Ça a commencé presque calmement, par le traditionnel café avec B., puis nous sommes allés déjeuner en bas, à l’hôtel où ses amis J. et L. sont descendus. Puis quelques courses. Puis un peu de pratique et la vraie préparation: coiffeur, pour elle, étude attentive du Tremblay pour moi… Installation des chaises au salon, rapide salade en ville (pour moi), dernières courses de préparation ici et là…
Puis les gens ont commencé à arriver. Des amis, d’abord, il n’était même pas deux heures. Je faisais un genre de sieste sur le divan du salon. Puis, à partir de deux heures, les « vrais » participants. Le salon se remplit vite. Quelques minutes de révision des passages difficiles du Reger, quelques minutes au salon, je passe mon cellulaire à Lars, avec instruction de filmer la première pièce seulement. B. me présente, puis hop.
Je m’aperçois que d’autres gens filment. Ça m’ennuie et me distrait. Oups. Mais bon, le prélude de Bach passe plutôt bien. Reger, maintenant… De mémoire, oui. Je suis peut-être rendu à la troisième ligne que ça me frappe: hey, c’est la première fois que je joue cette pièce en concert « officiel » (soit dit sans vouloir offenser le public de mon concert d’essai)! Une demi seconde de chicane mentale: Grrr! T’aurais pas pu y penser plus tôt? Gnarf!
Bon; quart de seconde suivant: « Mets ça dans ta besace, mon grand, desserre les deux mains, concentre-toi, continue! »
À ma droite, le patron de B., avec qui je parlais presque juste avant de commencer. Nous parlions justement de stress, de respect du public, de présence publique… Et là j’ai un moment de faiblesse devant lui. Bon; tant pis, je continue, il le faut bien. Un autre, un autre encore… Je fais de mon mieux ce que je suis capable de faire.
J’arrive à la fin de mon premier vingt minutes. Les applaudissements sont nourris, quelques personnes viennent me féliciter, le patron part sans même un regard… Tant pis. B., elle, est contente, et même émue: il se passe dans son salon ce dont elle avait rêvé. Moi, je suis moyennement satisfait, mais disons que pour un premier set, ça va.
Avant le prochain, j’ai une heure de libre. J’en profite pour sortir. Il fait beau, contrairement à ce que disaient les prévisions. Je visite quelques expositions, j’entends quelques notes d’un duo chansonnier à guitare – basse, avec presque toute la salle qui reprend le refrain en chœur, je vois partout des gens heureux et souriants. Je suis heureux moi-même d’en faire partie.
Pour la demi-heure avant mon deuxième set, je remonte au salon et prends la partie de Cèdres en voiles, car je vais me risquer à jouer de mémoire. Révision intense parmi les visiteurs de l’exposition, puis quelques minutes dans ma pièce.
Je reviens dans le salon juste quelques minutes avant l’heure prévue. Je m’aperçois que plus de soixante personnes attendent le début de mon « live » Fb… Mais L. n’est pas là! Alors, bon, je demande à la cantonade si quelqu’un veut bien m’aider… La dame devant moi se porte volontaire. Allez. B. lit l’introduction. J’avais mis un avertissement sur le caractère difficile de la pièce dans mon projet de présentation. J’entends B. le mentionner. Elle rajoute l’épisode de jeudi, quand j’ai joué à la réunion du groupe anti-nazis. Je suis content qu’elle l’ait mentionné . Je commence par le Prélude de la 3e Suite.
Tout de suite, ça va mieux: meilleur son, plus juste, plus de liberté et d’invention… Sarabande… Puis Cèdres en voiles. Juste avant de commencer, j’avais constaté que plusieurs personnes m’écoutaient les yeux fermés… Non, ils ne dormaient pas, il me semble.
