Critique de concert: Les King’s Singers, salle Bourgie, mardi le 18 décembre 2018

Lorsqu’on s’intéresse aux superlatifs, on peut se demander quel est le meilleur groupe musical britannique des cinquante dernières années… Dans certains cercles musicaux, on va défendre les candidatures des Beatles (un peu limite pour les cinquante ans, en fait), des Rolling Stones, de Led Zeppelin, des Who, que sais-je encore…

Sans vouloir enlever le moindre mérite à ces groupes, je vais en proposer un autre, d’un tout autre type, qui ne remplit pas de stades, d’accord…

Un groupe à la fois imprévu et évident, à la fois confidentiel et réputé mondialement, à la fois pop, classique, baroque, moderne, romantique… Autrement dit, éclectique de la plante de la première semelle au bout du dernier cheveu.

Je parle des King’s Singers, oui. De ce sextuor vocal a capella (deux contre-ténors, un ténor, deux barytons et une basse) qui existe et mue, depuis cinquante ans, par rotation de ses membres sans jamais perdre son essence, et même en la raffinant, si ça se trouve. De cet ensemble dont le nom, pratiquement issu d’une plaisanterie (les six membres fondateurs étaient tous issus du King’s College, à Cambridge), se révèle comme le sceau inattendu d’une qualité indéniable. De ce groupe qui, s’il ne remplit pas les stades, comme je l’écrivais tantôt, a un horaire de tournée qui se compare à celui des Beatles, si j’ai bien compris.

Cela dit, leurs concerts de tournées sont certainement beaucoup moins difficiles à mettre en place que ceux des groupes cités plus haut, ne serait-ce que sur une base technique. Voyons voir:
-amplification: non
-moniteurs in-ears: non
-autotune: non
-click track: non
-loop: non
-jeux de lumières: non
-lasers: non
-projections: non
-pyrotechnie: non
-instruments: non, si on exclut l’harmonica qui donne le ton et les gazous!

Autrement dit, les extraordinaires nuances, c’est eux qui les font. La justesse, presque toujours impeccable, c’est leur travail. Le tempo, la ‘swing’, c’est eux. La remarquable mise en relief des solos, c’est eux, encore. Leur seule concession à l’électronique: les feuilles de musique sur les lutrins sont remplacées par des iPads.

Leurs secrets? J’ai mentionné le principal: le travail! Je serais curieux de connaître leur horaire de pratiques individuelles et de groupe, mais ce doit être colossal!

Il y a aussi la mystique: les membres du groupe endossent le veston des King’s Singers comme les joueurs d’une équipe sportive en portent le maillot. Ils représentent quelque chose qui existait avant leurs naissances(!), avec une grâce et une disponibilité très élégante, même lorsqu’ils sont fatigués (après le concert de Montréal, ils se sont fait un devoir de serrer des dizaines de mains, signer des dizaines d’autographes, recevoir des dizaines de remerciements (y compris de gens qui avaient vu le concert précédent du groupe, il y a trente ans, alors qu’aucun des membres présents ne pensait qu’il chanterait dans les KS un jour…), alors que c’était, quoi, le douzième d’une série de seize concerts en seize jours, à travers le Canada et les États-Unis, série qui arrivait juste après une série européenne encore plus imposante… ).

Corollaire de la mystique, il y a une mise de côté de l’ego. Chaque membre du groupe pourrait être soliste devant n’importe quelle chorale ou orchestre. Tout ça est mis de côté, au profit d’un son remarquablement fondu (sauf lors des solos finement ciselés dont je parlais tantôt). Un vrai travail de chambristes.

Il y a aussi la brièveté des pièces jouées; il n’y a rien de comparable aux longs mouvements que peuvent jouer des quatuors à cordes ou d’autres ensembles de musique de chambre comparable. Cela dit, cette brièveté est une arme à deux tranchants: elle va permettre au groupe de proposer plus de contrastes entre les pièces, au long du programme. C’est bien, mais maintenant il faut aussi les jouer!

Heureusement, c’est précisément là que Patrick Dunachie, Timothy Wayne-Wright, Julian Gregory, Cristopher Bruerton, Crhistopher Gabbitas et Jonathan Howard excellent, avec un son d’ensemble peut-être encore plus velouté que celui des incarnations précédentes du groupe, ce qui n’est pas peu dire.

En fait, le secret, s’il en est un, s’est peut-être révélé à la toute dernière pièce, qui était Deck the hall, en rappel (saison des fêtes oblige!).

Sur le chemin pour aller au concert, il y avait un petit chœur qui chantait des carols, à une station de métro. C’est cette comparaison qui m’a permis de comprendre: les King’s Singers sont un peu comme le meilleur groupe de carolers de la planète! Tellement bons qu’ils peuvent aussi faire du Palestrina, du Schubert, du Takemitsu, du Billy Joel, entre autres, avec un égal bonheur et une qualité constante. Ils sont. Les héritiers de leurs devanciers, mais aussi des universitaires britanniques, de l’immense tradition chorale de cette nation, mais aussi de Mr Bean et du Dr Who (pour l’humour de l’un et les réincarnations de l’autre). Ils ne boudent pas leur plaisir, au contraire, et ils le partagent généreusement. En plus, ils sont polyglottes et ont présenté leur programme aussi en français. Tous!

Thanks, fellas, well done! C’était la troisième fois que je voyais le groupe en concert, je pense que ce ne sera pas la dernière.

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