Fin de semaine de cérémonies (Montréal, août 2017)

Ce billet est le dernier de ceux évoqués dans ma liste d’il y a cinq jours…

Samedi dernier, j’avais deux gigs, puis une autre dimanche matin. La première était un mariage, qui avait lieu dans un genre d’usine à mariages à Laval, un grand bâtiment avec des salles de conférences ou de réceptions de tailles variées, avec des tapis mais pas de fenêtres, sis dans un centre commercial. « Notre » mariage avait lieu au sous-sol, dans une salle assez vaste, décorée de ces trucs que j’aime si peu: de grands vases dans lesquels flottent des chandelles… Ça me donne tout le temps une impression d’incendie qui n’attend que la bonne occasion pour se déclencher… Et nous, les musiciens, qui sommes toujours loin de la sortie… Enfin, presque toujours: ce soir, j’ai joué pour un autre mariage, et nous nous sommes fait demander de nous déplacer, parce que nous empêchions le cortège d’entrer dans la « salle », cortège qui commençait par deux énormes chiens! Mais c’est une autre histoire…

Alors donc, ce mariage avait littéralement lieu dans un sous-sol de centre d’achat. Il y avait à quelques pas de moi une dame début cinquantaine, je crois, avenante, qui aurait pu être belle, n’eût été de sa robe bleue à paillettes, tellement échancrée au dos qu’elle laissait voir les sous-vêtements du haut et ceux du bas en un seul coup d’œil. Ça ne faisait pas chic ni affriolant, mais bien vulgaire, malheureusement…

La cérémonie a commencé pas mal à l’heure, mais a été retardée plusieurs fois par les exigences des gens de l’image et du son: il y avait deux caméras, deux photographes (au moins), et tout ce monde se chicanait pour trouver le plusse meilleur angle… Une des camérawomen (ça se dit comme ça?) dirigeait le trafic par des grognements et des claquements de doigts… Pas très élégant…

Il y a eu trois échanges de consentements, le dernier sous forme d’échange de vœux rédigés par les mariés; ça, c’était touchant, finalement, dans cette cérémonie autrement très tournée vers le paraître. Il faut dire que les célébrants laïcs sont bien à la peine, souvent, pour donner du sens à leurs cérémonies; ils utilisent toutes sortes de rituels pour émuler le sacré, si j’ose dire… Je repensais à la splendide cérémonie en mémoire de Gilles Tremblay à laquelle je participais la veille, avec en tête quelques questions et un constat.

Les questions: qu’est-ce que le chic? Le bon goût? La classe? Le constat: ben finalement, oui, je formule des jugements. Et vite, à part de ça!

Seconde gig: un 45e anniversaire de mariage, toujours à Laval, dans une autre usine à… Non, je serais un peu injuste: au moins, ici, il y a des fenêtres aux salles. Cela dit, c’est le même genre d’endroit, il y a plus de salles, plus petites, et c’est plus… désuet, disons, mais tout de même un tantinet plus chaleureux.

Le couple dont c’est le 45e anniversaire de mariage nous accueille. Il y a une photo de leur mariage, 1972, devant l’église… Ma parole, c’est Saint-Ambroise, l’église de « ma » caisse populaire!?! Vérification, oui, c’est bien ça. Nous jouons beaucoup, pour des gens qui sont attentifs et qui connaissent et aiment vraiment la musique. Nous sommes applaudis presque après chaque pièce, ce qui est rare, et pas que deux ou trois clap clap par ci par là, non; presque toujours tout le monde s’y met. Nous jouons des valses, les gens dansent; des rocks, les gens dansent. Demande spéciale des mariés: Moon River; ils sont trop sollicités pour danser, mais lorsque nous reprenons une valse, par la suite, ils dansent.

