Yoga, Rubinstein et Ravel (et Noireaut), Montréal, vendredi 25 août 2017

Ce matin, pour « célébrer » mon retour à un genre de forme (après deux jours de fièvres, courbatures, maux de têtes et réjouissances du genre… Les virus ne sont pas que dans les ordinateurs, semble-t-il!), je suis allé faire du yoga dans un cours de groupe. Non, non, ce n’est pas avec Gaël; c’est une partie du reliquat d’une petite série de quatre cours, achetée ailleurs (pas loin, géographiquement, même si « idéologiquement » c’est assez distant, mais je vais y revenir), pendant que la Divine était en vacances.

Donc, je me retrouve dans ce studio… Non, je ne dirai pas lequel; je n’ai pas envie de leur faire de la pub, même mauvaise… [Note: je vais prendre mon dernier cours restant, mardi matin prochain, je crois, avec une autre prof]

Au début, la monitrice demande qui a fait le plus de yoga de cette méthode, en jours consécutifs? Réponse, neuf mois… Je demande de préciser si on parle bien de cette méthode ou de yoga en général, parce que la nuance ne me semble pas toujours claire et me fais dire qu’on parle de cette méthode-ci. Alors, je ne dis rien sur mes quatre mois et quelques du début de l’année. La monitrice dit tout de même que les pannes dans la pratique lui semblent inévitables. Je me sens moins seul, joie! Elle demande ensuite ce que ça a apporté aux gens qui le font; une: « quand je ne ne fais pas, rien ne se passe, quand je le fais, tout tombe en place! » Réponse: « Oh, you’re such a marvelous person! » Un autre dit que ça devient aussi nécessaire que de dormir ou manger; je crois que Gaël aimerait ça… Mais bon, on passe à la routine.

Assis, respirer, sans bouger… S’il y a une douleur, l’accepter, l’examiner, ne pas essayer de s’en débarrasser… Détendre tout… [j’ai la jambe gauche qui s’engourdit] Accepter… « J’ai envie d’essayer quelque chose de nouveau, avec les dents: serrez les mâchoires ensemble… »

Dire que Gaël m’a si souvent dit de desserrer les dents… Et que, quelque part dans mon premier (ou deuxième? ou troisième?) jour de marche, en mai, je me souviens avoir  desserré les dents, consciemment, et m’être dit ok, c’est bon, je ne serrerai plus la mâchoire; parce que je m’étais aperçu, quelques semaines auparavant, que oui, je la serrais presque tout le temps! Et là, ce matin, ben quoi, en serrant les dents, même pas très fort, je m’aperçois que je tremble de la mâchoire!

La monitrice dit qu’elle va rajouter un peu de difficulté, mais que ça devrait être envisageable pour des gens qui en sont à leur 9e semaine (je n’en suis qu’à ma troisième, mais bon…): resserrer le plancher pelvien en même temps, et laisser tout le reste détendu. Autour de moi, j’entends soupirer, probablement sangloter, même… Mais la monitrice m’a rappelé à l’ordre et fait fermer les yeux, plus tôt, alors bon… Elle rajoute encore un coefficient de difficulté: sur les dents serrées, plaquer le sourire le plus faux possible…

Pour cet exercice, il fallait être assis sur les talons, mais il y avait une petite liberté accordée, en ce sens que ce n’était pas l’assise qui était prioritaire, mais bien de rester dans ce que nous faisions de nos gueules (je paraphrase largement, évidemment). Au début, j’ai mal aux cuisses, surtout aux quadriceps; je me détends, ça va mieux, je détends les aines aussi… Après un moment, je ne sens plus mes pieds… Problème de circulation, je crois, comme tantôt. Justement, la monitrice est là qui dit qu’il faut laisser circuler… Je sors de la posture, pour les jambes, pas pour les dents.

Elle fait faire d’autres trucs amusants, chien tête baissée, cobra, planche, chien tête levée, chaise, assis sur les hanches, chien tête baissée, planche, baisser au sol sans le toucher, chien tête levée, chien tête baissée, toujours en restant un moment, voire un bon moment, dans chaque position. Ça gémit partout alentour… Elle parle toujours de laisser remonter ce qui doit remonter, de laisser les douleurs s’exprimer, de les accepter, de ne pas chercher à corriger les postures…

Joyeux bébé (je tremble!), genoux sur la poitrine, savasana (des tas de minutes dans chaque cas, sauf le dernier)… puis ding! sur le petit bol, deux, trois fois, mains en prière, et bon c’est fini.

En partant, j’essaie de lui raconter ce que j’ai dit au début sur les dents que je n’avais pas serrées depuis mai, et sur la circulation sanguine qui ne se fait pas comme je voudrais… Elle ne saisit pas trop ce que je veux dire, et insiste encore sur le fait qu’il faut laisser circuler les choses, accepter la douleur, que c’est la seule façon de voir, reconnaître les choses pour éventuellement savoir quoi faire avec…

Et tout à coup, j’ai le sentiment désagréable qu’une limite a été dépassée… Je ne suis pas du tout certain que cette jolie jeune femme qui ne sourit pas souvent (et pas à tout le monde), et peut-être l’organisation dont elle fait partie, ne se contente pas que d’accompagner les gens qui découvrent une douleur… Que peut-être elle, ils, s’occupent de provoquer, susciter ladite douleur? Que peut-être, et c’est un soupçon terrible, elle y prend plaisir? Avant de finir son cours, après la prière, elle a rappelé l’exercice des dents et du faux sourire, qu’elle a donné comme devoir à tout le monde, pour la semaine, après ou avant le brossage de dents du matin, en se regardant dans le miroir, afin de voir mieux de quoi ça peut avoir l’air quelqu’un qui sourit faussement…

Subitement, j’ai l’impression que la personne qui a beaucoup de blessures cachées, c’est elle… Qui a de la difficulté avec les faux sourires, c’est elle (difficulté résolue en ne souriant plus, ce qui, dans un sens, est tout à son honneur)… L’impression que, pour cette personne ou pour cette organisation, il n’y a de blessures que dans la psyché; rien d’ontologiquement physique ou physiologique.

Subitement, je comprends aussi, ou disons que je mesure de nouveau à quel point nous, les profs, avons tendance à enseigner en fonction de nos propres forces et points faibles, et que c’est difficile d’élargir nos palettes d’enseignement, aussi difficile que d’élargir nos palettes de jeu…

J’ai le sentiment que les gens qui ont « trippé » dans ce cours, dans ces cours, cherchent plus que du yoga; que leurs blessures sont assez profondes pour qu’ils cherchent un gourou…

Enfin… Le rapport avec Rubinstein, me demanderez-vous?

Après le yoga et quelques courses chez Segal (bon, je deviens encore plus cancanier que pendant mon voyage!), au retour chez moi, en m’écrapoutissant devant mon ordi, je trouve, relayée par une amie et collègue, une vidéo montrant Arthur Rubinstein, oui, le pianiste Polonais qui a vécu de 1887 à 1982, lors d’une visite dans un magasin Steinway, pendant une tournée de concerts en Pologne en 1967; il y joue sur ce qu’il appelle « son » piano. L’équipe de tournage d’une télévision allemande a eu la permission, après deux heures, de filmer quelques instants de cette visite. Il y a quelques très beaux moments de Chopin, deux ou trois pages de musique fascinante que je ne connaissais pas mais qui est vraisemblablement du Szymanowski, du Schubert, du Chopin encore…

Puis, à la vingtième minute (j’ai été scotché à l’écran depuis tantôt!), un accord que je reconnais… Et l’amorce de la première des Valses nobles et sentimentales  de Maurice Ravel.

Et là…

Oui, ce Ravel, Maurice, dont je parlais la semaine dernière en croyant le connaître, dont j’ai vu un jour, par hasard, la maison natale sur un quai du Pays Basque, dont je croyais aimer tant la musique…

Joué par un pianiste de juste avant mon temps… Dont j’avais entendu parler, mais que je ne connaissais pas, je dois bien l’admettre…

Ou alors, j’ai peut-être, peut-être, déjà entendu une version de ce genre, dans mon jeune temps, et mon goût artistique aura changé…

Bref…

Révélation. J’entends dans cette musique, dans tout ce rubato presque constant, dans ces temps qui semblent brièvement suspendus, comme collés dans l’air qui passe, dans ces phrases clairement terminées avant que ne commencent les suivantes [contraste brutal avec la génération internet de ma soirée au quatuor, la semaine dernière!], dans cette harmonie aux grappes de sons claires comme des gouttes de couleurs ou de lumières, dans ces détails si finement ciselés, suivi des voix autant que suivi des phrases, rondeur du son… Sans oublier cet usage si, comment dire? intelligent? de la pédale… [intelligence: discernement, compréhension] Quelque chose de tellement plus romantique que tout ce que j’avais imaginé, conçu, cru savoir, au sujet de Ravel et de sa musique… Mais pourtant, tellement évident, sensé, maintenant, tellement clair! Il y a quelque chose de…

…En écrivant plusieurs heures plus tard, mais oui! Je me souviens avoir pensé, lorsque j’analysais le premier mouvement du Quatuor, au Conservatoire, que Ravel était l’héritier assez direct de Haydn, par son travail poussé sur les motifs et la forme; ce soir, je vois la présence de Brahms dans cette filiation spirituelle. Cela dit, ce n’est qu’une intuition de passé minuit…

Je trouve sur internet des liens vers un enregistrement complet des mêmes Valses par ce même Rubinstein… Cette version, de quelques années antérieures, est un peu plus lente, du moins pour la partie que je puis comparer; il y a un bout, oh, quelques mesures, que je trouve trop rapide… Mais le reste! Le charme joue encore. Je trouve aussi la Forlane du Tombeau de Couperin, tout aussi magnifique.

