Esquissé passé, aéroport Mohammed V, Casablanca, vendredi 8 mars 2019

Ma mère passe avant moi et déclenche le portique. Le policier regarde son passeport, la regarde, ne la fouille pas.

C’est mon tour.

-Écartez les bras s’il vous plaît.

-J’ai déclenché?

-Non.

-Ah! C’est pour le plaisir, alors?…

-C’est pour le massage… Bon voyage.

-Vous êtes certain de n’avoir rien oublié?

  • – – – –

Une voix féminine souhaitait une bonne journée de la Femme à toutes les femmes, dans l’aérogare.

… À Montréal, me semble que des gens avaient fait des vagues, disant que leurs cultures ou leurs religions les empêchaient de répondre à des femmes pour des examens de conduite ou autre chose. J’avoue ne pas me souvenir des détails ni de quelle communautés il s’agissait.

Chose certaine, ici, personne ne semble avoir de problème à ce que des femmes nettoient les toilettes des hommes. En fait, que des femmes nettoient pas mal tout; je n’ai vu que des femmes faire le ménage.

Cela dit, bonne journée de la Femme à toutes mes lectrices.

Carnet de voyage et esquissé passé, Casablanca, mercredi 6 mars 2019

Étions-nous dans le quartier des Habous? Ce n’est pas clair, vraiment. Les quartiers sont vaguement identifiés sur les cartes et parfois sur des indications routières, mais les contours exacts sont parfois difficiles à saisir.

Bref, ça ressemblait à la fois à une ville de province française et maghrébine, ce qui pourrait correspondre à la typologie des Habous, ce quartier conçu il y a environ un siècle, lors de l’expansion de la ville après la Premières guerre mondiale. L’idée était justement de loger les nouveaux habitants dans un quartier qui reprendrait à la fois le meilleur des médinas et le meilleur de l’urbanisme à l’européenne.

Ma mère a trouvé ça moche; j’ai surtout trouvé ça défraîchi. Disons que ça me semblait une autre illustration de ce que je dépeignais la veille: comme il n’y a plus d’argent à faire ici, il n’y a plus non plus d’investissement qui est fait, alors les maisons vieillissent, les peintures s’écaillent, et tout part à vau-l’eau.

Je repensais au renouveau de Prague, lorsque je l’ai visitée en 1992, peu de temps après la chute du communisme: des tas de maisons étaient en cours de restauration et de repeinture, c’était en train de redevenir vibrant. La même cause, ici, aurait certainement le même effet. Mais bon…

Tout ceci pour dire que nous avons dîné dans un petit restaurant de ce quartier, plutôt sympa, avec une majorité de clients qui étaient des étrangers mais aussi quelques Marocains parlant français. Notre voisine nous a d’ailleurs très aimablement parlé des instruments des deux hommes qui jouaient à la porte, l’un avait des cymbales dans les mains et l’autre, une gambra, si j’ai bien entendu, un genre de basse à trois cordes et à table en peau tendue, qui peut être jouée à la fois comme instrument à cordes et comme percussion. Et ça sonne en titi!

Le plat principal était du poulet servi avec des crêpes coupées en longues lanières, avec des lentilles et du safran. On aurait dit des pâtes style tagliatelle. C’était très bon. La soupe hariri était un peu moins goûteuse qu’à l’autre place où nous en avons pris, Les Saveurs du Palais, mais l’orange à la cannelle, les pâtisseries marocaines et le thé à la menthe étaient totalement satisfaisants.

Sauf que…

Sauf que, dans ce charmant restaurant où tout le monde parle français et où on mange bien, il y a une salle de bains, évidemment, avec un évier qui propose savon et serviettes pour se laver les mains, ce qui n’est pas universel à Casablanca, croyez-moi. L’évier, très joli, en céramique, est placé en-dehors de la salle de toilette proprement dite, ladite salle n’a pas d’évier.

Or, lorsque je suis allé à la toilette après mon repas, il y avait quelqu’un. Pas grave, j’attends en m’éloignant un peu. La porte s’ouvre, quelqu’un en sort, c’est la cuisinière (je la reconnais à la toque qui empêche les cheveux de tomber dans les plats), et elle retourne en cuisine… sans se laver les mains…

… Bon… Il y avait peut-être un autre lavabo dans la cuisine…

Reste que je ne suis pas certain d’y retourner…

Carnet de voyage, Casablanca, mardi 5 mars 2019

Il n’y a pas qu’à l’église, ou la mosquée ou la synagogue ou la salle du Royaume ou l’assemblée, qu’il faille faire acte de foi.

Nous étions cet après-midi sur le boulevard de la Corniche, qui longe une petite péninsule sur l’océan.