Ombre au tableau: la fête pour adolescentes, de l’autre côté du hall d’entrée, où il y a un DJ au système de son bionique. Les pauses, dans notre longue soirée, sont bienvenues, pour nous aérer les oreilles! Cela dit, lorsque nous revenons de notre (très honorable) souper (nous avons été installés dans une salle à manger inoccupée, largement vitrée, à l’étage, avec vue splendide sur un coucher de soleil accablé de nuages!), lorsque nous revenons, disais-je, ben zut, zgrougn et proutch, il y a maintenant un second DJ, atomique, dans la pièce voisine! Nous devons hausser la voix pour nous entendre parler! Bon, j’aime bien Long Train Running, là n’est pas la question… Juste, pas trois fois presque de suite, tellement fort à travers le mur que j’aie de la misère à entendre ce que jouent les collègues…

Mais « nos » gens nous restent fidèles, et ils continuent de danser sur notre musique, plutôt que sur l’invasion passant à travers les murs; ils ont du mérite, et nous aussi: pas facile de trouver son tempo lorsqu’une batterie géante te susurre la sienne à coup de pieds aux fesses!…

Nous étions convoqués de 17h à 23h (!!!) mais, vers 22h15 (tout de même!), le couple nous dit que nous sommes libérés, vu que presque tout le monde est parti (il y avait beaucoup de jeunes enfants dans ce groupe). Les personnes restantes nous remercient et félicitent à profusion; nous rejouons Moon River et cette fois-ci, le couple danse en souriant.

Comme nous partons, une des serveuses, plutôt toute jeune, nous dit son appréciation pour la délicatesse de notre musique, son côté « smooth ». Merci beaucoup!

Le lendemain matin, trop tôt, rendez-vous à l’église Saint-Léonard, pour jouer pour un anniversaire: la dame nous a engagés pour jouer pendant la messe, c’est un cadeau pour son frère. Nous devons jouer quatre pièces, dont une en trio flûte-violon-violoncelle, les trois autres on rajoute l’orgue.

Nous arrivons. Première surprise: l’organiste n’a pas reçu la musique, que la violoniste lui avait pourtant envoyée… Mais bon, c’est un organiste de remplacement, c’est sa première visite ici, donc il n’est pas au courant de grand-chose.

Nous pratiquons, ça va de mieux en mieux… Lorsqu’un monsieur arrive au jubé et nous dit, assez sèchement, que nous devons arrêter parce qu’il va y avoir une messe en bas!

Ben, on l’sait! On est là pour jouer!

Lui, c’est le chanteur de la paroisse et il n’est au courant de rien, lui non plus…

Gnarf…

La violoniste tente d’envoyer un texto à la dame qui nous a engagés; la flûtiste descend et remonte la nef en cherchant… Elle remonte juste comme la messe commence! Nous devions jouer notre première pièce pour le début; c’est manqué. Bon; ce sera après les lectures.

Et, bon, nous nous reprenons. Et ça va de mieux en mieux avec l’organiste, dans les pièces juives (oui, c’était la commande), dans Bach-Gounod (était-ce ça la commande, ou Schubert? J’ai oublié… Juste retenu que ce n’était pas une tonalité habituelle!) et dans California Dreaming! 

La flûtiste nous racontera après la cérémonie qu’elle est remontée jusqu’à l’autel et a demandé au curé s’il connaissait la dame X? Non! Le curé aussi était nouveau, c’était sa première journée dans cette paroisse!

La dame monte et nous remercie rapidement… Le lendemain, elle écrira un courriel substantiel pour dire qu’elle avait bien écrit à la paroisse pour informer qui de droit de son projet; n’ayant pas reçu d’accusé de réception, elle a supposé que tout était correct…

En tout cas, après ces trois gigs, j’avais encore plus d’appréciation pour le travail de Joëlle dans l’organisation impeccables des funérailles de vendredi…

Funérailles de Gilles Tremblay, Montréal, 4 août 2017

Emmanuel et Raphaël m’ont fait l’honneur de pouvoir jouer aux funérailles de Gilles Tremblay. Il s’agissait de participer à une improvisation sur une œuvre inédite: Esquisses pour un cœur, composée à l’intention de Jacqueline à l’occasion de la Saint-Valentin 1997 et, apparemment, pas encore jouée.

