De Villambistia à Atapuerca (10e étape, lundi 29 mai 2017)

Alors, ce matin, j’ai fait lire à Lorena une partie de ce que j’avais écrit hier, puis un groupe de voyageurs français est arrivé, elle a été occupée pour un moment alors je suis parti, après un très bon déjeuner.

Première aventure: je m’arrête pour un café à Villafranca, au dernier point avant la montée des Montes de Oca: une boutique pour pèlerins jouxtant l’hôtel San Anton Abad, construit dans une abbaye du moyen-âge. « Hôtel de charme », comme dit le Petit Futé. C’est vrai que c’est chic…

Mais, comme partout en Espagne, il y a des minuteries aux lumières des toilettes… Or, certaines choses ne se font pas qu’en quelques secondes… Alors, j’actionne quelques fois la lumière, ou plutôt la minuterie de la lumière…

Pour me retrouver dans le noir lorsque je retourne dans le café! Il n’y a plus personne, une énorme poutre ferme la porte! J’ai littéralement été oublié dans les chiottes!

Je traverse le chic hôtel pour ressortir quelques mètres plus bas que j’étais entré; ça m’a quand même rappelé l’aventure de Tina, le premier matin en Espagne!

Ensuite, il y a eu l’esquissé passé de ce matin, puis le monument aux morts de la guerre civile, puis une rencontre avec Kap Soo; peut-être la dernière, puisqu’elle va prendre le bus de Burgos à Léon (elle a déjà marché quelques jours autour de Léon).

Quelques mots, quelques pas ensemble, au hasard de deux rencontres, avant et après une petite pause dans le bois (là où une jolie rousse tendait des hamacs en tentant de calmer son chien qui jappait comme un dingue).

Elle a lu mon texte sur elle et l’a aimé. Nous reparlons de notre discussion de la veille sur la peur, les peurs. Je lui raconte le nœud défait dans mon pied gauche. Elle me dit qu’elle a réfléchi à notre discussion, elle aussi. Elle me cite un prêtre qui lui donnait en exemple certains mets coréens, qui doivent sécher dans leurs pots en céramique. Or, pour qu’ils sèchent, quelqu’un doit lever le couvercle; les pots ne peuvent pas lever le couvercle eux-mêmes. Je ne suis pas certain où elle veut en venir, mais j’aime l’image. Elle me demande si je crois que le Camino va me changer; je crois que c’est déjà commencé. Je lui demande ce qu’il en est pour elle. Elle me parle de ses peurs, qu’elle veut confronter. Je la trouve courageuse, elle me répond que non; qu’en fait, elle essaie d’éviter ses peurs, le plus loin possible.

Je suis ému.

Nous prenons congé.

J’arrive à San Juan d’Astorga à peu près en même temps que Dena, Jo et Sandra. À midi douze, il pleut et fait soleil en même temps, ciel bleu sur nos têtes! Nous prenons un remontant (café et sandwich pour moi, tonic ou bière pour elles) et repartons. Je m’aperçois, une fois rendu à Agés, que j’ai marché pas mal  moins vite que le matin: elles sont sur mes talons! Je continue jusqu’à Atapuerca. Mon pied gauche, qui était redevenu mon ami, me dit que ça suffit, alors je me trouve un lit à l’albergue puis une bière et du wifi pour écrire.

English digest: walk in the mountain and in the forest at the same time, chat with Kep Soo, I will miss her. Pleasant day, not too hot and finally it didn’t rain.

Carnet de route (et une recommandation), 28 mai 2017

D’abord, un Esquissé passé qui remonte à la Navarre, que j’ai oublié de retranscrire à la bonne date:

-I don’t wanna make the wrong mistake!

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Ensuite, un délicieux fou rire, la fois où je me suis mélangé entre le tapis de bain et la serviette de douche…

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Une curieuse vignette, ce matin, lorsque j’ai vu un chauffeur monter en slip (bleu azur) dans son camion de transport de bétail rempli de porcs…

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Un rare moment de mauvaise humeur contre la splendide Albergue de Santo Domingo, qui se vante d’être la plusse meilleure du Camino, dont les murs sont tapissés de règlements à plus finir, qui n’est pas foutue d’équiper ses toilettes de serviettes à mains… Sans la vanité de la plusse meilleure, je n’aurais rien dit.