Et le lien, me direz-vous encore? Les nombreux liens? Les constats, disons…

-Un sentiment: Ravel est pour moi « le » compositeur de la nostalgie…
-Une compréhension et un aveu: du temps de mon Conservatoire, je n’avais pas vraiment compris le « style » Ravel, dans le cours d’Harmonie 4e Cycle (il n’avait été qu’évoqué, n’étant pas au programme, cela dit); maintenant, je le reconnais, je crois…
-Un autre aveu: je ne connaissais pas Rubinstein dans Ravel, je suis gêné de le dire…
-Un constat: je suis ravi de disposer de cet enregistrement pour me coucher moins ignorant!
-Autre constat: les enregistrements, à mon sens, sont irremplaçables comme documents, mais hélas, comme produits de consommation, ils ruinent la musique, surtout le concert…
-Une découverte: Arthur Rubinstein, comme le grand Jacques, ne donnait jamais deux fois la « même » œuvre, ce qui relativise la valeur du document (une bonne chose en soi!).
-Donc, c’est encore d’une leçon de liberté qu’il s’agit, liberté face au texte, mais aussi liberté face à soi-même.
-Lien avec le cours de yoga de ce matin: alors que je n’étais pas du tout ému de grincer des dents en souriant faussement, je suis pris aux tripes par cette musique, douce, forte, amère, riche, lumineuse, sombre et parfois si douloureuse…
-D’où le lien avec la Divine: Gaël ne choisirait jamais de faire souffrir quelqu’un dans son cours de yoga; accepter la douleur est une chose, la provoquer en est une autre, et elle sait la différence, elle.
-Finalement, le lien avec Philippe Noireaut, qui faisait un sondage amical, aujourd’hui sur le titre de son prochain album: s’il me lit, je crois qu’il comprendra pourquoi, pour moi, ce serait L’effet et la cause.

Mariage, Montréal, 19 août 2017

J’avais un peu parlé de ce mariage, l’autre jour, en rapportant les propos du père de la mariée, qui a su qu’il avait une fille lorsqu’elle avait déjà 15 ans…

[…] « Ça n’allait pas très bien avec sa mère, alors j’ai su que j’avais une fille, elle avait quinze ans! Ce n’est pas une relation proche proche, alors normalement elle m’appelle surtout pour l’argent. Mais là, elle veut que je joue à son mariage… » [je paraphrase en partie]

écrivais-je le 7 août dernier:

Esquissé passé, Montréal, août 2017

Bon; c’est simple, en apparence: le monsieur veut deux violons, un violoncelle, une basse et une chanteuse pour jouer Let the bright Seraphim de Handel au mariage de sa fille; il va lui-même jouer la partie de trompette.

L’apparence de simplicité se dissipe peu à peu: pour des raisons pas totalement claires (registre aigu à la trompette?), il veut que la pièce, originalement écrite en Ré, soit jouée en Do. Il me passe des feuilles de premier et second violon, de violoncelle et de basse, qu’il a écrites de sa main, au stylo bille (!), pour la transposition en Do.

Rendu chez moi, je fais quand même quelques vérifications. Premier résultat: apparemment, il faudrait, en fait deux violons, un alto, un violoncelle, une basse et un orgue continuo, pour vraiment rendre l’orchestration de Handel… Tout ça, c’est au-dessus des moyens de notre monsieur. Ok, on y va pour son instrumentation. Mais… parlant de moyens, ne veut-il pas d’autre musique, puisque nous y serons de toute manière? Non, juste cette pièce-là. Bon, d’accord…

Complication supplémentaire: il n’a pas d’ordinateur, pas de courriel, pas de cellulaire, et il habite en région, à plus de cinq heures de car de Montréal…

Il est stressé, nous n’avons que deux semaines pour trouver le monde nécessaire; personnellement, ça ne m’énerve pas trop… Première bonne nouvelle: Monique est disponible pour chanter. Joie! J’écris aux membres de mon quintette de mai; les violons ne sont pas disponibles, mais Francis l’est, à la basse.

Le samedi suivant, je joue pour un tout autre mariage (celui aux chiens en tête de cortège!), avec deux autres violonistes, Brigitte et Kristin; je leur demande, elles sont disponibles. Bien, j’ai tout mon monde. En prime, Kristin s’offre pour recopier à l’ordi les transcriptions au stylo-bille. Merci!!!

Bon; j’ai l’adresse, j’ai l’horaire approximatif; j’aimerais bien qu’on se voit avant la cérémonie; j’appelle à l’église pour confirmer l’horaire et vérifier que nous puissions pratiquer avant que le monde arrive… Boîte vocale.

Pas de retour d’appel. Deuxième appel, le lendemain, courriel.

Pas de retour d’appel, ni de courriel.

Les jours suivants, j’appelle sans laisser de message, ni obtenir de réponse… Je finis par rappeler le monsieur, qui me dit que « tu n’as pas trouvé l’église? » Gnarf! J’ai trouvé, personne ne répond. « Ce sont des protestants, ils ne font pas toujours comme nous! » Ah, ben tiens! Enfin, le mariage devrait être à 15h ou 15h15 (ce n’est pas vraiment clair), disons que nous prenons rendez-vous pour 14h15 pour essayer la pièce (dans la version copiée par Kristin) à tout le monde, trompette incluse.

Alors, bon, nous arrivons à l’église à 14h16, genre, Brigitte, Kristin et moi, et Francis sort du dépanneur en face. Monique est déjà sur place, au jubé. C’est une église très moderne, un peu en forme de théâtre, orgue électrique sur le côté, un balcon (euh, un jubé, je veux dire) large, peu profond, pas très surélevé, une grande verrière au lobby (euh, au-dessus du portail, je veux dire), colorée, sans motif particulier. Il y a des jeunes qui s’activent, je demande où est le célébrant, il n’y est pas, les jeunes se préparent à répéter leur musique (Ben, et nous, alors?): il y a une batterie pas encore installée, un clavier, deux autres chaises… Personne ne semble au courant que nous soyons prévus au programme! Un enregistrement commence à jouer pendant que nous nous installons, en déplaçant des bancs au jubé pour nous faire de la place.

Nous pouvons finalement essayer notre musique, du moins les cordes et la chanteuse, parce que notre trompettiste n’y est pas encore. Tout marche plutôt bien, plutôt vite, surtout compte tenu qu’il n’y avait que Monique qui avait déjà joué cette pièce! Mais bon, c’est assez clair comme musique, même compte tenu de la voix manquante, et la copie propre nous aide vraiment! Merci encore! Seul accident, un petit dièse de trop, ici… Kristin nous confirme, par ailleurs, que notre copiste au stylo avait fait une bonne job, lui aussi; juste un peu moins habituelle au regard…

Avant que notre trompettiste n’arrive, le band, en bas, fait un essai de son lui aussi; il y a une batterie, euh, non, une BATTERIE, une guitare, un clavier, une basse… plus des micros pour des voix. Ça va péter tantôt.

L’heure avance, il est passé 15h45 lorsque, finalement, en complet cravate écharpe chapeau chic et en sueur, notre trompettiste arrive. Il a eu des problèmes de transport en commun (nous sommes loin du terminus des autobus interurbains). Il reprend son souffle quelques instants puis nous essayons la pièce avec lui.

Pour commencer, il installe sa copie au stylo dans son étui de trompette, sur une table à l’arrière du jubé, alors que nous sommes sur le bord. Nous l’entendons un peu faiblement. Il est, à mon avis, à l’extrême de son registre émotif, gêné, timide et que sais-je encore… Deuxième essai; j’insiste pour qu’il prenne un lutrin et vienne jouer parmi nous, au bord du balcon; Francis et moi allons partager notre pupitre (nos parties sont identiques, de toute façon), et nous échanger de place… Ça va nettement mieux la seconde fois; le trompettiste joue juste et a beau son, pas très puissant, alors il faut vraiment qu’il soit parmi nous.

Notre homme disparaît, il ne se passe rien pendant longtemps, des gens arrivent, trois limousines dont deux immenses sont stationnées devant l’église, rien ne se passe… Je descends voir le célébrant, qui ne sait pas trop quand nous allons jouer; il parle juste d’une pièce « by Seraphim », après son homélie. C’est certainement nous. Je remonte au jubé et discute avec le père de la mariée/trompettiste, qui pensait que nous allions jouer à la signature. Mais ça tombe bien que ce soit pas mal plus tôt, parce qu’il est de plus en plus tard et Francis a un autre engagement ce soir-là. En passant, j’observe que le nom de la mariée n’est pas le nom du père…

Après un autre vaste moment, je redescends, pour voir ce qui se passe. Je tombe, juste sous notre balcon, sur deux jeunes hommes, dont l’un sera certainement le marié, puis sur un petit groupe de jeunes femmes dans un genre de petit bureau. L’une d’entre elles dit que je suis « certainement Monsieur Cousineau », puis elle s’excuse de ne pas avoir retourné mes appels: cette musique-là (la nôtre) est une surprise et pour l’essentiel, personne n’était au courant. C’est aussi pour ça, pour rester « cachés » plus longtemps, que nous sommes au jubé. Apparemment, il n’y avait que la marraine de la mariée qui était au courant, et elle a protégé le secret.