La pièce était bien en évidence, au salon funéraire. Au premier regard, j’ai une impression de… comment dire, « familiarité » serait trop fort. Mais je crois reconnaître des éléments: les octaves diminuées, les renversements de direction des intervalles, un peu comme dans certains passage de Cèdres en voiles, mais aussi des symétries rompues, comme l’enseignait Messiaen dans les Techniques de mon langage musical…

Enfin… Tout ceci pour dire que j’arrive sur place, vendredi matin, à l’église Saint-Albert-le-Grand, juste à côté du couvent des Dominicains, pour prendre part à la répétition. Ciel, je crains d’être en retard: il y a déjà des gens qui jouent des fragments de « ma » pièce! Mais non, les fragments en question, soit les quatre phrases qui serviront de réservoirs de sons pour les mobiles d’improvisation, seront joués, intercalés avec des textes lus pendant la cérémonie.

Le petit « set-up » de gongs, derrière l’autel, me fait penser à la collection complète de percussions qui trônait dans le bureau de Gilles, boulevard Saint-Joseph, puis dans sa pièce, à la résidence des dernières années…

Après ces lectures accompagnées, commence la répétition de la pièce proprement dite. Je suis en excellente compagnie: il y a, par ordre approximatif d’entrée en jeu, Olivier Maranda aux percussions, Yuki Izumi à la flûte traversière, Caroline Tremblay (pas de parenté) à la flûte à bec (ténor, je crois), Estelle Lemire aux ondes Martenot, Jean-Willy Kunz à l’orgue et Vincent Ranallo, baryton.

Je ne sais pas trop comment prendre ce réservoir de notes; il y en avait un dans Cèdres en voile et, en m’entendant, Gilles avait dit que ce n’était pas du tout ce qu’il avait imaginé, mais que ça lui allait… Je demande un peu conseil à Raphaël, qui m’encourage après le premier essai très beau. Nous en faisons tout de suite un second, et c’est encore mieux. J’ai un moment d’émotion en réalisant que je suis en train de recevoir une leçon posthume de liberté, de la part de Gilles Tremblay.

Après notre moment de pratique, j’entends l’orgue qui pratique du Messiaen, de toute évidence. Je m’approche pour suivre: il s’agit de Joie et clarté des Corps glorieux, sixième des Sept Visions brèves de la Vie des Ressuscités (si toutefois j’ai bien retenu le titre: sur internet, les versions varient). Magnifique!

Joëlle, qui organise la cérémonie, est à la fois souriante et tendue; Emmanuel, Jean-François et Guillaume semblent plus cool… mais je ne gratte pas.

Saint-Albert-le-Grand… Vincent est un peu surpris du choix de cette église, plutôt que Saint-Viateur, dont les Tremblay (et ma famille, dans le temps) étaient paroissiens… Mais Emmanuel m’a expliqué que son père venait souvent ici, qu’il préférait cette église… Je comprends pourquoi, en vérité: l’église a un côté « moderne des années 60 » qui va tout-à-fait avec Gilles Tremblay, beaucoup plus que le faux gothique de Saint-Viateur (qui est par ailleurs une très belle église, juste d’un autre style). L’orgue est tout au fond, dans un genre de casier, les vitraux sans motifs laissent entrer de belles couleurs, il y a quelque chose d’à la fois dépouillé dans le volume et abondant dans le coup d’œil.

  

L’église s’est remplie après ma prise de photos. Au début de la cérémonie, Emmanuel Tremblay et Raphaël Dubé, accompagnés par Jean-Willy Kunz, ont joué l’Adagio de la Sonate en trio en sol mineur HWV 393 de Handel, dans l’arrangement de Louis Feuillard; ça commençait très bien, avec cette musique gracieuse et méditative.