… Ce qui me fait penser que j’ai oublié de transcrire un récit de Jürgen, au sujet du plusse meilleur pays du monde… Si j’oublie, faites-moi signe…

– – –

Ma mère a réagi à ce que j’ai écrit sur le peu de contacts entre les Espagnols et les voyageurs du Camino. Je veux revenir sur ce sujet.

Nous passons, à pied, sur un chemin neuf, en vérité, qui reprend un ancien héritage, oui, mais, bon, comment dire…

Oui, il y a ces auberges qui remontent à bien avant la fondation de Montréal, oui, il y a ces ruines d’églises et de couvents, oui, il y a ces ponts du Moyen-Âge, mais…

Mais il y a surtout eu une décision, ou une série de décisions, politiques et économiques, municipales, régionales, nationales, européennes, pour relancer le Camino, comme une entreprise de voyage qui ne soit pas totalement touristique, mais quand même un peu, mais pas vraiment…

Enfin; ça donne des auberges retravaillées, rénovées, reconstruites, construites à neuf (de toute manière, plus personne ne voudrait d’un hébergement de type moyen-âge, même pas les tenants du régime paléo!), un balisage et une qualité des chemins qui va de passable à excellent, avec, parfois, des tronçons des anciennes routes qui servent de voies de passage.

Et c’est le premier point auquel je veux venir. Le Camino relie plusieurs villages que la route moderne a tendance à superbement ignorer. Il se développe un lien essentiel entre ces villages remplis de maisons à vendre, plus ou moins en ruine (j’en ai vu une dont ne restait que la façade!) et le Camino: les villages n’existeraient pas sans lui, et il n’existerait pas sans les villages.

Et encore, c’est fragile: les compagnies d’autocars proposent des forfaits pour ceux et celles qui veulent se sauver des étapes; même la poste officielle (Correos) concurrence les entreprises privées en proposant le transport des bagages entre une étape et l’autre pour 4 euros, moins que les 5 euros des cars.

Donc, pour bien des gens, le Camino et ses gens sont un genre de mal nécessaire. Juste à repenser à l’aventure du premier matin, qui est survenue dans une albergue tenue essentiellement par des bénévoles.

En fait, trop souvent, nous, les voyageurs, sommes bienvenus, tant qu’il reste quelque chose à payer. Après, ben filez, pis c’est toutte.

Trop souvent, mais pas partout. Et voici ma recommandation.

Lorsque mon pied gauche m’a signifié qu’il était temps que je me pose, je me trouvais devant la Casa de los Deseos, comme je l’écrivais plus tôt. J’ai demandé au patron si c’était une albergue, il m’a dit non et m’a expliqué le chemin vers la « vraie » albergue, je lui ai demandé de l’eau, il m’en a offert… et je suis resté, à sa surprise et un peu à la mienne, charmé par le nom de l’endroit.

Mais ensuite… Une fois ma lessive faite, Javier, le patron, est allé l’étendre lui-même. Puis, lorsque la pluie a menacé, il l’a rentrée pour qu’elle finisse de sécher à l’intérieur. Il a noté ma commande pour souper, le tout a été préparé presque à l’heure (je me suis peut-être trompé dans mes chiffres espagnols…), c’était excellent! J’ai eu droit à une petite prime, parce que les poitrines de poulet aux poivrons n’étaient plus disponibles et, comme nous sommes dimanche, il ne pouvait pas en racheter… Alors il m’a fait des poivrons pour aller avec le poulet rôti.

L’hôtel existe depuis un an et demie et Javier et Lorena (parents du petit Lucas) se démènent pour que les clients se sentent le mieux possible, mais aussi pour les gens du village. C’est, depuis mon départ, non seulement le meilleur hôtel que j’aie fréquenté pour la qualité de tout, mais aussi le meilleur rapport qualité-prix, le seul endroit où les Espagnols et les voyageurs sont non seulement également bienvenus mais même traités vraiment à égalité. Ici, nous ne nous ferions pas foutre dehors à huit heures! Javier m’a même dit qu’on pouvait rester jusqu’à midi si on voulait.

Tout ceci pour dire que je recommande chaleureusement cette destination à tous les voyageurs qui passent dans le coin.

Vous leur direz salut de ma part!

 

English digest: go to Casa de los deseos. Enjoy. Repeat if needed.