Mais là!… Je fais se déchaîner la violence de la pièce, son âpreté, sa dureté… mais aussi, autant que je peux, sa douceur, ses doutes, sa légèreté… J’essaie de personnaliser le plus possible chaque thème de cet espèce de rondo-sonate, finalement relativement simple dans sa forme (ça m’a pris beaucoup de temps pour m’en apercevoir!), j’essaie de faire entendre la voix de Gilles et les conseils d’Emmanuel et de Raphaël…
Après la dernière harmonique, silence complet…. Yeux fermés encore, quelques têtes baissées… J’attends quelques secondes avant d’entamer la Gigue de la 3e Suite. C’est jour de fête, je veux ramener la joie.
Tonnerre (relatif, il n’y a quand même que deux douzaines de personnes mais le salon est totalement plein!) d’applaudissements. Parfois, je ne sais pas comment prendre les manifestations du public, mais cette fois-ci, ça va. Je sais que j’ai beaucoup travaillé et beaucoup donné, et que j’ai rejoint les gens qui m’écoutaient. D’ailleurs, j’ai plusieurs commentaires et remerciements. Un en particulier me touche beaucoup: K., le mari de J. (un couple de probablement plus de 80 ans, que j’avais rencontré l’an dernier), affecté, me serre la main en me disant: « We’ve known the war… What you did was very good!… » Ce commentaire-là m’est précieux. Merci beaucoup.
Seulement une demi-heure de pause avant le dernier set. B. est émue, ça me touche. Je suis nettement plus content qu’après le premier set.
Bon; dernier set. On dirait qu’il y a de plus en plus de monde, je ne sais pas si c’est possible. Présentation, premier et troisièmes mouvements de la Sonate de Cassadó, puis. finalement, Obstination. Nouvelle salve d’applaudissements, encore plus nourris, et puis ma participation à Kulturräume est terminée. Déjà…
J’ai le sentiment agréable d’avoir joué de mieux en mieux au fur et à mesure que la journée avançait, sentiment confirmé par B. Elle me dit qu’elle se demande ce que ça aurait été si j’avais joué deux heures, comme je le prévoyais initialement!
Nous rangeons sommairement la pièce, pour les derniers visiteurs de l’exposition , puis je pars écouter les dernière note du combo jazz à l’espèce de brasserie là-bas. J’arrive un peu tard, la pièce est archi pleine. Alors, j’écoute depuis la rue, sous la fenêtre ouverte. C’est franchement pas mal du tout. Une femme passe, qui vient me voir; je l’avais aperçue à mon dernier set. Elle me félicite et me demande combien de temps je pense rester à Hückeswagen. Je repars lundi. Elle en est désolée. Elle a été pendant 34 ans violoniste à une des philharmonies du coin, j’ai malheureusement oublié laquelle. Elle me dit qu’elle joue Bach, Paganini, Ysaye pour son plaisir et qu’elle m’aurait demandé de jouer de la musique de chambre si j’étais resté dans le coin. Merci beaucoup, derechef.
Puis c’est le souper avec les autres artistes et les exposants, puis une dernière bière, puis B. vient me chercher: un journaliste était supposé passer me voir, pour faire une entrevue, il ne s’est pas présenté et a demandé qu’on le rappelle!
Nous rejoignons le journaliste. Il se trouve qu’il est libre le lendemain. Hum, je m’aperçois que j’ai oublié de mentionner la marche avec B., le lendemain de mon arrivée… Nous sommes passés devant une institution pour malades mentaux et j’ai proposé de jouer là. Je pensais utiliser ce moment comme une pratique pour les récitals d’aujourd’hui, mais finalement c’est le dimanche après-midi qui avait été retenu. J’ai cru que c’était une malchance… jusqu’à maintenant! Donc, marché conclu, le journaliste va venir m’interviewer demain avant que je joue pour les pensionnaires et il va aussi écouter un peu comment je joue.
Sur ce, la soirée à la maison de la culture est pas mal terminée, alors dessert, dernière bière et dodo. La suite demain, avec une journée de retard, encore…