Mariage, Montréal, 19 août 2017

J’avais un peu parlé de ce mariage, l’autre jour, en rapportant les propos du père de la mariée, qui a su qu’il avait une fille lorsqu’elle avait déjà 15 ans…

[…] « Ça n’allait pas très bien avec sa mère, alors j’ai su que j’avais une fille, elle avait quinze ans! Ce n’est pas une relation proche proche, alors normalement elle m’appelle surtout pour l’argent. Mais là, elle veut que je joue à son mariage… » [je paraphrase en partie]

écrivais-je le 7 août dernier:

Esquissé passé, Montréal, août 2017

Bon; c’est simple, en apparence: le monsieur veut deux violons, un violoncelle, une basse et une chanteuse pour jouer Let the bright Seraphim de Handel au mariage de sa fille; il va lui-même jouer la partie de trompette.

L’apparence de simplicité se dissipe peu à peu: pour des raisons pas totalement claires (registre aigu à la trompette?), il veut que la pièce, originalement écrite en Ré, soit jouée en Do. Il me passe des feuilles de premier et second violon, de violoncelle et de basse, qu’il a écrites de sa main, au stylo bille (!), pour la transposition en Do.

Rendu chez moi, je fais quand même quelques vérifications. Premier résultat: apparemment, il faudrait, en fait deux violons, un alto, un violoncelle, une basse et un orgue continuo, pour vraiment rendre l’orchestration de Handel… Tout ça, c’est au-dessus des moyens de notre monsieur. Ok, on y va pour son instrumentation. Mais… parlant de moyens, ne veut-il pas d’autre musique, puisque nous y serons de toute manière? Non, juste cette pièce-là. Bon, d’accord…

Complication supplémentaire: il n’a pas d’ordinateur, pas de courriel, pas de cellulaire, et il habite en région, à plus de cinq heures de car de Montréal…

Il est stressé, nous n’avons que deux semaines pour trouver le monde nécessaire; personnellement, ça ne m’énerve pas trop… Première bonne nouvelle: Monique est disponible pour chanter. Joie! J’écris aux membres de mon quintette de mai; les violons ne sont pas disponibles, mais Francis l’est, à la basse.

Le samedi suivant, je joue pour un tout autre mariage (celui aux chiens en tête de cortège!), avec deux autres violonistes, Brigitte et Kristin; je leur demande, elles sont disponibles. Bien, j’ai tout mon monde. En prime, Kristin s’offre pour recopier à l’ordi les transcriptions au stylo-bille. Merci!!!

Bon; j’ai l’adresse, j’ai l’horaire approximatif; j’aimerais bien qu’on se voit avant la cérémonie; j’appelle à l’église pour confirmer l’horaire et vérifier que nous puissions pratiquer avant que le monde arrive… Boîte vocale.

Pas de retour d’appel. Deuxième appel, le lendemain, courriel.

Pas de retour d’appel, ni de courriel.

Les jours suivants, j’appelle sans laisser de message, ni obtenir de réponse… Je finis par rappeler le monsieur, qui me dit que « tu n’as pas trouvé l’église? » Gnarf! J’ai trouvé, personne ne répond. « Ce sont des protestants, ils ne font pas toujours comme nous! » Ah, ben tiens! Enfin, le mariage devrait être à 15h ou 15h15 (ce n’est pas vraiment clair), disons que nous prenons rendez-vous pour 14h15 pour essayer la pièce (dans la version copiée par Kristin) à tout le monde, trompette incluse.

Alors, bon, nous arrivons à l’église à 14h16, genre, Brigitte, Kristin et moi, et Francis sort du dépanneur en face. Monique est déjà sur place, au jubé. C’est une église très moderne, un peu en forme de théâtre, orgue électrique sur le côté, un balcon (euh, un jubé, je veux dire) large, peu profond, pas très surélevé, une grande verrière au lobby (euh, au-dessus du portail, je veux dire), colorée, sans motif particulier. Il y a des jeunes qui s’activent, je demande où est le célébrant, il n’y est pas, les jeunes se préparent à répéter leur musique (Ben, et nous, alors?): il y a une batterie pas encore installée, un clavier, deux autres chaises… Personne ne semble au courant que nous soyons prévus au programme! Un enregistrement commence à jouer pendant que nous nous installons, en déplaçant des bancs au jubé pour nous faire de la place.