 

Histoire de Dena (Villambistia, 28 mai 2017)

À la Casa de los Desios, il y a des Espagnols, un Allemand qui a marché depuis Constance en six ans et trois Canadiennes de Nouvelle-Écosse.

Dena me demande quand j’ai commencé ma marche, puis me parle de la sienne… Elles sont parties avant moi, le 18 mai, sont allées à Aurisson puis ont complété la traversée dans la terrible pluie du lendemain.

Mais, avant de me dire tout ça, elle a dit que c’était son second Camino… Ah, oui?

Ben oui… Sa sœur a vu un film qui parlait du Camino, il y a déjà quatre ou cinq ans. Elle a demandé à Dina si elle aimerait le faire? Dena n’était pas sûre, elle en parlait avec son mari, qui doutait, lui aussi… Puis il est mort. La sœur remonte de la Floride où elle vit, demande à Dena ce qu’elle va faire, maintenant… Réponse: et si on faisait le Camino?

-Laisse-moi le temps de réfléchir…

-Ben c’était ton idée!

Et elles s’organisent et partent.

Sur les entrefaites, sa fille rencontre, en Nouvelle-Écosse, un Espagnol… dont la famille vit le long du Camino! Dena rencontre la mère du jeune homme, c’est la belle entente, elle est hébergée en passant.

Sur le chemin, Dena rencontre aussi un homme dont c’est le second Camino. Elle ne peut pas imaginer que quelqu’un puisse vouloir le faire deux fois… Il lui dit de juste attendre un petit peu…

Elle rentre à la maison et est vite capturée de nouveau par le tourbillon de la vie « normale ». L’espèce de paix, de simplicité de la vie du Camino lui manque.

Quatre ans plus tard, sa fille et Joaquin vont se marier… en Espagne, car la fille souhaite que tout le monde de la famille puisse découvrir d’où vient Joaquin. En tout, quarante personnes viennent du Canada pour les noces, qui ont eu lieu à Logrono il y a deux semaines.

Puis Dena retourne à Saint-Jean-Pied-de-Port avec ses deux amies, Jo et Sandra, pour faire le Camino. Elle se dit, bah, pourquoi pas perdre quelques livres, et en plus le printemps en Nouvelle-Écosse est pourri…

Mais, cette fois-ci, gros changement: Dena, qui est responsable de projets dans une firme de TI, était très planificatrice, l’autre fois… Mais, cette fois-ci, pas du tout. Elle ne sait pas combien de km elle a fait dans la journée… et elle s’en fout!

English digest: met three Nova Scotia ladies at the hostel. Chatting was fun and the chicken as excellent!

De Santo Domingo la Calzada à Villambista (9e étape, dimanche 28 mai 2017)

Alors, j’ai raconté le réveil, j’ai raconté la conversation avec K S, j’ai raconté les bobos et le yoga de marche… Que me reste-t-il? La conversation avec Denise, pour commencer…

Hier, j’avais échangé quelques mots avec elle, pour demander une traduction vers l’allemand. Très sympa, riante, mi vingtaine, vive… J’avais ensuite rejoint Bernie et Jürgen… Mais ceux-ci ont continué plus loin, je ne sais même pas jusqu’où, alors que Denise s’est arrêtée au même refuge que moi, la nuit dernière.

Nous nous sommes retrouvés à la sortie, ce matin. Je lui ai proposé de faire quelques pas ensemble, elle a refusé en s’excusant. J’ai répondu que pas de problème, même pas besoin de s’excuser, chacun son chemin, c’est très important. Elle est partie quelques minutes avant moi.

Je l’ai rejointe avant Granon, saluée en passant; elle m’a dépassé pendant que je buvais mon café instantané (dans un donativo qui s’appelait la Casa del Sonriso, vraiment genre youth hostel cheap, si j’ose m’exprimer ainsi) au son d’un mouvement lent de Concerto pour violon de Mozart (ça ne s’invente pas!).

Donc, à la sortie du village, je la dépasse de nouveau, pendant qu’elle se prend une banane en admirant les environs. Nouvelles salutations.

Puis je m’arrête pour un vrai déjeuner et un vrai café à Redecilla del Camino. Elle me dépasse de nouveau. Lorsqu’elle m’entend la rattraper, le long de la grand route (il y avait des policiers en embuscade, je marchais relativement vite, j’avais envie de leur demander un test de vitesse!), elle se retourne et engage la conversation.