Finalement, à peine plus tard, la cérémonie commence. Un photographe me fait de grands signes pour que je me pousse un peu, pour ne pas faire tache dans ses photos (je suis au balcon!). Un nombre impressionnant de garçons entrent en marchant à un genre de pas suspendu, puis un nombre correspondant de jeunes filles, de la même manière. Tout ce monde se fait face, des deux côtés de l’allée centrale, puis commence à marcher en cortège en se donnant la main, toujours à cet espèce de pas dont je ne connais pas le nom, avec une jolie ondulation d’un côté puis de l’autre; ça me rappelle, en encore plus dansant, le pas de mon père conduisant ma sœur à son mariage…

Changement de musique, puis des bambins tapissent de pétales de roses le tapis blanc de la nef (non, ce n’est pas la phrase du siècle, pardon…).

Autre changement de musique, et sur « You raise me up », la mariée s’avance, au bras de son père, justement. Le marié vient la rejoindre puis, à l’ignoble modulation, le futur nouveau couple s’élance lentement vers l’autel pendant que Brigitte, derrière moi, éclate d’un rire tonitruant. De l’autre côté du jubé, Monique se tient prudemment au loin (elle me confiera plus tard qu’elle ne voulait pas embarquer dans le fou rire, sinon plus rien n’aurait été contrôlable, et je la crois!). Je fais signe à Brigitte de rire un peu moins fort, mais nous sommes unanimes à grincer des dents à cause de la modulation. [Correction: il semble que l’éclat de rire ait juste été synchronisé avec l’affreuse modulation par un hasard superbe…]

Le célébrant dit quelques mots de bienvenue, vérifie que tout le monde soit dans la joie, fait applaudir tout le monde, puis il cède la parole à l’équipe de « joie et adoration », c’est-à-dire au petit band de tantôt, auquel se joignent une chanteuse soliste et trois choristes. Il y a six chants enchaînés, dont les paroles sont projetées sur l’écran derrière l’autel. Je vois, à ma droite lointaine, notre homme qui sourit en échangeant quelques mots avec Monique. J’en suis soulagé; tantôt, il était tellement stressé, tellement tendu, j’ai été quand même un peu inquiet. Je veux que tout se passe bien, pour nous, pour sa fille, mais aussi pour lui, et pour lui dans les yeux de sa fille. Mot d’ordre entre nous: nous allons l’accompagner et l’appuyer de notre mieux.

Il y a échange de consentements, puis c’est l’homélie. Le célébrant fait encore retentir des applaudissements ici et là, il commence à donner ses conseils aux futurs mariés. Moment de candeur délicieux lorsqu’il parle de son propre mariage (« Ça fait quinze ans que je suis marié, et mon épouse est ici à ma droite! ») [elle est assise à quelques rangs de là], et qu’il explique que bien des choses sont allées mieux lorsqu’il a été amené à se « demander comment pense une femme », et que c’est allé encore mieux lorsque sa femme a commencé elle aussi à imaginer comment pense un homme; il commençait à dire que la chicane avait nettement diminué lorsqu’un rapide coup de patin a réorienté son discours.

Puis c’est la fin de l’homélie et il annonce une musique qu’il va falloir écouter attentivement, « parce que ce sont des violons et ils n’ont pas d’amplification ».

Ben regarde-nous bien aller, toi! Et hop! Handel, c’est dans la poche! Nettement notre meilleure fois, comme de raison.

Nous rangeons discrètement nos affaires en nous préparant pour partir. Notre homme est content et nous remercie. J’offre un lift à Monique, en plus de Brigitte et Kristin; nous devons nous retrouver devant la porte. Je descends et sors par la porte principale, puis j’attends… Personne ne vient.

Ah, si, il y a des gens qui arrivent; des invités en retard à la cérémonie! Mais tiens, les amis sont là, qui sont sortis par la porte de côté. En m’approchant, surprise! Notre trompettiste/père de la mariée est là lui aussi! Il est tout sourire et nous remercie encore. Il voulait vraiment jouer cette pièce-là, parce qu’elle n’est pas facile et il savait que les petits jeunes à la batterie et à la guitare « ne seraient pas capables de la jouer, celle-là! ». Puis il part (Francis lui offre un lift vers le métro).

…Oui, tout ça pour ça… Il n’ira pas aux noces de sa fille. Il a fait cinq heures d’autocar interurbain pour venir à Montréal, couru dans le métro et après l’autobus et vers l’église, attendu de loin sa fille, joué avec des musiciens qu’il a engagés, puis il repart pour cinq autres heures d’autocar, sans avoir salué l’essentiel des gens présents… Je sens qu’il y a encore beaucoup de l’histoire qui nous a échappé…

Par contre, je sais qu’il y a au moins un homme à qui nous avons vraiment fait plaisir, aujourd’hui, un homme courageux.

Concert de quatuor à cordes (McGill, 18 août 2017)

Ce matin, je reçois un message de Karen qui m’offre un billet pour le concert de ce soir du MISQA (McGill String Quartet International Academy).  Ah, ben tiens, pourquoi pas… Mais qu’y a-t-il au programme, au juste?

… Un très mauvais point pour le site du MISQA lorsqu’on essaie de le regarder depuis un téléphone: ça va vraiment mal!

Karen, qui est vraiment débrouillarde, réussit à m’envoyer l’info qui se dérobe dans mon cellulaire, alors ok, j’y vais!

Il y a deux quatuors qui jouent deux quatuors chacun, ça nous fait donc quatre quatuors en tout… En me relisant, je m’interroge: cette phrase est-elle compréhensible pour les non-spécialistes? Enfin, bon, ça finira certainement par s’éclaircir.

Donc, pour commencer, le quatuor Rolston, du Canada (probablement de l’ouest, mais ce n’est pas précisé), nous joue Beethoven et Schumann; deux quatuors que je ne connaissais pas (eh, oui, il y en a encore beaucoup!).

L’Opus 18 No 3 de Beethoven fait partie de la première série de quatuors du jeune Ludwig. Il a vraisemblablement été écrit vers 1798, et serait, en fait, le premier des quatuors de Beethoven, selon le Guide de la musique de chambre de Tranchefort (Fayard 1989). Beethoven n’était pas encore sourd mais il était encore jeune et ça s’entend: c’est plein de lumière et de couleurs. Il avait quand même quelques années de composition derrière la cravate et ça s’entend aussi: les ficelles sont attachées pas mal serrées.

Le quatuor se tire généralement très bien d’affaire: les timbres sont très bien mélangés, la justesse est impeccable presque tout le long (deux exceptions, dont un douloureux passage à l’octave entre les deux violons…), l’écoute est généralement très bonne, il n’y a pas de grosse tête dans ce quatuor et l’homogénéité est plaisante; j’aurais quand même pris un doigt de premier violon de plus, mais bon… Tout était très bien mis en place, enfin, presque tout, à une assez grosse réserve près: il y a eu, dans le finale, quelques passages où la mesure n’était pas claire. Pire, à un moment, les groupes en triolets entre paires d’instruments sonnaient comme des groupes deux brèves, longue… Ils s’écoutaient avoir fini, plutôt que d’assumer que les collègues joueraient à temps. Bon, ils sont jeunes, ça devrait pouvoir être corrigé rapidement.

L’Opus 41 No 3 de Schumann est très beau et très intéressant. J’avais des doutes au sujet de Schumann, allez savoir pourquoi, mais les trois œuvres de ce compositeur que j’ai découvertes cet été sont toutes superbes. J’ai les mêmes compliments à faire au quatuor Rolston, avec une remarque supplémentaire: leurs mouvements lents sont très beaux. Le finale, cette fois-ci, était exemplaire, je crois; d’ailleurs, la foule était en délire.

Après la pause, changement de groupe, nous avons maintenant affaire au quatuor Verona, un groupe multinational basé à la Julliard Music School. Ils nous proposent d’abord le 7e Quatuor, Opus 108, de Shostakovich (ou Chostakovitch, selon qu’on le transcrit en anglais ou en français, mais la graphie anglaise est plus à la mode), composé en 1960. C’est une œuvre très intéressante, que je ne connaissais pas encore, mais que j’ai vraiment envie de jouer, maintenant! Trois mouvements assez courts, enchaînés; ça se prend très bien.

Le quatuor joue généralement très bien. Une réserve, sur le son du violoncelle dans le grave, qui est insuffisant, alors que dans l’aigu c’est très beau. Cet ensemble-ci est aussi bien balancé que le précédent, et la justesse est, là encore, très bonne. Il y a un bout du deuxième mouvement qui a touché au sublime, lorsque le second violon joue des notes répétées, longue-brève, martelées, et que le violoncelle, d’abord, joue la mélodie dans l’aigu, puis que l’alto reprend dans le grave. C’étaient les meilleurs moments du concert entier, je crois.

