus âgé: peut-être fin quarantaine; la discussion et la pente sont aussi plus âpres. Ils sont vêtus en sombre, tous les deux, Les visages sont plus empâtés, les cheveux moins stylés, le geste pour repousser la main tendue est plus rêche. Il me semble même entendre des petits éclats de voix. Je me dis que ça va finir plus mal que ce matin…

Nous les dépassons de quelques pas. J’entends un moteur de scooter démarrer, la lueur des phares éclaire déjà les pavés dans le début de crépuscule. Je me retourne: il est assis au guidon, elle s’installe en place arrière, sans cesser de regarder son cellulaire. Pourtant, me semble que la réconciliation est entamée, là aussi… Bon, il se peut que je me goure totalement…

… Reste que… Comme je le dis parfois à mes élèves, dans l’enseignement, il y a une part de théâtre. Ben, dans les relations amoureuse aussi.

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Ma mère n’a rien vu dans les deux cas. Ça ne fait rien, je suis certain qu’elle perçoit des tas de choses qui m’échappent.

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Amour, santé, joie, paix, musique et succès pour 2019!

Carnet de voyage, Naples, 31 décembre 2018

Ma mère me lisait, hier, une description étrange des Quartiers Espagnols de Naples… Le genre de mot qui ne veut pas dire grand-chose. Il était question de jeux de lumières et de soleil, et bon… La vérité toute simple: il s’agit d’une partie de Naples qui est d’un quadrillage remarquablement régulier. Les édifices sont passablement hauts, ce qui donne des genres de canyons en guise de rues. Au fond, des flots de touristes, dans les rues larges et piétonnières, et de scooters et d’autos dans les autres, étroites. On a le choix entre risquer de se faire marcher ou rouler sur les pieds. J’ai failli me faire foncer dedans par un scooter qui prenait son virage un peu serré. Heureusement, il a freiné à temps… Autrement dit, dans un sens, l’anarchie des gens compense pour l’ordre des rues.

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Hier, nous étions sur la colline du Vomero, au moment de la visite de la Chartreuse. Ce matin, dans le quartier espagnol puis cet après-midi, dans la Sanità, le quartier sous le pont de l’autre soir. Naples est vraiment une ville de quartiers. Le Vomero est plus chic, plus récent, plus aéré. Le quartier espagnol, hum, faudrait voir dans une journée moins intense, probablement. L’autre jour, nous avons renoncé au quartier historique, là aussi pour cause de vraiment trop de monde… Je me suis senti comme sur le quai de la ligne orange, à Berri, à l’heure de pointe… La Sanità: le bordel, mais sympa; je ne sais pas pourquoi ce quartier m’a tellement plus charmé que le quartier espagnol, mais c’est le cas. Encore des scooters et des autos en pagaille, avec des trottoirs trop étroits et des tas de gens, et tout plein de boutiques qui attendaient leurs derniers clients ou qui fermaient déjà, et des pétards partout!

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Naples a été la capitale de divers royaumes au cours de l’histoire. Même qu’il s’en serait fallu de peu qu’elle soit choisie comme capitale de l’Italie réunifiée, au milieu du XIXe siècle. Dans un sens, c’est comme si elle prenait un genre de revanche, en étant peut-être la ville la plus bordélique d’un pays bordélique.

Autre exemple de bordel: il y a eu un feu d’artifices tiré… depuis le coin de la rue! Ça pétait à qui mieux mieux entre notre immeuble et le voisin!

Carnet de voyage, Naples, dimanche 30 décembre 2018

D’abord, une curiosité: ma mère et moi avons compté, sur un morceau de trajet vers la Chartreuse de Parme, les voitures abîmées et les intactes. Nous sommes arrivés à quelque chose comme 75 à 2…

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La Chartreuse de Naples, donc… Qui n’a pas eu son roman, contrairement à celle de Parme, ni son récit, contrairement à celle de Valdemossa…

En fait, ni ma mère ni moi n’en avions entendu parler avant de mettre les pieds à Naples et de lire les guides touristiques.

Le site est magnifique, avec une vue sur la baie de Naples, et probablement jusqu’au Vésuve (il ne faisait pas très clair aujourd’hui). Les bâtiments recèlent de vraies merveilles: l’église a un pavement en pierre ornementée, je ne sais pas comment décrire… C’est peut-être le plus beau temple que j’aie vue à ce jour.