D’abord, par des excuses… qui ne sont pas nécessaire, je la rassure sur ce point. La réassurance lui fait du bien: je n’ai senti aucune hostilité ni méchanceté ni rejet de sa part, ce matin. Elle m’explique qu’elle est partie de Saint-Jean-Pied-de-Port en pensant qu’elle devait faire cette marche toute seule, dans ses pensées, et que finalement, les premiers jours, elle avait été prise dans des tas de conversations… Elle avait dû apprendre à accepter les jasettes, d’une part, et à accepter de dire non lorsqu’elle avait besoin d’être seule, d’autre part (mon interprétation).

Nous parlons de vitesse, de lenteur, du temps disponible, de nos bobos (ben quoi…), je lui raconte l’issue surprenante de ma conversation avec K S…

Elle me dit qu’elle cherche à savoir qui elle est… sans entrer dans les détails. Ne veut pas parler de sa famille, mais parle des traumatismes passés… Je lui parle un petit peu de Boris Cyrulnik et de ses travaux sur les traumatismes portés (et transmis) par les enfants des traumatisés, même s’ils n’ont pas été traumatisés eux-même. Elle réagit vivement et me remercie chaleureusement. Je reprends ma route.

Je la revois brièvement à Belorado, où elle s’arrête pour la soirée; moi, juste pour dîner… dans un resto qui n’est pas encore totalement ouvert (service à partir d’une heure; à midi, tapas seulement), mais ça fait rien, c’est bon! La décoration du resto me fascine: il y a des horloges partout! Mon père aurait presque adoré ça; « presque », parce qu’elles ne sont pas toutes à l’heure!

Puis, mon pied reposé et le reste de mon être restauré, je suis reparti, en me demandant jusqu’où j’irais… et, avant le village suivant (Tosantos), c’est mon sac vert qui a abandonné le voyage. C’était un cadeau de mon père, ou de mes parents, je ne sais plus, qui m’avait accompagné dans tous mes voyages depuis, ahem, peut-être la fin des années 80…

Le long du Camino, il y a des bornes qui portent des cadavres de chaussures, en manière d’hommage… Enfin, il y avait, en Navarre et en Rioja; depuis la Castille-et-Leon, je n’en vois plus. J’aurais aimé y laisser mon sac…

Mais, au lieu de laisser mon sac, je suis tombé sur… La Casa de los Deseos… Chambre individuelle pas très chère (25 euros), douche et toilette dans la chambre, wifi (un peu lent, mais quand même…), souper à prix raisonnable et déjeuner sur place, machine à laver (youppi, je vais pouvoir remettre mes bas noirs dès demain!)… Je demande s’il y a une albergue « normale » au patron; oui, il y en a une, un peu plus loin… Je lui demande un autre verre d’eau… puis décide de rester. Le nom de l’endroit est vraiment trop joli. Et mon pied me dit que ça suffit comme ça pour aujourd’hui.

Douche magnifique, la meilleure depuis le début de mon voyage! Yoga restaurateur, le meilleur aussi! Demain matin, certainement pratique complète!

Mais, bref: si vous voulez m’écrire à la Maison des Désirs… il vous reste une douzaine d’heures 🙂

English digest: had interesting discussions with KS,  with Denise and with my left foot; had bad and good coffee, walked a lot (more than 30 kms) and am presently at the House of Desires… Can’t invent that!

Yoga du marcheur (Belorado, 28 mai 2017)

Sur le Camino, mon yoga n’est pas souvent comme ce qu’il a été autour de Montréal depuis janvier. J’ai fait une ou deux pratiques « normales », c’est tout; pas mal de réchauffements par bascule du bassin, surtout lorsque le sac à dos me faisait mal au creux des reins, au début. Mais maintenant… ?

Maintenant, je repense à ce que m’a dit Gaël, plein de fois, lorsque j’essayais d’être un bon élève: « Tu sais, juste être étendu sur ton tapis et penser à ta respiration, ça compte! »

… Et je fais mon yoga en marchant. C’est venu un peu par la force des choses: vendredi dernier, le 19, lors de ma première étape, je me suis mis, d’abord, à avoir mal aux attaches des genoux, d’abord le gauche, puis le droit, sévèrement, puis le gauche de nouveau… Puis j’ai développé des ampoules, deux très évidentes au pied gauche et une troisième dont je ne me suis aperçu qu’en me coupant un ongle de l’autre pied, quelques jours plus tard. Finalement, un faux mouvement de bascule du pied m’a donné mal à l’arche du pied gauche. Oui, ça remonte à ce moment-là. Sur le coup, j’ai été très surpris que ce ne soit pas la cheville qui ait pris le coup; je suppose que mes chevilles doivent être drôlement plus solides qu’en janvier!