Ensuite, pendant le témoignage de la famille, en fait plus particulièrement pendant les parties du discours de Joëlle, Marie-Pascale Dubé, sœur de Raphaël, improvisait un chant de gorge basé sur « papa-papou » qui a rythmé le récit. J’ai eu un moment de fascination devant l’énergie et la douceur de ce chant, mais aussi devant la beauté, la force, la poésie dégagée par chaque membre de la famille, ces héritiers de la rencontre entre un homme de musique et une femme d’arts plastiques.

Après ce témoignage, Jean-Willy Kunz a joué l’Invention #4 en ré mineur, BWV 775, de l’irremplaçable Bach: l’inventivité dans la rigueur, la rencontre entre l’évidence et l’inattendu faite en musique…

C’était le moment des témoignages des musiciens. Walter Boudreau, Michel Gonneville et Estelle Lemire ont évoqué le professeur, le compositeur, le directeur artistique, le penseur, l’humaniste, le guide… Ensuite, Robert Aitken a joué Envol, le début des Vêpres à a Vierge de Tremblay. J’ai entendu cette pièce plusieurs fois, en vérité, mais c’était la première fois qu’elle avait l’apparente simplicité d’une Invention de Bach… Je dis bien « simplicité », pas « facilité ». Ça m’a fait repenser à ce qu’Emmanuel m’avait dit sur un passage de Cèdres en Voile: « Ça, c’est du Bach! »

Puis Marie-Pascale a lu des extraits du Livre de la Sagesse, de la poésie persane du Moyen-Âge, de la poésie québécoise actuelle (Fernand Ouellette, qui était présent), un texte de Gilles Tremblay lui-même, entrecoupés de la présentation des quatre Esquisses pour un cœur, dont la partition en fac-similé était affichée dans la nef de l’église. Après les deux lectures religieuses (Emmanuel a lu bien plus que les trois lignes prévues pour la seconde!), après l’homélie, c’était le temps de jouer notre pièce. J’ai aimé notre jeu, j’ai aimé notre arrêt pour laisser sonner les ondes et l’orgue, j’ai aimé notre retour puis la dissolution des sons des instrumentistes pour laisser la voix seule chanter et dire le texte…

… J’ai su que ladite partition serait gravée sur la pierre tombale… Je vais demander la permission à la famille d’en mettre une photo sur cette page.

Après le Notre Père chanté (au fait, je n’ai même pas su le nom de la chanteuse de la paroisse… Pourtant, elle était bien bonne!), pendant la communion, un chœur (dont le nom m’a aussi échappé! Désolé!) a splendidement chanté l’Ave Maris Stella des Vêpres à la Vierge de Monteverdi. Le dernier Amen m’a paru particulièrement émouvant, un vrai remerciement pour toutes les grâces obtenues.

Il y a eu le témoignage d’un membre de la communauté de Saint-Albert-le-Grand; après tous ces témoignages, j’avais le choix entre me réjouir d’avoir côtoyé cet homme, Gilles Tremblay, si peu que ce fût, ou le vertige d’avoir échappé tant de facettes de sa personne… J’ai choisi la joie, même si j’étais très ému.

Il y a eu l’aspersion, au cours de laquelle le célébrant a invité la famille et les proches à venir envoyer de l’eau bénite sur le cercueil; Joëlle m’a fait signe, je me suis joint. Il y a eu l’encens, puis la sortie, où le cercueil a été conduit par les quatre enfants, Jean-François, Joëlle, Emmanuel et Guillaume, et par Michel Gonneville et Walter Boudreau. Pendant ce temps, Jean-Willly jouait Messiaen, et j’étais content de l’avoir écouté attentivement pendant la répétition, parce que le mouvement ordinaire de la vie courante reprenait déjà ses droits: tant de monde à saluer, à remercier, à embrasser…

Moment saisi, Larrasoana, 21 mai 2017

Tadasana

Le plancher dur et froid

le chant des oiseaux de Navarre

L’air frais du matin

un chien qui jappe, une auto qui passe

Tina qui gargouille en écrivant son journal

Les autres clients qui déjeunent, tout en bas

Plénitude