Nous pouvons finalement essayer notre musique, du moins les cordes et la chanteuse, parce que notre trompettiste n’y est pas encore. Tout marche plutôt bien, plutôt vite, surtout compte tenu qu’il n’y avait que Monique qui avait déjà joué cette pièce! Mais bon, c’est assez clair comme musique, même compte tenu de la voix manquante, et la copie propre nous aide vraiment! Merci encore! Seul accident, un petit dièse de trop, ici… Kristin nous confirme, par ailleurs, que notre copiste au stylo avait fait une bonne job, lui aussi; juste un peu moins habituelle au regard…

Avant que notre trompettiste n’arrive, le band, en bas, fait un essai de son lui aussi; il y a une batterie, euh, non, une BATTERIE, une guitare, un clavier, une basse… plus des micros pour des voix. Ça va péter tantôt.

L’heure avance, il est passé 15h45 lorsque, finalement, en complet cravate écharpe chapeau chic et en sueur, notre trompettiste arrive. Il a eu des problèmes de transport en commun (nous sommes loin du terminus des autobus interurbains). Il reprend son souffle quelques instants puis nous essayons la pièce avec lui.

Pour commencer, il installe sa copie au stylo dans son étui de trompette, sur une table à l’arrière du jubé, alors que nous sommes sur le bord. Nous l’entendons un peu faiblement. Il est, à mon avis, à l’extrême de son registre émotif, gêné, timide et que sais-je encore… Deuxième essai; j’insiste pour qu’il prenne un lutrin et vienne jouer parmi nous, au bord du balcon; Francis et moi allons partager notre pupitre (nos parties sont identiques, de toute façon), et nous échanger de place… Ça va nettement mieux la seconde fois; le trompettiste joue juste et a beau son, pas très puissant, alors il faut vraiment qu’il soit parmi nous.

Notre homme disparaît, il ne se passe rien pendant longtemps, des gens arrivent, trois limousines dont deux immenses sont stationnées devant l’église, rien ne se passe… Je descends voir le célébrant, qui ne sait pas trop quand nous allons jouer; il parle juste d’une pièce « by Seraphim », après son homélie. C’est certainement nous. Je remonte au jubé et discute avec le père de la mariée/trompettiste, qui pensait que nous allions jouer à la signature. Mais ça tombe bien que ce soit pas mal plus tôt, parce qu’il est de plus en plus tard et Francis a un autre engagement ce soir-là. En passant, j’observe que le nom de la mariée n’est pas le nom du père…

Après un autre vaste moment, je redescends, pour voir ce qui se passe. Je tombe, juste sous notre balcon, sur deux jeunes hommes, dont l’un sera certainement le marié, puis sur un petit groupe de jeunes femmes dans un genre de petit bureau. L’une d’entre elles dit que je suis « certainement Monsieur Cousineau », puis elle s’excuse de ne pas avoir retourné mes appels: cette musique-là (la nôtre) est une surprise et pour l’essentiel, personne n’était au courant. C’est aussi pour ça, pour rester « cachés » plus longtemps, que nous sommes au jubé. Apparemment, il n’y avait que la marraine de la mariée qui était au courant, et elle a protégé le secret.

Finalement, à peine plus tard, la cérémonie commence. Un photographe me fait de grands signes pour que je me pousse un peu, pour ne pas faire tache dans ses photos (je suis au balcon!). Un nombre impressionnant de garçons entrent en marchant à un genre de pas suspendu, puis un nombre correspondant de jeunes filles, de la même manière. Tout ce monde se fait face, des deux côtés de l’allée centrale, puis commence à marcher en cortège en se donnant la main, toujours à cet espèce de pas dont je ne connais pas le nom, avec une jolie ondulation d’un côté puis de l’autre; ça me rappelle, en encore plus dansant, le pas de mon père conduisant ma sœur à son mariage…

Changement de musique, puis des bambins tapissent de pétales de roses le tapis blanc de la nef (non, ce n’est pas la phrase du siècle, pardon…).