Cela dit, ça a fait mal, presque à m’en couper le souffle. J’ai songé à m’arrêter… Puis, comme j’avais fait pour les genoux, un après l’autre, je me suis dit doucement, ralentis, cherche le confort dans l’inconfort, cherche ce qui calme la douleur, essaie de te composer un pas qui n’implique pas ce qui te fait mal…

L’équilibre était difficile à trouver entre la tentation d’arrêter dès le début (et la peur de n’aller nulle part, finalement) et l’importance d’écouter mon corps, de ne pas me mettre inutilement en danger de blessure dès le début…

Gaël, tu avais beaucoup de jasette dans ma tête! Mais ça a fonctionné: la douleur au genou gauche s’est presque complètement calmée, pendant l’ascension. Celle au genou droit s’est aggravée, puis calmée, celle au gauche est revenue, mais moins extrême…

Puis il y a eu la descente, à pic, dans la boue… Puis la soirée en sandales (enfin!), l’examen des ampoules (aïe aïe aïe!), le bandage des ampoules, le dodo… Le redépart le matin suivant; le retour des douleurs en montant, mais moins pires, plus facilement contrôlables…

Puis, quelques jours plus tard, j’ai crevé mes ampoules (qui avaient deux ou trois étages de profondeur!), qui sont revenues jusqu’à ce que je comprenne que je n’avais pas besoin de serrrer autant le bout de mes bottes, d’une part, et que la paire de bas noirs est la meilleure, dans mes circonstances actuelles.

Il y a eu des moments de fatigue du dos, des épaules; l’autre jour, je me suis défait, en marchant, une crampe dans l’épaule gauche, en respirant dedans.

Là, depuis deux jours, mes genoux sont tranquilles. Il ne reste que la douleur sous l’arche du pied gauche…

Mais, ce matin…

Ce matin, après le déjeuner à Redecilla del Camino, en repensant à la conversation avec Kep Soo et à ces peurs à abandonner, qui sont finalement ma raison de faire le Camino… Quelque chose s’est dénoué dans mon arche du pied gauche. Ce n’est pas devenu instantanément guéri, non… J’ai juste senti que ça irait, que je pouvais continuer de marcher avec confiance; ça m’a fait un sentiment beaucoup plus proche de la grosse fatigue que de la crampe. À la place, j’ai senti un nœud du côté de l’estomac, mais j’aime mieux avoir affaire à celui-là, pour le moment.

Cela dit, en arrivant à Belorado, peut-être trois heures plus tard, mon pied m’a dit de ne pas abuser. Je me suis assis pour dîner comme il faut: des tas de tapas, une pointe de tortilla bourrée de plein de choses et un café con leche.

Ça va mieux. Je vais tenter de marcher encore un village ou deux, pour m’acheter du temps à Burgos après-demain, et aussi parce que c’est vraisemblablement ma dernière journée sous le soleil pour un moment.

English digest: yoga helps and Gaël is good.

Déjeuner à Redecillo del Camino, 28 mai 2017

Ce matin, demi réveil vers 4h et quelques, lors des premiers mouvements; réveil pour de bon vers 5:05 lorsqu’un de mes voisins échappe quelque chose par terre: monnaie, pilules, je ne sais pas (il fait noir!), mais ça roule partout! Et pouf, nous voici tous réveillés!

Ceux qui me connaissent (ahem) ne seront probablement pas surpris de savoir que j’ai été parmi les derniers sortis du vaste dortoir. Encore que… Peut-être un petit peu en sachant qu’il était 5:44.

Départ dans la fin de la nuit, arrivée du côté de Granon au lvere du jour… Pas de « vrai » café dans le hameau; juste une auberge « donativo », où on peut se faire chauffer de l’eau au micro-ondes pour se prendre un café instantané… Bon, je dois être plus bourgeois que je ne le pensais, finalement… Je me prends un jus, tout de même, donne quelques sous puis repars.