Puis, c’est le moment du Quatuor de Ravel; finalement, une pièce que je connais, pas juste pour l’avoir entendue et analysée (du moins, le premier mouvement), mais aussi jouée, en particulier à l’université. Ce quatuor est fort beau, très « haydnien », dans un sens, vu l’extraordinaire travail sur le motif de tête du premier thème, motif qui a généré pratiquement tous les autres!

Le quatuor joue bien, mais… Mais quoi? Difficile à dire… Quelque chose ne passe pas. Je ne sais pas si c’est parce qu’un des deux quatuors « professionnels » qui enseignent à l’académie doit jouer le même Quatuor de Ravel, la semaine prochaine, mais bon, le courant ne passe pas tout le temps.

Oh, il y a de très bons moments, une bonne justesse, des connexions qui marchent… Mais… Mais bon, après les compliments, il est temps que je passe à la critique.

Rolston comme Verona devront, à mon sens, apprendre à finir leurs phrases piano; ils ont tendance à escamoter la dernière note dans le silence, trop doucement. Rolston comme Verona pourraient pousser plus loin encore leurs idées; ils jouent encore relativement sagement les sforzandi et les accents et les nuances très contrastées. J’ai confiance, avec l’expérience, ça va venir.

Verona, plus spécifiquement, dans Ravel, très spécifiquement, pourrait jouer moins vite les mouvements rapides. Ça sonnait précipité et ça nuisait aux connexions entre les parties. En fait, zut, j’ai eu l’impression que c’était particulièrement le violoncelliste qui était off. 

Aussi, et surtout, reste la question: pourquoi jouer de la musique? Plus particulièrement, pourquoi jouer le Ravel, si ce n’est pas pour prendre son temps, surtout dans le mouvement lent? Ça sonnait instantané, limite pressé. C’est dommage…

[Rajout du lendemain… En racontant le concert à Brigitte, me vient à l’esprit que c’était comme si, pour la génération des musiciens de ce quatuor, il fallait des sollicitations constantes… Génération internet, quoi, pas habituée au(x) silence(s).]

Bon, c’est peut-être moi qui suis trop difficile, trop capricieux, mais…
« Moi j’aurais bien aimé un peu plus de tendresse
Ou alors un sourire ou bien avoir le temps »
comme le disait si bien le grand Jacques… Prenez le temps de finir les phrases, de laisser se dissoudre l’atmosphère de ce que vous venez d’évoquer, je vous prie.

Souvenez-vous, je vous prie, que Ravel était un personnage très pudique, très caché, secret, auquel on n’a connu aucune relation intime. Toute sa chaleur, toute sa tendresse, lorsqu’il y en a, passe dans sa musique; d’ailleurs, même sa musique, souvent, refuse, se cache, se dérobe à l’effusion. Parmi les rares exceptions: les mouvements lents du Concerto pour piano en Sol et du Quatuor,  justement… Mais pour ça, il faut aussi connaître la vie et l’œuvre de Ravel.

C’est comme pour Chostakovitch (ou Shostakovich): il y a un côté grinçant dans son opus 108, composé à une époque où le risque d’être disgracié et exilé était moins élevé pour Shostakovich que vers la fin des années 30, lorsque Staline n’avait pas aimé son opéra… Il reste que la dictature totalitaire était encore en place et que « l’humour est la politesse du désespoir », comme le disait si bien… Chris Marker (eh, non, ce n’était pas Boris Vian, ni Victor Hugo, ni Oscar Wilde, ni Georges Duhamel, ni Paul Valéry, ni Winston Churchill, selon Dominique Noguez).

Mais, encore une fois, il faut connaître le contexte des œuvres et la vie des compositeurs… Voici quelques mois, j’ai critiqué le concert de retour de Charles Dutoit à l’OSM, mais ce soir, je serai d’accord avec lui lorsqu’il dit que la culture générale des jeunes musiciens laisse souvent à désirer. Je le dis au risque de choquer de mes collègues, qui ont mal pris ce commentaire formulé récemment (j’ai perdu la référence, c’était sur Facebook et quelqu’un avait écrit une réponse, valable et pertinente, sur la différence entre les conditions de carrière à l’époque de Charles Dutoit et aujourd’hui, mais la remarque sur la culture me semble aussi valable et pertinente)…

Enfin, même si je tape sur les clous avec vigueur, j’ai bien aimé ma soirée, oui, oui. D’autant que c’était chouette de revoir Karen, Gill et Trisha et Robert et Yubin, puis de marcher vers chez moi en passant près du concert de Montréal Symphonique.

Fin de semaine de cérémonies (Montréal, août 2017)

Ce billet est le dernier de ceux évoqués dans ma liste d’il y a cinq jours…

Samedi dernier, j’avais deux gigs, puis une autre dimanche matin. La première était un mariage, qui avait lieu dans un genre d’usine à mariages à Laval, un grand bâtiment avec des salles de conférences ou de réceptions de tailles variées, avec des tapis mais pas de fenêtres, sis dans un centre commercial. « Notre » mariage avait lieu au sous-sol, dans une salle assez vaste, décorée de ces trucs que j’aime si peu: de grands vases dans lesquels flottent des chandelles… Ça me donne tout le temps une impression d’incendie qui n’attend que la bonne occasion pour se déclencher… Et nous, les musiciens, qui sommes toujours loin de la sortie… Enfin, presque toujours: ce soir, j’ai joué pour un autre mariage, et nous nous sommes fait demander de nous déplacer, parce que nous empêchions le cortège d’entrer dans la « salle », cortège qui commençait par deux énormes chiens! Mais c’est une autre histoire…

Alors donc, ce mariage avait littéralement lieu dans un sous-sol de centre d’achat. Il y avait à quelques pas de moi une dame début cinquantaine, je crois, avenante, qui aurait pu être belle, n’eût été de sa robe bleue à paillettes, tellement échancrée au dos qu’elle laissait voir les sous-vêtements du haut et ceux du bas en un seul coup d’œil. Ça ne faisait pas chic ni affriolant, mais bien vulgaire, malheureusement…

La cérémonie a commencé pas mal à l’heure, mais a été retardée plusieurs fois par les exigences des gens de l’image et du son: il y avait deux caméras, deux photographes (au moins), et tout ce monde se chicanait pour trouver le plusse meilleur angle… Une des camérawomen (ça se dit comme ça?) dirigeait le trafic par des grognements et des claquements de doigts… Pas très élégant…

Il y a eu trois échanges de consentements, le dernier sous forme d’échange de vœux rédigés par les mariés; ça, c’était touchant, finalement, dans cette cérémonie autrement très tournée vers le paraître. Il faut dire que les célébrants laïcs sont bien à la peine, souvent, pour donner du sens à leurs cérémonies; ils utilisent toutes sortes de rituels pour émuler le sacré, si j’ose dire… Je repensais à la splendide cérémonie en mémoire de Gilles Tremblay à laquelle je participais la veille, avec en tête quelques questions et un constat.

Les questions: qu’est-ce que le chic? Le bon goût? La classe? Le constat: ben finalement, oui, je formule des jugements. Et vite, à part de ça!

Seconde gig: un 45e anniversaire de mariage, toujours à Laval, dans une autre usine à… Non, je serais un peu injuste: au moins, ici, il y a des fenêtres aux salles. Cela dit, c’est le même genre d’endroit, il y a plus de salles, plus petites, et c’est plus… désuet, disons, mais tout de même un tantinet plus chaleureux.

Le couple dont c’est le 45e anniversaire de mariage nous accueille. Il y a une photo de leur mariage, 1972, devant l’église… Ma parole, c’est Saint-Ambroise, l’église de « ma » caisse populaire!?! Vérification, oui, c’est bien ça. Nous jouons beaucoup, pour des gens qui sont attentifs et qui connaissent et aiment vraiment la musique. Nous sommes applaudis presque après chaque pièce, ce qui est rare, et pas que deux ou trois clap clap par ci par là, non; presque toujours tout le monde s’y met. Nous jouons des valses, les gens dansent; des rocks, les gens dansent. Demande spéciale des mariés: Moon River; ils sont trop sollicités pour danser, mais lorsque nous reprenons une valse, par la suite, ils dansent.

Ombre au tableau: la fête pour adolescentes, de l’autre côté du hall d’entrée, où il y a un DJ au système de son bionique. Les pauses, dans notre longue soirée, sont bienvenues, pour nous aérer les oreilles! Cela dit, lorsque nous revenons de notre (très honorable) souper (nous avons été installés dans une salle à manger inoccupée, largement vitrée, à l’étage, avec vue splendide sur un coucher de soleil accablé de nuages!), lorsque nous revenons, disais-je, ben zut, zgrougn et proutch, il y a maintenant un second DJ, atomique, dans la pièce voisine! Nous devons hausser la voix pour nous entendre parler! Bon, j’aime bien Long Train Running, là n’est pas la question… Juste, pas trois fois presque de suite, tellement fort à travers le mur que j’aie de la misère à entendre ce que jouent les collègues…

Mais « nos » gens nous restent fidèles, et ils continuent de danser sur notre musique, plutôt que sur l’invasion passant à travers les murs; ils ont du mérite, et nous aussi: pas facile de trouver son tempo lorsqu’une batterie géante te susurre la sienne à coup de pieds aux fesses!…

Nous étions convoqués de 17h à 23h (!!!) mais, vers 22h15 (tout de même!), le couple nous dit que nous sommes libérés, vu que presque tout le monde est parti (il y avait beaucoup de jeunes enfants dans ce groupe). Les personnes restantes nous remercient et félicitent à profusion; nous rejouons Moon River et cette fois-ci, le couple danse en souriant.