Autre changement de musique, et sur « You raise me up », la mariée s’avance, au bras de son père, justement. Le marié vient la rejoindre puis, à l’ignoble modulation, le futur nouveau couple s’élance lentement vers l’autel pendant que Brigitte, derrière moi, éclate d’un rire tonitruant. De l’autre côté du jubé, Monique se tient prudemment au loin (elle me confiera plus tard qu’elle ne voulait pas embarquer dans le fou rire, sinon plus rien n’aurait été contrôlable, et je la crois!). Je fais signe à Brigitte de rire un peu moins fort, mais nous sommes unanimes à grincer des dents à cause de la modulation. [Correction: il semble que l’éclat de rire ait juste été synchronisé avec l’affreuse modulation par un hasard superbe…]

Le célébrant dit quelques mots de bienvenue, vérifie que tout le monde soit dans la joie, fait applaudir tout le monde, puis il cède la parole à l’équipe de « joie et adoration », c’est-à-dire au petit band de tantôt, auquel se joignent une chanteuse soliste et trois choristes. Il y a six chants enchaînés, dont les paroles sont projetées sur l’écran derrière l’autel. Je vois, à ma droite lointaine, notre homme qui sourit en échangeant quelques mots avec Monique. J’en suis soulagé; tantôt, il était tellement stressé, tellement tendu, j’ai été quand même un peu inquiet. Je veux que tout se passe bien, pour nous, pour sa fille, mais aussi pour lui, et pour lui dans les yeux de sa fille. Mot d’ordre entre nous: nous allons l’accompagner et l’appuyer de notre mieux.

Il y a échange de consentements, puis c’est l’homélie. Le célébrant fait encore retentir des applaudissements ici et là, il commence à donner ses conseils aux futurs mariés. Moment de candeur délicieux lorsqu’il parle de son propre mariage (« Ça fait quinze ans que je suis marié, et mon épouse est ici à ma droite! ») [elle est assise à quelques rangs de là], et qu’il explique que bien des choses sont allées mieux lorsqu’il a été amené à se « demander comment pense une femme », et que c’est allé encore mieux lorsque sa femme a commencé elle aussi à imaginer comment pense un homme; il commençait à dire que la chicane avait nettement diminué lorsqu’un rapide coup de patin a réorienté son discours.

Puis c’est la fin de l’homélie et il annonce une musique qu’il va falloir écouter attentivement, « parce que ce sont des violons et ils n’ont pas d’amplification ».

Ben regarde-nous bien aller, toi! Et hop! Handel, c’est dans la poche! Nettement notre meilleure fois, comme de raison.

Nous rangeons discrètement nos affaires en nous préparant pour partir. Notre homme est content et nous remercie. J’offre un lift à Monique, en plus de Brigitte et Kristin; nous devons nous retrouver devant la porte. Je descends et sors par la porte principale, puis j’attends… Personne ne vient.

Ah, si, il y a des gens qui arrivent; des invités en retard à la cérémonie! Mais tiens, les amis sont là, qui sont sortis par la porte de côté. En m’approchant, surprise! Notre trompettiste/père de la mariée est là lui aussi! Il est tout sourire et nous remercie encore. Il voulait vraiment jouer cette pièce-là, parce qu’elle n’est pas facile et il savait que les petits jeunes à la batterie et à la guitare « ne seraient pas capables de la jouer, celle-là! ». Puis il part (Francis lui offre un lift vers le métro).

…Oui, tout ça pour ça… Il n’ira pas aux noces de sa fille. Il a fait cinq heures d’autocar interurbain pour venir à Montréal, couru dans le métro et après l’autobus et vers l’église, attendu de loin sa fille, joué avec des musiciens qu’il a engagés, puis il repart pour cinq autres heures d’autocar, sans avoir salué l’essentiel des gens présents… Je sens qu’il y a encore beaucoup de l’histoire qui nous a échappé…

Par contre, je sais qu’il y a au moins un homme à qui nous avons vraiment fait plaisir, aujourd’hui, un homme courageux.

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