En chemin, je rejoins Kap Soo, qui me demande pourquoi je suis sur le Camino. Je ne le sais pas encore. Elle me demande si je suis marié. Non. Pourquoi? Parce que j’ai peur…

-Aaaah, voilà, vous savez maintenant! Moi aussi, j’ai peur, j’avais des parents qui toujours me disaient fais pas ci, fais pas ça, il y a des gens qui… they blame you. Mais maintenant, nous pouvons laisser les peurs!

La route changeait juste à ce moment-là; nous venions d’entrer en Castilla y Leon.

Merci. Le Camino m’a peut-être donné une grande sœur, aujourd’hui.

English digest: coffee in Granon sucks but people on the Camino can wrench your guts.

Histoire de Jürgen, Camino Francés, 27 mai 2017

Jürgen, l’autre jour à Los Arcos, nous a parlé du décès de sa mère, il y a trois mois. Elle était diabétique et parkinson… n’avait plus toute sa tête… Lorsqu’elle a faibli, la famille l’a laissée partir. Jürgen pense que c’est un cadeau qu’elle lui a fait, de partir à ce moment, pour qu’il puisse s’occuper de son Camino l’esprit et le cœur en paix… AUjourd’hui, dans les derniers km avant Santo Domingo, il m’a parlé et je l’ai écouté.

Il a commencé en disant qu’il y avait eu dans sa vie des moments superbes, d’autres terribles, et qu’il y en avait qu’il aimerait oublier. Il a continué, un peu plus tard, en disant qu’il transportait deux pierres vers la Cruz Ferrata, là où l’on peut laisser quelque chose derrière soi…

Après plusieurs pas en silence, il m’a raconté qu’il a été marié pendant 17 ans avec une femme qui a été son amour pendant 25 ans… Les deux voulaient des enfants, elle a été enceinte quatre fois, ça n’a pas marché; elle a failli y passer deux fois.

Comme ils voulaient des enfants, ils en ont adopté deux, un fils et unne fille, en Allemagne et en Ukraine (je n’ai pas demandé qui était qui).

Jürgen reprend sur les épreuves du couple, il dit qu’on penserait que ça peut souder… mais qu’au contraire, sa femme s’est mise à parler avec une de ses amies, séparée, qui l’a emmenée en discothèque, et fait profiter de la liberté, et, et… Une fois, sa femme est venue à la maison avec un autre homme et c’,était fini.

À ce jour, il n’a pas encore compris pourquoi, et la question le hante. C’est une de ses pierres. Je lui souhaite vraiment de pouvoir se délester.

À cause des enfants (la fille a 19 ans, le fils 21 ans), ils doivent rester en contact, et il trouve ça difficile.

Il me parle de sa fille, et je sens à quel point ces deux-là s’aiment. Elle lui a écrit cinq cartes qu’il peut ouvrir au besoin. Il y en avait une pour la fête des Pères, une pour si il s’ennuie, une pour s’il veut la voir, une pour s’il renonce à son voyage avant la fin… Celle-là, il espère pouvoir la redonner scellée à sa fille.

Il me parle aussi de son fils, avec qui c’est plus difficile. Son fils agit sans réfléchir et puis en paie les conséquences; il ne m’a pas donné de détail.

Nous convenons que de trop réfléchir n’est pas bon, mais que de ne pas réfléchir du tout peut être encore plus néfaste.

Pendant une bonne partie de cette discussion, j’ai eu la gorge serrée. Cet homme a un cœur immense.

Il est rendu au moins un village plus loin. Je ne sais même pas si je vais le refoir… mais je lui souhaite de tout cœur de trouver la paix.

Il m’a permis de raconter son histoire. Il m’a aussi raconté celle de Bernhard, mais je ne sais pas si j’ai le droit de la raconter. Sauf qu’elle dit encore à quel point c’est un homme aimant.  Vielen Danken, herr Jürgen, auf wiedersehen.