Comme nous partons, une des serveuses, plutôt toute jeune, nous dit son appréciation pour la délicatesse de notre musique, son côté « smooth ». Merci beaucoup!

Le lendemain matin, trop tôt, rendez-vous à l’église Saint-Léonard, pour jouer pour un anniversaire: la dame nous a engagés pour jouer pendant la messe, c’est un cadeau pour son frère. Nous devons jouer quatre pièces, dont une en trio flûte-violon-violoncelle, les trois autres on rajoute l’orgue.

Nous arrivons. Première surprise: l’organiste n’a pas reçu la musique, que la violoniste lui avait pourtant envoyée… Mais bon, c’est un organiste de remplacement, c’est sa première visite ici, donc il n’est pas au courant de grand-chose.

Nous pratiquons, ça va de mieux en mieux… Lorsqu’un monsieur arrive au jubé et nous dit, assez sèchement, que nous devons arrêter parce qu’il va y avoir une messe en bas!

Ben, on l’sait! On est là pour jouer!

Lui, c’est le chanteur de la paroisse et il n’est au courant de rien, lui non plus…

Gnarf…

La violoniste tente d’envoyer un texto à la dame qui nous a engagés; la flûtiste descend et remonte la nef en cherchant… Elle remonte juste comme la messe commence! Nous devions jouer notre première pièce pour le début; c’est manqué. Bon; ce sera après les lectures.

Et, bon, nous nous reprenons. Et ça va de mieux en mieux avec l’organiste, dans les pièces juives (oui, c’était la commande), dans Bach-Gounod (était-ce ça la commande, ou Schubert? J’ai oublié… Juste retenu que ce n’était pas une tonalité habituelle!) et dans California Dreaming! 

La flûtiste nous racontera après la cérémonie qu’elle est remontée jusqu’à l’autel et a demandé au curé s’il connaissait la dame X? Non! Le curé aussi était nouveau, c’était sa première journée dans cette paroisse!

La dame monte et nous remercie rapidement… Le lendemain, elle écrira un courriel substantiel pour dire qu’elle avait bien écrit à la paroisse pour informer qui de droit de son projet; n’ayant pas reçu d’accusé de réception, elle a supposé que tout était correct…

En tout cas, après ces trois gigs, j’avais encore plus d’appréciation pour le travail de Joëlle dans l’organisation impeccables des funérailles de vendredi…

Porgy et Bess, Montréal, 10 août 2017

Avant de formuler mon commentaire sur le concert d’hier soir sur l’esplanade du Stade Olympique, je me permets de relater mon « expérience » Porgy and Bess, pour prendre un terme à la mode… Au total, ça va faire plus de 3000 mots; mon article le plus long à ce jour. Bonne lecture!

Je connaissais l’opéra, non, je croyais connaître l’opéra, parce qu’enfant, j’avais entendu la version d’Andre Previn, utilisée dans le film de 1959; mon père avait acheté le disque vinyle. Je ne me souviens pas s’il avait vu le film. Cette musique me semblait enthousiasmante, en vérité. J’étais déjà un fan de Gershwin, connaissant la version de Morton Gould de Rhapsody in Blue, du Concerto en Fa et d’An American in Paris.

Rendu au secondaire, j’ai certainement parlé avec chaleur de Gershwin… Toujours est-il qu’en secondaire, hum… Quatre, peut-être? Pascale Marquis, une consœur de classe, m’a fait découvrir un jour le coffret de l’enregistrement complet de la version de Lorin Maazel, dirigeant l’orchestre de Cleveland, coffret disponible à l’emprunt à la bibliothèque de Ville-Mont-Royal (j’allais à Pierre-Laporte, au secondaire, mais c’est une autre histoire).

À la maison, l’écoute de cette version nous avait causé tout un choc, à mon père et à moi. Bon, le I’m on my way final n’avait plus la modulation rajoutée par Previn, mais tout le reste… Ciel! Ces couleurs orchestrales chatoyantes, ces récitatifs, ces versions originales et nombreuses de ces chansons que je ne connaissais pas, la partie de dé sous Summertime, ces tuttis orchestraux… Wow! C’est le premier coffret que je me sois acheté, et je l’ai écouté à en user les sillons! À le savoir par cœur.

Par la suite, j’en ai vu une version télévisée, qui ne m’avait pas accroché… Une version concert à l’OSM, dirigée, si ma mémoire est bonne, par Bobby McFerrin (on parle des années 90, je crois, il se peut que ma mémoire ne soit pas si bonne), version qui ne reprenait que les grands airs; je ne me souviens pas si les chœurs y étaient. Je me souviens, par contre, avoir jeté un œil aux partitions, qui étaient sur le bord de la scène, et avoir été frappé de réaliser que c’étaient des facsimile de l’autographe original!

Des années plus tard, l’opéra a été présenté à Montréal. Voici ce que j’avais écrit à l’époque (le 4 février 2014):

Porgy and Bess…

Après le Sacre du printemps et le Concerto pour orchestre, c’est la troisième de mes œuvres fétiches que j’entends en spectacle en quelques mois.

Difficile de dire tout ce que j’ai vu et vécu dans ces trois heures-là… Je connaissais un peu l’œuvre depuis l’enfance, l’opéra entier depuis l’adolescence; je connaissais les très beaux airs et l’orchestration somptueuse, mais je n’avais pas compris tout ce qu’il y avait là de noirceur (sans jeu de mot), de tragédie, de violence, de lumière, d’amour, de douceur et de beauté. Pas réalisé à quel point la magnifique musique prolonge la parole et figure les états d’âme des protagonistes…

Merci d’abord à ma mère, de nous avoir invités, mes sœurs et moi. Merci et bravo aux musiciens, aux chanteurs, choristes et solistes, au chef, à tout le monde impliqué là-dedans, aux auteurs aussi…

Quelques regrets pour les inévitables coupures, en particulier le Jasbo Brown Blues… C’est pratiquement mon seul bémol.

C’était l’OSM qui accompagnait les chanteurs, lors de cette production de l’opéra. En sortant du concert, j’avais croisé André Moisan, qui m’avait expliqué que ce soir-là, qui était la supplémentaire, tout avait finalement marché… Il comparait les habitudes de travail en Amérique du Nord, avec la semaine de travail octroyée à l’orchestre pour monter l’opéra (si ma mémoire est bonne) avec celles en vigueur en Europe, où un opéra pareil bénéficierait d’un mois de répétitions d’orchestre, à Londres, par exemple, avant même de rencontrer les chanteurs…

Autrement dit, il s’agit aussi d’une histoire de gros sous…

Et c’est là que commence ma critique du concert d’hier soir. Ce sera une très longue critique, qui parlera beaucoup plus de l’œuvre originale que de ce que nous avons entendu hier, et pour cause: il n’y a pas eu grand-chose à entendre! Mais je vais y revenir.

D’abord, l’histoire: à chaque nouvelle version que j’ai découverte, j’ai compris un peu plus, un peu mieux, ce récit complexe. Même hier soir, malgré les coupures abyssales dans l’œuvre (mais je vais y revenir), j’ai plus et mieux compris ce qui se passait. Porgy and Bess est basé sur une pièce de théâtre, basée sur un roman, basé à son tour sur un personnage réel, un mendiant handicapé de Charleston surnommé Goat Cart Sammy. D’après les récits des témoins oculaires, ce n’était pas une personne recommandable, au contraire… Mais DuBose Heyward, l’écrivain descendant d’une famille de planteurs du Sud, s’est emparé du personnage et, peut-être par sympathie personnelle (les deux, Sammy et DuBose, ont souffert de poliomyélite), en a fait un personnage d’une profondeur et d’une bonté remarquables, transférant, en fait, tous les défauts réels de Sammy dans un de ses antagonistes, Crown.

Et c’est là, dans la différence entre la profondeur des personnages de Porgy and Bess et la relative insignifiance de ceux de Porgy et Bess, que le bât commence à blesser.

Car, oui, les personnages de Porgy and Bess sont d’une profondeur émotive et psychologique remarquables. Il y a Porgy, le mendiant infirme, qui dans le roman, la pièce et l’opéra original, se déplace essentiellement dans un chariot tiré par une chèvre. Dans Porgy et Bess, il marche à l’aide d’une cane. C’est probablement plus simple, je l’admets sans peine. Il est attentif à son entourage, pas misérabiliste du tout (surtout lorsque Bess est avec lui), courageux à sa manière, magnanime, fidèle à sa parole mais aussi superstitieux.