J’ai pensé à cette phrase de Félix Leclerc que mon père citait de temps en temps: « Fais quelques pas autour de la Méditerranée: tu verras ce que Dieu a fait de plus beau, et l’homme de pire. »

Casablanca est sur l’Atlantique, mais ici, sur la Corniche, la remarque s’applique fort bien. Il reste un tout petit morceau de plage, pris entre deux constructions. Partout ailleurs, il y a des immeubles assez bas (en contrebas de la route) pour qu’on puisse voir la mer, puis des cours avec des piscines, puis des murets, puis des rochers et l’océan… mais aussi des trucs, des machins, des faux palmiers dans une piscine vide, une barque barbecue sur une fausse plage, des jeux pour enfants, des studios qui font penser à un motel, des restos ou cafés vitrés du côté de l’océan… Pas un pouce d’accès direct depuis le boulevard. Tout est privé.

Ce n’est pas tout, car tout est aussi comme dans mon billet d’hier, c’est-à-dire vétuste, usé, suranné… Ça a dû être neuf dans les années, euh… 1970, peut-être; ça me fait penser à des films de Pierre Richard, disons, comme Le coup du parapluie ou C’est pas moi c’est lui

Je repense à ce moment d’un monologue de Pierre Richard, justement, où il parlait de la surprise de l’admirateur qui le rencontre dans la rue et constate qu’il a bien vieilli depuis le film de l’autre soir…

Tout ce long préambule pour en venir à deux constats:
-le premier est celui du sentiment de la fin d’un monde, de plusieurs mondes, en fait.
•Les autos neuves sont presque toutes des voitures de luxe. Les belles maisons sont cachées derrière de hautes clôtures, les endroits publics sont moches, les endroits semi-privés sont semi-moches…
•le français, qui est encore remarquablement présent, recule, sous la pression de l’arabe, mais aussi celle de l’anglais. C’est encore discret, mais je suppose que ça va s’amplifier; la pub est attaquée en premier.
-le second est celui qui porte sur la foi: bon, d’accord, nous ne sommes qu’en mars, ce n’est pas du tout l’été ni le moment des vacances (d’ailleurs, il y a une proportion non négligeable de gens qui portent des manteaux doublés, ici, par 16-20 degrés!), mais l’impression de la Corniche est généralement glauque. Je suppose que, s’il y a plus de monde, l’ambiance sera meilleure, mais pour ceux qui y étaient aujourd’hui, il fallait y croire, vraiment…

Nouvelle solitude

Esquissé passé, Casablanca, lundi 4 mars 2019 (2)

Il fait tellement de gestes pour orner, éclaircir, compléter, nuancer son discours, le rendre persuasif et charmeur, que même s’il ne parle pas une langue que je connaisse, j’aurais certainement une idée, au moins de ses intentions si je le suivais attentivement. Et tout ça d’une seule main, car…

La seule chose: il est au téléphone…

Esquissé passé, Casablanca, lundi 4 mars 2019

Sur la photo, il a peut-être entre la mi-trentaine et le début de la quarantaine; souriant, avec femme et enfants, cheveux et moustache bien noirs, l’air bien portant.

Aujourd’hui, il en a soixante-dix. Le sourire est encore chaleureux, mais les cheveux et la moustache ont blanchi, les chairs se sont ramollies, la voix est rocailleuse et le rire ressemble à une toux, comme chez les gros fumeurs. Il n’a pas fumé devant nous, mais l’appartement porte un fond d’odeur de tabac.

L’appartement est vaste, dans un immeuble qui en compte une dizaine. Il y a trois chambres, deux salles de bains, un vaste salon – salle à manger et une cuisine remarquablement bien équipée pour une location.

L’immeuble était certainement très chic: il y a des miroirs au verre biseauté et un vaste lambris de bois d’essences différentes dans le hall d’entrée dallé de marbre (comme l’appartement, d’ailleurs).

Mais la peinture de l’escalier a terni, en plus d’être, par endroits, tachée d’énormes coulisses mystérieuses. Le seuil (de marbre!) de l’ascenseur est craqué.

Dans l’appartement, les murs du salon sont lézardés. C’est peut-être un effet de style volontaire, cela dit, puisque les autres murs sont intacts, eux.

Mais il y a aussi les ampoules brûlées dans les lustres; la douche qui a été moderne il y a peut-être 35 ans, justement, avec son système de son intérieur (!!!), mais dont les jets latéraux ne fonctionnent plus, et dont la grosse pomme au plafond est constellée de vert-de-gris…

Comme la base du robinet de cuisine, qui fuit de minuscules mais intense jets dans des directions improbables. Le robinet de cuisine, qui ne donne plus d’eau chaude, par ailleurs. J’ai vérifié, ce n’est pas l’arrivée d’eau sous l’évier qui est fermée. Au fait, l’arrivée d’eau de l’eau froide ne se ferme plus, elle! Un des deux robinets tourne dans le beurre, l’autre est complètement bloqué!