Histoire de K.S. (Najera, 26-27 mai 2017)

K.S. K. est d’origine Coréenne du sud, mariée à un Américain et vit à Hawaii. Elle est contente d’avoir l’occasion de parler un peu français. Elle est pas mal bonne, d’ailleurs; je ne lui ai pas demandé où elle avait appris…

Nous parlons du Camino un moment… J’appends que son mari le fait aussi, de son bord, avec des amis; j’apprends aussi qu’ils ont tous deux le cœur brisé, mais pas à cause de quoi…

Rendu la nuit, elle prend des photos des trois jeunes hommes dans sa chambre (je m’inclus dedans, même si j’explose la moyenne d’âge des deux gamins, lesquels sont aussi Sud-Coréens, récemment réformés de l’armée), mais nous sommes au lit! Je ne porte même plus de t-shirt! Dans un éclat de rire, je lui dis qu’elle va rendre son mari jaloux! Elle répond qu’elle a besoin de le rendre un peu jaloux… Il est ailleurs, Comme je disais… Je lui demande de m’écrire son nom, elle me demande pourquoi? Pour le retenir (je trouve son histoire touchante)… Elle m’explique que c’est un nom de garçon; son père voulait un fils; après elle, il y a eu une autre fille au nom de garçon…

Le lendemain matin, elle se lève très tôt et part se préparer dans la salle de lavage (juste un vaste lavabo, pas de machine). Lorsque je suis presque prêt, je vais la rejoindre, pour ne pas réveiller les deux dormeurs.

À ce moment, petite commotion: Denise (que je ne connais pas encore) entre dans la salle de lavage, agitée: elle cherche une bague d’argent qu’elle a perdue… Non, pas de bague par ici… Je m’aperçois à ce moment à quel point ce qu’on laisse derrière nous est défénitivement perdu, sur le Camino…

Denise repart, revient, pas trouvé la bague, tant pis… Petit conciliabule avec K.S., qui me regarde, juste après, avec de grands yeux.

Elle me dit qu’elle était soupçonneuse et que, si la même chose lui était arrivée, elle serait convaincue que l’ « autre » (elle, dans la circonstance) lui avait volé la bague. Or, Denise n’y pense même pas. K. S. me dit alors qu’elle vient de recevoir une leçon du Camino.

Je lui demande la permission de raconter son histoire; elle me l’a donnée.

De Najera à Santo Domingo de la Calzada (8e jour, 27 mai 2017)

Ce matin, je suis parti vraiment tôt! J’étais dehors à 6h15! 

La preuve!

Les premiers km étaient sous la fraîcheur de la nuit finissante. J’étais tellement tôt que les Allemands étaient derrière moi. Comme ils étaient mieux réveillés, ils m’ont vite rattrapé. Nous avons contemplé le lever du soleil ensemble.

Marche assez facile, parmi les vignes et la terre rouge, jusqu’à Azofra, où nous avons pris un genre de petit déjeuner. Croisé Denise, une autre Allemande, résidente de l’albergue où j’étais la nuit précédente et protagoniste de l’histoire que je vais narrer tantôt, et Stefano, caminante italien.

Autrement dit, à 8h15, j’avais déjà parlé français, anglais, allemand, espagnol et italien… Ce n’était pas évident!

En tout cas, je n’aurais jamais imaginé que mes quatorze miettes d’allemand me serviraient autant, sur le Camino!

Mais ce n’est pas totalement illogique, en fait. Jürgen a raison, nous sommes un peu comme une grande famille, mais nous passons parmi les Espagnols sans véritable contact, comme deux systèmes de vies parallèles.

Enfin… Marché et jasé avec Denise pour un moment (très à l’aise en anglais, très bonne prof pour l’allemand), puis rattrapé Bernhard (nettement moins à l’aise en anglais, sens de l’humour colossal, qui passe à travers la barrière de la langue; je regrette de ne pas souvent le comprendre), et, à la faveur d’une longue dôte au sommet de laquelle il s’est arrêté, Jürgen. Car il marche vite!

Jürgen ist immer schnell und Bernie ist immer laughend und längsamm.

Après la petite pause, j’ai eu un regain d’énergie, mais de plus en plus mal à l’arche du pied gauche. Je me suis arrêté à Santo Domingo de la Calzada, alors que les autres ont continué un village de plus.

Je ne sais pas si je pourrai les rattraper…

Mais avant d’arriver, Jürgen m’a raconté son histoire… je lui ai demandé la permission de l’écrire, il me l’a accordée. C’était la deuxième histoire, non, la troisième, sauf que la seconde était de troisième main, j’hésite à la raconter…

English digest: I was on the road earlier than the Germans. However, they caught up and Jürgen told me his story. I stopped earlier than them, though, because my left foot was sore. All in all, a great day, save for the wifi connexion.