Bess est une femme qui a du vécu, disons; ancienne droguée, vraisemblablement prostituée et très buveuse au début de l’histoire, elle semble avoir eu une histoire ancienne avec Sportin’Life et est physiquement attirée par Crown, le mauvais garçon, même s’il la bat. Sa relation avec Porgy, qui la recueille lorsqu’elle est dans la plus mauvais passe est comme une rédemption pour elle, elle voit et admet ses propres contradictions et veut changer de vie.

Crown est officiellement un débardeur, mais il est aussi, vraisemblablement, le souteneur de Bess, ayant, toujours vraisemblablement, pris de force la relève de Sportin’Life dans ce rôle. Il est alcoolique, irascible et violent, battant Bess, qu’il semble pourtant aimer réellement, au point de vouloir retourner la chercher (est-ce un manipulateur? Le texte ne se rend pas à ce niveau-là), alors qu’il était fugitif après avoir commis le meurtre qui ouvre le drame. Une note, en passant: comme je l’évoquais plus tôt, Heyward a transféré à Crown des caractéristiques tirées de Sammy, qui était colérique, alcoolique et aurait tué trois personnes…

Sportin’Life est le pourvoyeur de Catfish Row, le hameau où se déroule le drame. Lui est clairement manipulateur, menteur, cynique, de loin le plus informé et le plus habile du groupe. D’autre part, c’est clairement un animateur de foules remarquable.

Observons en passant que nous n’avons pas affaire à un triangle amoureux, mais bien à un genre de carré.

Outre ce quatuor de tête, il y a de nombreux rôles secondaires ou tertiaires, marchands, pêcheurs, cueilleurs de coton, épouses… Dans l’opéra, Catfish Row a une vie de village fascinante et animée, avec son propre leitmotiv orchestral (j’y reviendrai), mais tout ça a été coupé hier (j’y reviendrai aussi).

Parlant de coupures et d’hier soir, le rôle de Maria faisait partie de ceux qui ont été purement et simplement éliminé, sauf dans le sous-titrage (car il y avait une technique remarquable; j’y reviendrai), ce qui donnait des moments étranges où les chanteurs disaient Serena et on voyait écrit Maria…

J’écris « dans l’opéra », mais il y a une controverse, semble-t-il, à ce sujet: certains commentateurs ou critiques, à travers les âges, ont voulu placer Porgy and Bess parmi les comédies musicales, arguant de certains aspects jazzés, des airs à succès… Je m’objecte: la complexité du sujet, avec le quatuor de tête, la complexité des personnages du quatuor, celle de plusieurs personnages secondaires (qui ont été supprimés hier, j’y reviendrai), placent cette œuvre clairement dans le camp de l’opéra sérieux. J’ajoute que le travail de composition et d’écriture de George Gershwin est, ici, d’une qualité inégalée dans le reste de son œuvre. J’ai mentionné plus tôt le leitmotiv de Catfish Row; en fait, il y a des leitmotiv  pour plusieurs personnages, pour plusieurs actions, les motifs sont combinés entre eux, modifiés, et le travail d’arrangeur de Gershwin rejoint son travail de compositeur, et les deux sont magnifiés par une orchestration de très haut niveau, avec un travail timbral comparable, à mon sens, à ce qui s’est fait de mieux en Europe, à la même époque; oui, je parle de Ravel, Prokofiev, Respighi, pour ne nommer que ceux-là. Gershwin, le fils de juifs immigrants de Saint-Petersbourg, qui n’avait rien à faire avec la musique avant l’âge de dix ans, qui l’avait apprise en grande partie en autodidacte, qui était devenu un petit pianiste de Tin Pan Alley, qui avait finalement composé des chansons à succès, qui avait concrétisé son rêve de donner une dimension symphonique au jazz et de l’hybrider avec la musique de concert, qui, de son propre aveu, ne comprenait rien à la musique de Schönberg, qui s’était fait revirer de bord par Maurice Ravel et Nadia Boulanger, à qui il avait demandé des leçons, Gershwin,  donc, a mis tout ce qu’il avait à donner et plus encore, dans cette immense œuvre qui durait plus de quatre heures lors de sa création.

Il y avait deux autres controverses, au sujet de Porgy and Bess, soit dit en passant, les deux émanant plus ou moins de la communauté noire: plusieurs chanteurs refusaient de chanter ces rôles, ce qui est problématique étant donné que la volonté des créateurs est que ne puissent chanter cet opéra que des chanteurs noirs de peau, pas des black face. D’une part, il y avait des objections face au fait que ce soit un blanc qui ait composé tout ça, sur un livret et des paroles d’auteurs blancs. Or, à mon sens, d’une part, à l’époque, personne n’aurait donné à un compositeur noir (ni à une compositrice noire, soit dit en passant) le dixième des moyens qui ont été confiés à Gershwin pour écrire et faire jouer son opéra. En tout cas, certainement pas aux États-Unis d’Amérique, où les noirs étaient encore, à toutes fins utiles, des citoyens de seconde zone (ce qui rejoindra l’autre catégorie d’objections, dans un bref instant, mais rappelons rapidement que Bessie Smith est morte à la porte d’un hôpital réservé aux blancs, qui refusait de la soigner). D’autre part, il y avait certainement un sens profond pour Gershwin, fils de juifs ayant fui Saint-Pétersbourg pour échapper à des persécutions antisémites, d’écrire cet opéra donnant la parole aux noirs, d’une certaine manière:  d’abord, il pouvait reconnaître la persécution lorsqu’il la voyait, même s’il était du « bon » côté de la barrière de couleur. Ensuite, même si les noirs étaient chrétiens, il s’est certainement reconnu spirituellement dans tous ces chants qui parlent de la Terre promise, au point d’en offrir une profusion remarquable dans l’opéra.

L’autre classe d’objections avait à voir avec le portrait d’une société noire que propose l’œuvre… Il y a là un quartier pauvre, avec des petites gens dont la majorité est honnête, et deux vrais voyous et une prostituée. À mon sens, toujours: 1) y voir une généralisation de la société noire américaine, en 1935 comme en 2017, ce serait idiot; 2) dire que ça n’existe pas, en 1935 comme en 2017, serait abjectement révisionniste; 3) partout, il va y avoir des voyous et des gens qui tentent d’être honnêtes; 4) sur les quatre petits rôles « blancs » de l’opéra, qui sont les seuls rôles parlés, deux sont les plus antipathiques de tous: le policier et le coroner sont brutaux, stupides et sans le moindre discernement ni respect.

Mais tout ça… Ah, il est probablement temps que je revienne à tout ce que j’ai laissé en plan en cours de rédaction… J’approche déjà les 2000 mots, avant même d’être terminé ce billet est probablement déjà le plus long depuis que je blogue!

Hier soir, donc, il y avait toute une technique: une vaste scène abritée, de l’éclairage, des écrans géants (qui, pour faire patienter le public, diffusaient entre autres des images qui auraient bien pu faire partie du Mois de l’histoire des Noirs: nous y apprenions, entre autres, qu’il y aurait eu plus de 4000 esclaves, noirs ou amérindiens, identifiés, du temps de la Nouvelle-France; je n’ai pas retenu s’il avait été question de la situation après le changement de régime), des tas de caméras (forcément), des micros à n’en plus finir, des rampes de haut-parleurs suspendus à des endroits stratégiquement choisis, des régies clôturées… Et beaucoup de monde, faut bien le dire, et moins de têtes grises, en proportion, que lors de mes derniers concerts symphoniques.

Un peu après l’heure de début annoncée, André Robitaille, le maître de cérémonie, vient nous avertir que le concert sera légèrement retardé, pour cause de problème technique. Une fois leproblème réglé, il revient, salue la ministre Joly, le maire Coderre, les distingués invités et cède la parole à Michel Labrècque. Lorsqu’il la reprend, c’est pour commencer par faire peur à tout le monde, en mentionnant que la première version de l’opéra durait quatre heures (!), et ainsi faire passer la pilule des coupures qui vont suivre…

Et quelles coupures! Ce sera, à mon sens, une des grandes différences entre Porgy and Bess et Porgy ET Bess… Mais jugez, plutôt: la célèbre gamme de fa# dominante secondaire qui ouvre brillamment l’opéra est lancée, suivi du non moins célèbre motif aux percussions, puis, aux cuivres, puis à tout l’orchestre, puis, joie! Au piano! Le Jasbo Brown Blues  va être joué! Il avait été coupé à l’opéra…

Bon; pendant un bon moment, on nen voit que des images d’animation sur les écrans; il va y avoir plusieurs séquences de mini film à la mode actuelle, comme des collages mobiles plutôt que de la vraie animation. Mais bon, enfin, on voit la pianiste. On arrive au moment où les chœurs vont entrer dans la danse, pour aboutir à leur hypnotique ritournelle sur le grand crescendo qui…

Non; coupure, on est lancés directement sur Summertime. Animation: champs de coton… Gnarf.