Le dessus de la cuisinière est propre, mais pas l’intérieur du frigo. Il y a une assiette encore un peu sale dans un des placards…

… On dirait que je chiale contre une location de vacances; pas vraiment. En fait, je repense au moment où il a fallu vider l’appartement de ma grand-mère, lorsqu’elle est partie vivre en résidence: sa mémoire lui faisait tellement défaut que mes tantes ont craint qu’elle n’oublie le feu allumé sur sa cuisinière!

Chez ma grand-mère, comme ici, il y avait des tas de souvenirs, de voyage, de famille, des meubles anciens ou semi-récents, de la vaisselle propre et de la sale, des trucs qui marchaient et d’autres, non, des craques aux murs… À sa défense, elle était bien un quart de siècle plus âgée que notre propriétaire, ici.

Ici, comme chez ma grand-mère, c’est le vrai appartement d’une vraie famille ou d’une vraie personne, et non pas un de ces machins impersonnels mis sur le marché par des gens qui veulent faire du fric, qu’on parle d’investisseurs professionnels ou amateurs.

Bref, je suis songeur, en voyant comment les habitations portent la trace de la courbe de l’existence des gens qui y vivent. Je crois que ça me rend nostalgique.

Le coucher de soleil était magnifique, depuis la terrasse, tantôt.

Esquissé passé, Casablanca, samedi 2 mars et dimanche 3 mars 2019

En voyage, le corps ne change pas d’horaire automatiquement, loin de là. Certains organes continuent de fonctionner selon leur « ancien » horaire. Dans mon cas, ce sont entre autres les reins.

Dans la journée, boire ne m’a pas donné tellement envie de pipi. Mais, la nuit, alors que pour mes reins, la veille, c’était plein jour, alors, là!!!

Donc, une fois couché, je me relève, la vessie bien pleine. Or, le propriétaire de l’appartement où nous sommes a installé un petit dispositif automatique, qui émet, dans un petit « pschutt » caractéristique, un petit nuage de gouttelettes de désodorisant. Le dispositif est installé sur le réservoir de la toilette, et donc je me retrouve à me faire arroser ahem les mains ahem lors de mon passage.

Accident isolé, certainement…

Ben non. Ça recommence à la visite suivante, puis à l’autre… Finalement, je réoriente le petit machin (le dispositif vaporisateur, je veux dire) pour ne plus y être exposé. J’ai bien fait! Car Pschutt, encore!

… Je finis par conclure que le vaporisateur est déclenché par détection de la lumière, et non par une minuterie.

… Ce, jusqu’à ce soir… Car là, voici un instant, la machine s’est emballée! Des pschutt en cavale! Bon, je l’ouvre pour l’arrêter. Deux boutons: un des deux porte l’inscription du nombre de minutes (il était placé sur « 20 »!).

Maintenant il est à « off »…

Esquissé passé, Casablanca, samedi 2 mars 2019

-Le monsieur français il venait là avec des tas de femmes, dans le temps y’a longtemps; ça l’a pas empêché de mourir!

[devant la carcasse d’un immeuble probablement autrefois très beau, qui portait le nom d’Hôtel de France]

Esquissé passé, aéroport Mohamed V, Casablanca, vendredi 1er mars 2019

Deux très jolis moments, ce matin, en arrivant.
Le tout premier à la guérite de l’agent d’immigration. Il lit nos fiches, inscrit un hôtel fictif, puis s’arrête à ma fiche, et plus spécifiquement à ma profession:
-Musicien? Ah! Vous jouez de quel instrument?
-Du violoncelle.
-Ah! Très bel instrument! Moi aussi, avant ce travail, j’étais musicien; je jouais de l’… [je n’ai pas entendu]
-Pardon?
-Je jouais de l’orgue. Vous et moi, nous pouvons travailler ensemble! [dit avec un vaste sourire]
-Je ne pensais jamais dire ça à un agent d’immigration, mais, volontiers!

– – – – –

Nous attendons le monsieur qui vient nous chercher. Nous attendons longtemps. Un moment donné, une femme qui attend comme nous, à l’endroit où des voitures peuvent déposer et prendre les voyageurs, se tourne vers nous et nous dit:
-Puis-je vous aider? Puis-je appeler pour vous quelque part? Allez-vous à un hôtel? La navette est juste là.
-Ah, merci, nous attendons que la personne de qui nous avons loué l’appartement arrive.
-Ah, mais ce n’est pas correct, moi je suis Marocaine, je suis habituée d’attendre, mais vous! Quelle impression ça va vous donner du pays?!? Donnez-moi le numéro de téléphone, je vais appeler! [elle compose] Pourvu qu’il réponde!

Il répond, et nous comprenons que le monsieur qui vient d’arriver, juste quelques pas plus loin, est celui qui nous cherchait.

N’empêche, merci beaucoup, Madame! Ma mère et moi avons tellement souri pendant son appel!