Il y a des crèches, à peine croyables, en vérité. Et, incurie italienne typique? Plusieurs vitrines ne sont pas éclairées. Pourtant, il y a, en plus des personnages normaux, des tas d’autres figurines, et des plats, et des animaux, et des instruments de musique, et et et… Ça défie pas mal l’imagination.

Il y a un moyen détourné d’arriver près du chœur. La salle capitulaire est pleine de panneaux de bois superbes et de petites sculptures, et zut, les photos sont interdites…

Et parfois je dis que j’ai une chance insolente… Et le vieux gardien, subitement inspiré, invite les personnes présentes à aller jeter un coup d’œil dans le « trésor », la chapelle où étaient exposés les reliquaires avant l’expulsion des moines (peu après la réunification de l’Italie, vers 1861).

Mais là!… Une salle entière avec de petites portes d’armoires en marqueterie, avec des images, des paysages, des récits bibliques… On dirait des dessins tellement c’est bien fait! Nous nous demandons si mon père, ou Daniel Friederich, son ami luthier et ébéniste, connaissaient cette salle, et nous pensons que non: nous en aurions entendu parler! Salle suivante, les petites portes sont maintenant des panneaux de bois unis, mais quel bois! Je sais le travail que Mario Lamarre, mon luthier, doit effectuer pour mettre en valeur certains panneaux ondés ou noués… Ici, ils le sont tous! Superbes!

J’avais entendu parler de l’Alhambra, à Grenade, de la cathédrale d’Albi, mais jamais de la Chartreuse de Naples. Or, honnêtement, je mettrais ces trois lieux pas mal au même endroit dans mon florilège des lieux à visiter au moins une fois.

…Nous avons manqué la boutique en sortant, donc je n’ai même pas pu voir s’il y avait des cartes postales ou un livret de photos…

Esquissés passés, Naples, vendredi 28 et samedi 29 décembre 2018

-Mamma!
[Le sourire réjoui de la jeune fille dont la mère vient de marcher dans une crotte de chien…]

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Il n’y a probablement qu’un an ou deux entre ces deux jeunes filles et les petites filles et le petit garçon juste à côté, mais la frontière est irrévocable.

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La petite fille en manteau rose donne la main à sa maman, celle en manteau bleu, à son papa.

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-I never died before, my mom never died…
[il est en train de cruiser intensément!]

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Ça sent la boucane. Il y a des gens qui jasent derrière moi. J’essaie de voir qui fume, parmi eux, ce n’est pas clair. Ils partent. Ça sent encore la boucane. En me retournant, je vois une cigarette oubliée sur le coin de la boîte à fleurs, à un pied de ma tête. Je tends le bras, la prends, l’écrase et la jette.

Deux minutes plus tard, le serveur sort, fait le tour de la boîte à fleurs en cherchant partout… Oups, c’était la sienne…

Quelques notes sur Naples, fin décembre 2018

Ça ne paraît pas d’emblée, parce que ce n’est pas partout qu’on la voit en entier, mais Naples est une très grande ville, finalement, et assez dense merci! C’est un complexe de collines et de vallées encaissées, ça grimpe en titi!

J’avais lu quelque part que la circulation napolitaine était impressionnante. J’avais hâte de comparer avec celle de Saïgon ou de Hanoï. Verdict? C’est vrai, en partie seulement. Il y a des bouchons monstres, parce que les rues sont étroites; très peu ont deux voies par direction. La moindre livraison arrête le trafic Les Napolitains vont vite, et ne respectent pas toujours les sens uniques. Cela dit, les vitesses atteintes démontrent que le trafic est, en moyenne, bien moins dense qu’à Saïgon. Traverser la rue demande tout de même parfois une certaine intrépidité: si les Saïgonnais ne s’arrêtent pas, les Napolitains ne ralentissent pas.

Parlant de trafic et de rues étroites, l’immense majorité des voitures porte des traces de collisions, de la simple peinture éraflée à la vitre remplacée par un sac à vidanges, en passant par les pare-chocs éventrés et toutes les variantes de la tôle froissée. Un rétroviseur qui n’est pas replié ne restera pas intact longtemps. Assurer une voiture doit être prohibitif, ici!