Puis André Robitaille (qui s’est tout de même honorablement tiré d’affaires dans les circonstances) revient nous parler pour résumer l’action de la première scène, qui est presque entièrement coupée: plus de partie de dés où on découvrait les personnages, plus de reprise de Summertime  dans la magnifique version accompagnant la partie de dés (Seven, come, Seven), plus d’A woman is a sometimes thing, ni de Little stars, il ne reste que la musique du combat; plus de fuite de Bess, repoussée par tous alors qu’on entend déjà les sifflets de la police, repoussée jusqu’à ce quePorgy lui ouvre sa porte…

Et nous sommes catapultés dans la deuxième scène, alors que le chœur chante que Robbins is gone, le dialogue avec le croque-mort est disparu, on enchaîne tout de suite avec My man’s gone now,  qui est prise nettement trop vite. Eh, l’action est sensée se passer en Caroline du Sud, il doit faire tellement chaud que l’orage menace constamment et que l’air donne un sentiment de papier à mouches… Or là, ça ne colle pas du tout, au contraire, ça bondit et ça sautille. Re-gnarf.

C’était Marie-Josée Lord qui faisait Serena, en 2014; sa version était plus convaincante que celle d’hier. Hier, au demeurant, elle faisait Bess, qui enchaînait avec un Oh the train’s at the station honnête, sans plus.

Tout aussi honnête que le I got plenty o’nuttin’ de Porgy, qui suivait, puis Bess, you is my woman now et le petit passage de Sportin’Life était intéressant. Tous les autres dialogues de la scène étaient éliminés, tout comme le solo d’orchestre du début de la scène de pique-nique. On se retrouvait vite avec Sportin’Life et son It ain’t necessarily so, très intéressante version, puis hop, Crown de retour en duo avec Bess dans Wat you want wid Bess?  Puis ce fut I loves you Porgy (trop vite), l’autre combat, There’s a boat dat’s leaving soon, Oh Bess, where’s my Bess? (trop vite, elle aussi) et déjà I’m on my way  et c’était fini, d’autant que l’accord final a été, lui aussi, nettement court. Il n’était pas dix heures, ouf, il n’y aurait pas de temps supplémentaire à payer aux musiciens…

Mais, oh! Est-ce une manière de rendre justice à une œuvre pareille? Non! La superbe couleur orchestrale, la splendide esthétique de l’œuvre (disons plutôt: des extraits) a été conservée et rendue, mais c’est presque tout. Les chanteurs ont donné des lectures honnêtes, intéressantes (en particulier Crown, et Sportin’Life, chez qui on sentait une heureuse influence de Michael Jackson!), mais peu développées; les passions n’étaient pas crédibles, les traits de caractère non plus. Pire encore, le chef ne suivait pas toujours les chanteurs; Sportin’Life, en particulier, se faisait mener par le bout du nez par Maestro Nagano.

Fondamentalement, c’est triste: mettre autant de temps et d’argent, quand même, pour une production avec costumes et un embryon de mise en scène, mais ne pas en mettre assez pour les répétitions, en mettre trop sur l’animation (désolé…), pour en arriver à un résultat mi-cuit et, au total, insatisfaisant, malgré les grandes qualités de l’œuvre, de l’orchestre, du chœur et des solistes… Moche.

Ça m’a fait penser à mon théorème du déjeuner gratuit, pendant mon voyage: si le déjeuner est inclus dans le prix de la nuit, le café ne sera pas bon. Comment chialer contre un concert gratuit? Difficile… Comment faire accepter au public de payer le vrai prix de ce que coûte ce genre de spectacle? Encore plus difficile. Comment amener ledit public à au moins essayer de goûter l’œuvre intégrale? Certainement pas en renonçant avant même d’avoir essayé. Comment rendre justice à ladite œuvre? Même constat. Comment faire accepter qu’en culture, tout ne sera pas rentable immédiatement? Que certains spectacles, comme cet opéra dans une hypothétique version intégrale, ne sera « payante » qu’à long terme, par le souvenir et l’élévation de l’âme qu’elle laissera chez ceux qui y auront assisté? Bonne chance ou bon courage pour faire comprendre ça aux bailleurs de fonds, que ce soient les contribuables ou les mécènes…

Cela dit, il y a quand même une justice: le public ne s’y est pas fait prendre. Même si une de mes voisines (que je ne connaissais pas) disait en se levant qu’elle avait « beaucoup aimé ça », j’avoue que je ne la crois pas, ou pas tant que ça. Oh, bien sûr, il « fallait » avoir aimé, ou alors, si on ne connaît pas l’intégrale, on peut avoir sincèrement aimé… Mais, après l’opéra, en 2014, avec le même orchestre, les applaudissements étaient autrement plus vifs et nourris qu’hier soir et le monde était debout.

Et avant de me répondre que ouain, bon, c’était en plein air… Hey! Avez-vous déjà entendu Montréal crier quand le Canadien marque un but en finale? Ou Rome, quand l’italie marque en Coupe du monde de soccer? … Oui, je sais, les moins de 25 ans ne peuvent pas répondre positivement à ces questions…

Moi, je connais la différence…

Post-scriptum: je ne sais pas si Monsieur le Maire a de l’influence auprès de NavCanada, mais, si oui, ce serait une bonne idée s’il pouvait obtenir que les petits avions ne puissent pas faire le tour Ville-Marie pendant les concerts d’orchestre en plein air près du Stade. Oui, c’est moi, l’amateur d’avions, qui dis ça.

Post-post-scriptum: le concert était tellement court, l’opéra tellement abrégé que je ne serais pas surpris que lire cette critique prenne plus de temps! 🙂

Funérailles de Gilles Tremblay, Montréal, 4 août 2017

Emmanuel et Raphaël m’ont fait l’honneur de pouvoir jouer aux funérailles de Gilles Tremblay. Il s’agissait de participer à une improvisation sur une œuvre inédite: Esquisses pour un cœur, composée à l’intention de Jacqueline à l’occasion de la Saint-Valentin 1997 et, apparemment, pas encore jouée.

La pièce était bien en évidence, au salon funéraire. Au premier regard, j’ai une impression de… comment dire, « familiarité » serait trop fort. Mais je crois reconnaître des éléments: les octaves diminuées, les renversements de direction des intervalles, un peu comme dans certains passage de Cèdres en voiles, mais aussi des symétries rompues, comme l’enseignait Messiaen dans les Techniques de mon langage musical…

Enfin… Tout ceci pour dire que j’arrive sur place, vendredi matin, à l’église Saint-Albert-le-Grand, juste à côté du couvent des Dominicains, pour prendre part à la répétition. Ciel, je crains d’être en retard: il y a déjà des gens qui jouent des fragments de « ma » pièce! Mais non, les fragments en question, soit les quatre phrases qui serviront de réservoirs de sons pour les mobiles d’improvisation, seront joués, intercalés avec des textes lus pendant la cérémonie.

Le petit « set-up » de gongs, derrière l’autel, me fait penser à la collection complète de percussions qui trônait dans le bureau de Gilles, boulevard Saint-Joseph, puis dans sa pièce, à la résidence des dernières années…

Après ces lectures accompagnées, commence la répétition de la pièce proprement dite. Je suis en excellente compagnie: il y a, par ordre approximatif d’entrée en jeu, Olivier Maranda aux percussions, Yuki Izumi à la flûte traversière, Caroline Tremblay (pas de parenté) à la flûte à bec (ténor, je crois), Estelle Lemire aux ondes Martenot, Jean-Willy Kunz à l’orgue et Vincent Ranallo, baryton.

Je ne sais pas trop comment prendre ce réservoir de notes; il y en avait un dans Cèdres en voile et, en m’entendant, Gilles avait dit que ce n’était pas du tout ce qu’il avait imaginé, mais que ça lui allait… Je demande un peu conseil à Raphaël, qui m’encourage après le premier essai très beau. Nous en faisons tout de suite un second, et c’est encore mieux. J’ai un moment d’émotion en réalisant que je suis en train de recevoir une leçon posthume de liberté, de la part de Gilles Tremblay.

Après notre moment de pratique, j’entends l’orgue qui pratique du Messiaen, de toute évidence. Je m’approche pour suivre: il s’agit de Joie et clarté des Corps glorieux, sixième des Sept Visions brèves de la Vie des Ressuscités (si toutefois j’ai bien retenu le titre: sur internet, les versions varient). Magnifique!

Joëlle, qui organise la cérémonie, est à la fois souriante et tendue; Emmanuel, Jean-François et Guillaume semblent plus cool… mais je ne gratte pas.

Saint-Albert-le-Grand… Vincent est un peu surpris du choix de cette église, plutôt que Saint-Viateur, dont les Tremblay (et ma famille, dans le temps) étaient paroissiens… Mais Emmanuel m’a expliqué que son père venait souvent ici, qu’il préférait cette église… Je comprends pourquoi, en vérité: l’église a un côté « moderne des années 60 » qui va tout-à-fait avec Gilles Tremblay, beaucoup plus que le faux gothique de Saint-Viateur (qui est par ailleurs une très belle église, juste d’un autre style). L’orgue est tout au fond, dans un genre de casier, les vitraux sans motifs laissent entrer de belles couleurs, il y a quelque chose d’à la fois dépouillé dans le volume et abondant dans le coup d’œil.

  

L’église s’est remplie après ma prise de photos. Au début de la cérémonie, Emmanuel Tremblay et Raphaël Dubé, accompagnés par Jean-Willy Kunz, ont joué l’Adagio de la Sonate en trio en sol mineur HWV 393 de Handel, dans l’arrangement de Louis Feuillard; ça commençait très bien, avec cette musique gracieuse et méditative.

