Esquissé passé, Casablanca, lundi 4 mars 2019

Sur la photo, il a peut-être entre la mi-trentaine et le début de la quarantaine; souriant, avec femme et enfants, cheveux et moustache bien noirs, l’air bien portant.

Aujourd’hui, il en a soixante-dix. Le sourire est encore chaleureux, mais les cheveux et la moustache ont blanchi, les chairs se sont ramollies, la voix est rocailleuse et le rire ressemble à une toux, comme chez les gros fumeurs. Il n’a pas fumé devant nous, mais l’appartement porte un fond d’odeur de tabac.

L’appartement est vaste, dans un immeuble qui en compte une dizaine. Il y a trois chambres, deux salles de bains, un vaste salon – salle à manger et une cuisine remarquablement bien équipée pour une location.

L’immeuble était certainement très chic: il y a des miroirs au verre biseauté et un vaste lambris de bois d’essences différentes dans le hall d’entrée dallé de marbre (comme l’appartement, d’ailleurs).

Mais la peinture de l’escalier a terni, en plus d’être, par endroits, tachée d’énormes coulisses mystérieuses. Le seuil (de marbre!) de l’ascenseur est craqué.

Dans l’appartement, les murs du salon sont lézardés. C’est peut-être un effet de style volontaire, cela dit, puisque les autres murs sont intacts, eux.

Mais il y a aussi les ampoules brûlées dans les lustres; la douche qui a été moderne il y a peut-être 35 ans, justement, avec son système de son intérieur (!!!), mais dont les jets latéraux ne fonctionnent plus, et dont la grosse pomme au plafond est constellée de vert-de-gris…

Comme la base du robinet de cuisine, qui fuit de minuscules mais intense jets dans des directions improbables. Le robinet de cuisine, qui ne donne plus d’eau chaude, par ailleurs. J’ai vérifié, ce n’est pas l’arrivée d’eau sous l’évier qui est fermée. Au fait, l’arrivée d’eau de l’eau froide ne se ferme plus, elle! Un des deux robinets tourne dans le beurre, l’autre est complètement bloqué!

Le dessus de la cuisinière est propre, mais pas l’intérieur du frigo. Il y a une assiette encore un peu sale dans un des placards…

… On dirait que je chiale contre une location de vacances; pas vraiment. En fait, je repense au moment où il a fallu vider l’appartement de ma grand-mère, lorsqu’elle est partie vivre en résidence: sa mémoire lui faisait tellement défaut que mes tantes ont craint qu’elle n’oublie le feu allumé sur sa cuisinière!

Chez ma grand-mère, comme ici, il y avait des tas de souvenirs, de voyage, de famille, des meubles anciens ou semi-récents, de la vaisselle propre et de la sale, des trucs qui marchaient et d’autres, non, des craques aux murs… À sa défense, elle était bien un quart de siècle plus âgée que notre propriétaire, ici.

Ici, comme chez ma grand-mère, c’est le vrai appartement d’une vraie famille ou d’une vraie personne, et non pas un de ces machins impersonnels mis sur le marché par des gens qui veulent faire du fric, qu’on parle d’investisseurs professionnels ou amateurs.

Bref, je suis songeur, en voyant comment les habitations portent la trace de la courbe de l’existence des gens qui y vivent. Je crois que ça me rend nostalgique.

Le coucher de soleil était magnifique, depuis la terrasse, tantôt.

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