Les véhicules d’urgence? Ils font comme les autres: ils patientent…

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Il y a des tas de touts petits commerces, ici. Le « supermarché » au pied de l’immeuble est plus petit que le marché Tradition à Hemmingford! Nettement plus tassé, aussi, faut bien le dire!

Nous avons vu ce que nous avons pris pour la plus petite poissonnerie possible: je ne suis pas certain que cinq personnes y tiennent debout…

Si les commerces sont petits, les aliments sont très bons, très goûteux: fruits, légumes, fromage, en particulier. Et la pizza est généralement très bonne, faut bien le dire.

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Les commerces sont petits, et certains se ressemblent énormément. La marchandise qui semble la plus offerte ici: les couvercles pour téléphones intelligents! Ils sont proposés dans des dizaines de boutiques, et aussi par des dizaines de vendeurs à la sauvette, qui semblent tous venir du même coin de la planète (Inde ou Pakistan), et qui proposent aux passants les mêmes produits… Il doit y avoir un réseau très organisé, qui ne se limite pas aux trucs pour cellulaires. Il y a aussi des jouets, avec le petit chien qui jappe mais aussi le pistolet à bulles de savon motorisé: même plus besoin de pomper pour en faire des dizaines! Le plus inattendu: un marchand de chaussettes à la sauvette.

Esquissé passé, Montréal, décembre 2018

AM

Une petite gerbe d’Esquissés passé en retard…

-C’est sûr que je ne vais pas faire toute une journée de travail de même, avec un souper de Noël, sans culottes!

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-Moué, chus pas loin de Diogène!

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-J’le mets où? Ah, c’t’un Américain, j’vas l’mettre à l’allée, y doit être grand…
-Y doit être gros!

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-[…] Mon père a quatre-ving-seize ans, et jusqu’à l’an dernier, il travaillait encore!
-Ah? Et il faisait quoi?
-En vérité, je l’sais pas! […] Il avait son bureau, il partait chaque jour, ma mère était contente…

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Critique de concert: Les King’s Singers, salle Bourgie, mardi le 18 décembre 2018

Lorsqu’on s’intéresse aux superlatifs, on peut se demander quel est le meilleur groupe musical britannique des cinquante dernières années… Dans certains cercles musicaux, on va défendre les candidatures des Beatles (un peu limite pour les cinquante ans, en fait), des Rolling Stones, de Led Zeppelin, des Who, que sais-je encore…

Sans vouloir enlever le moindre mérite à ces groupes, je vais en proposer un autre, d’un tout autre type, qui ne remplit pas de stades, d’accord…

Un groupe à la fois imprévu et évident, à la fois confidentiel et réputé mondialement, à la fois pop, classique, baroque, moderne, romantique… Autrement dit, éclectique de la plante de la première semelle au bout du dernier cheveu.

Je parle des King’s Singers, oui. De ce sextuor vocal a capella (deux contre-ténors, un ténor, deux barytons et une basse) qui existe et mue, depuis cinquante ans, par rotation de ses membres sans jamais perdre son essence, et même en la raffinant, si ça se trouve. De cet ensemble dont le nom, pratiquement issu d’une plaisanterie (les six membres fondateurs étaient tous issus du King’s College, à Cambridge), se révèle comme le sceau inattendu d’une qualité indéniable. De ce groupe qui, s’il ne remplit pas les stades, comme je l’écrivais tantôt, a un horaire de tournée qui se compare à celui des Beatles, si j’ai bien compris.

Cela dit, leurs concerts de tournées sont certainement beaucoup moins difficiles à mettre en place que ceux des groupes cités plus haut, ne serait-ce que sur une base technique. Voyons voir:
-amplification: non
-moniteurs in-ears: non
-autotune: non
-click track: non
-loop: non
-jeux de lumières: non
-lasers: non
-projections: non
-pyrotechnie: non
-instruments: non, si on exclut l’harmonica qui donne le ton et les gazous!

Autrement dit, les extraordinaires nuances, c’est eux qui les font. La justesse, presque toujours impeccable, c’est leur travail. Le tempo, la ‘swing’, c’est eux. La remarquable mise en relief des solos, c’est eux, encore. Leur seule concession à l’électronique: les feuilles de musique sur les lutrins sont remplacées par des iPads.

Leurs secrets? J’ai mentionné le principal: le travail! Je serais curieux de connaître leur horaire de pratiques individuelles et de groupe, mais ce doit être colossal!

Il y a aussi la mystique: les membres du groupe endossent le veston des King’s Singers comme les joueurs d’une équipe sportive en portent le maillot. Ils représentent quelque chose qui existait avant leurs naissances(!), avec une grâce et une disponibilité très élégante, même lorsqu’ils sont fatigués (après le concert de Montréal, ils se sont fait un devoir de serrer des dizaines de mains, signer des dizaines d’autographes, recevoir des dizaines de remerciements (y compris de gens qui avaient vu le concert précédent du groupe, il y a trente ans, alors qu’aucun des membres présents ne pensait qu’il chanterait dans les KS un jour…), alors que c’était, quoi, le douzième d’une série de seize concerts en seize jours, à travers le Canada et les États-Unis, série qui arrivait juste après une série européenne encore plus imposante… ).

Corollaire de la mystique, il y a une mise de côté de l’ego. Chaque membre du groupe pourrait être soliste devant n’importe quelle chorale ou orchestre. Tout ça est mis de côté, au profit d’un son remarquablement fondu (sauf lors des solos finement ciselés dont je parlais tantôt). Un vrai travail de chambristes.

Il y a aussi la brièveté des pièces jouées; il n’y a rien de comparable aux longs mouvements que peuvent jouer des quatuors à cordes ou d’autres ensembles de musique de chambre comparable. Cela dit, cette brièveté est une arme à deux tranchants: elle va permettre au groupe de proposer plus de contrastes entre les pièces, au long du programme. C’est bien, mais maintenant il faut aussi les jouer!

Heureusement, c’est précisément là que Patrick Dunachie, Timothy Wayne-Wright, Julian Gregory, Cristopher Bruerton, Crhistopher Gabbitas et Jonathan Howard excellent, avec un son d’ensemble peut-être encore plus velouté que celui des incarnations précédentes du groupe, ce qui n’est pas peu dire.

En fait, le secret, s’il en est un, s’est peut-être révélé à la toute dernière pièce, qui était Deck the hall, en rappel (saison des fêtes oblige!).

Sur le chemin pour aller au concert, il y avait un petit chœur qui chantait des carols, à une station de métro. C’est cette comparaison qui m’a permis de comprendre: les King’s Singers sont un peu comme le meilleur groupe de carolers de la planète! Tellement bons qu’ils peuvent aussi faire du Palestrina, du Schubert, du Takemitsu, du Billy Joel, entre autres, avec un égal bonheur et une qualité constante. Ils sont. Les héritiers de leurs devanciers, mais aussi des universitaires britanniques, de l’immense tradition chorale de cette nation, mais aussi de Mr Bean et du Dr Who (pour l’humour de l’un et les réincarnations de l’autre). Ils ne boudent pas leur plaisir, au contraire, et ils le partagent généreusement. En plus, ils sont polyglottes et ont présenté leur programme aussi en français. Tous!

Thanks, fellas, well done! C’était la troisième fois que je voyais le groupe en concert, je pense que ce ne sera pas la dernière.

Esquissé passé, Sainte-Thérèse, dimanche 9 décembre 2018

-Y’est ben beau ton violoncelle mais y sonne pas! On n’entend rien!

… La famille qui avait offert un récital de violoncelle au patriarche pour son 90e anniversaire a découvert « live » (si j’ose dire…) à quel point son audition avait baissé… J’étais à trois pieds du monsieur et je venais de jouer, le plus fort possible, la descente initiale du Prélude de la 3e Suite de Bach.

Des fois, j’ai des élèves à qui je signale que la note qu’ils ou elles jouent à ce moment-là est trop haute ou trop basse, qui bougent le doigt sur la touche et me demandent si c’est correct maintenant? sans avoir joué un son. Je réponds que de voir le geste sans l’entendre, c’est un peu comme essayer de voir un tableau lorsqu’on est aveugle. Donc, dans un sens, je me suis fait servir ma propre médecine. C’est une leçon d’humilité.

Merci à M. B. et à sa chaleureuse famille pour avoir offert la musique en cadeau, et pour m’avoir si bien reçu.