Ensuite, pendant le témoignage de la famille, en fait plus particulièrement pendant les parties du discours de Joëlle, Marie-Pascale Dubé, sœur de Raphaël, improvisait un chant de gorge basé sur « papa-papou » qui a rythmé le récit. J’ai eu un moment de fascination devant l’énergie et la douceur de ce chant, mais aussi devant la beauté, la force, la poésie dégagée par chaque membre de la famille, ces héritiers de la rencontre entre un homme de musique et une femme d’arts plastiques.

Après ce témoignage, Jean-Willy Kunz a joué l’Invention #4 en ré mineur, BWV 775, de l’irremplaçable Bach: l’inventivité dans la rigueur, la rencontre entre l’évidence et l’inattendu faite en musique…

C’était le moment des témoignages des musiciens. Walter Boudreau, Michel Gonneville et Estelle Lemire ont évoqué le professeur, le compositeur, le directeur artistique, le penseur, l’humaniste, le guide… Ensuite, Robert Aitken a joué Envol, le début des Vêpres à a Vierge de Tremblay. J’ai entendu cette pièce plusieurs fois, en vérité, mais c’était la première fois qu’elle avait l’apparente simplicité d’une Invention de Bach… Je dis bien « simplicité », pas « facilité ». Ça m’a fait repenser à ce qu’Emmanuel m’avait dit sur un passage de Cèdres en Voile: « Ça, c’est du Bach! »

Puis Marie-Pascale a lu des extraits du Livre de la Sagesse, de la poésie persane du Moyen-Âge, de la poésie québécoise actuelle (Fernand Ouellette, qui était présent), un texte de Gilles Tremblay lui-même, entrecoupés de la présentation des quatre Esquisses pour un cœur, dont la partition en fac-similé était affichée dans la nef de l’église. Après les deux lectures religieuses (Emmanuel a lu bien plus que les trois lignes prévues pour la seconde!), après l’homélie, c’était le temps de jouer notre pièce. J’ai aimé notre jeu, j’ai aimé notre arrêt pour laisser sonner les ondes et l’orgue, j’ai aimé notre retour puis la dissolution des sons des instrumentistes pour laisser la voix seule chanter et dire le texte…

… J’ai su que ladite partition serait gravée sur la pierre tombale… Je vais demander la permission à la famille d’en mettre une photo sur cette page.

Après le Notre Père chanté (au fait, je n’ai même pas su le nom de la chanteuse de la paroisse… Pourtant, elle était bien bonne!), pendant la communion, un chœur (dont le nom m’a aussi échappé! Désolé!) a splendidement chanté l’Ave Maris Stella des Vêpres à la Vierge de Monteverdi. Le dernier Amen m’a paru particulièrement émouvant, un vrai remerciement pour toutes les grâces obtenues.

Il y a eu le témoignage d’un membre de la communauté de Saint-Albert-le-Grand; après tous ces témoignages, j’avais le choix entre me réjouir d’avoir côtoyé cet homme, Gilles Tremblay, si peu que ce fût, ou le vertige d’avoir échappé tant de facettes de sa personne… J’ai choisi la joie, même si j’étais très ému.

Il y a eu l’aspersion, au cours de laquelle le célébrant a invité la famille et les proches à venir envoyer de l’eau bénite sur le cercueil; Joëlle m’a fait signe, je me suis joint. Il y a eu l’encens, puis la sortie, où le cercueil a été conduit par les quatre enfants, Jean-François, Joëlle, Emmanuel et Guillaume, et par Michel Gonneville et Walter Boudreau. Pendant ce temps, Jean-Willly jouait Messiaen, et j’étais content de l’avoir écouté attentivement pendant la répétition, parce que le mouvement ordinaire de la vie courante reprenait déjà ses droits: tant de monde à saluer, à remercier, à embrasser…

Gilles Tremblay, 1932-2017, III – Crépuscule

Troisième article sur Gilles Tremblay. Voici les liens vers les autres:

http://nicolas-cousineau.com/2017/08/08/gilles-tremblay-1932-2017-i-mari-de-madame-tremblay-pere-de-mon-ami-prof-danalyse-compositeur-observateur-du-monde/

http://nicolas-cousineau.com/2017/08/08/gilles-tremblay-1932-2017-ii-cedres-en-voiles/

Après l’accident vasculaire cérébral, Gilles a regagné de la santé, de la parole, de la mobilité… mais pas totalement. Parfois, j’entendais encore la voix du Maître, celle de Monsieur Tremblay, comme pendant pratiquement tout le retour depuis Québec. Il y avait des retours surprenants, comme cette fois où Philippe Mius d’Entremont, Vincent Fournier-Boisvert et moi sommes allés improviser pour Gilles… Et avons eu la surprise que Gilles, à son tour, lance une autre improvisation! Beaucoup de plaisir, ce matin-là. Cela dit…  Avec les années, les moments de cette voix se sont faits plus rares.

Avec les années, la maison des Tremblay a commencé à montrer des signes de décrépitude, elle aussi: la peinture écaillait ici et là, les chaises de la salle à manger creusaient de plus en plus, le mortier du balcon s’effritait… Ni Gilles ni Jacqueline ne pouvaient plus s’en occuper. Oh, ils avaient bien de l’aide, des enfants et de Gaëtan (merci pour tout, encore, Gaëtan, même si ce ne sont pas mes parents), mais ce n’était pas assez.

Puis, la mobilité des parents diminuant encore (je me souviens qu’ils ont été les premiers, avec leur fils cadet, Guillaume, à venir au salon funéraire, lorsque mon père est mort; j’étais content de les voir et, même si c’était relativement près de chez eux, frappé qu’ils aient pu se rendre à pied), les enfants se sont rendus finalement à la décision de vendre la maison et de placer les parents dans une résidence où ils pourraient recevoir les soins et l’attention nécessaires à leur état… Ma dernière visite dans cette maison a eu lieu lors d’un passage d’Emmanuel, pendant que tout allait être vidé. Il m’a donné quelques livres, quelques souvenirs… Je voyais pour la dernière fois le piano Steinway doré avec des moulures, la grande table, les recoins mystérieux, les gigantesques collections de livres (!!!)… Dernier souper dans cette maison, alors que Gilles et Jacqueline n’y habitaient déjà plus (le dernier souper en leur présence auquel j’aie participé était pour le 80e anniversaire de Gilles).

Dans la résidence, il y avait tout de même un piano dans leur appartement, et Gilles avait encore sa collection de gongs. J’allais les voir essentiellement lors des passages d’Emmanuel. Gilles entendait moins bien, Jacqueline perdait la mémoire… Puis ils ont eu besoin de plus de soins encore, et il y a eu un autre déménagement, à un autre étage de la même résidence.

Dans ces années, je jasais souvent de musique avec Eugénie, une de mes amies musiciennes. Elle me parlait de son retour aux études, de mon enseignement, qu’elle voyait depuis un moment à titre d’accompagnatrice de certains élèves d’une de mes classes, de ma connaissance de la musique… Je lui disais que mes connaissances n’étaient rien, que j’avais eu le privilège de côtoyer d’authentiques grands Maîtres, Fouquet, Pierri, Müller,  Berger (le violoncelliste, pas le compositeur), Meunier, Vaillancourt… Tremblay…

Sur les entrefaites, nous avions de disponibles quelques pièces que j’avais enseignées ou jouées dans d’autres cadres ou pour le plaisir; j’ai organisé une petite séance pour les Tremblay, au cours de laquelle nous avons joué Après un rêve de Fauré et la Louange à l’éternité de Jésus de Messiaen. Gilles nous a écoutés attentivement, puis n’a pas immédiatement fait de commentaire.

Après un moment, Eugénie lui a demandé: « Est-ce que ça vous fait repenser au temps avec Messiaen? » Il a répondu: « Vous faites entendre ce que le compositeur n’a pas écrit dans la partition. » C’est la dernière fois que j’ai entendu la voix de Monsieur Tremblay. Je suis encore ému, juste de l’écrire.

Je l’ai revu, quelques fois par la suite, j’ai rejoué, seul ou en duo avec Emmanuel… Lundi le 17 juillet, Emmanuel étant en ville, je suis allé le voir et visiter ses parents. Après le souper, Emmanuel a conduit Gilles au piano électrique de la salle à manger de la résidence. Gilles a improvisé, à une main puis à deux, un genre de contrepoint à trois voix…  Nous sommes montés sur la terrasse, Emmanuel, ses parents et moi, puis Gilles a été fatigué; nous sommes redescendus et il est allé se coucher. J’ai attendu une minute ou deux de trop, avant d’aller le saluer: il dormait déjà.

Je vais parler des funérailles dans un autre billet, finalement…

Gilles Tremblay, 1932-2017, II – Cèdres en voiles

(Suite de mon témoignage sur Gilles Tremblay)

Sur les entrefaites, j’avais vu la partition de Cèdres en voiles au magasin de musique (en liquidation!) et avais dit à mon amie Marie-Hélène Breault, qui était alors directrice artistique d’Erreur de type 27, l’organisme producteur de concerts de musique contemporaine à Québec, que je serais intéressé de la jouer.

J’avais oublié que je le lui avais dit, lorsqu’elle m’a appelé pour me proposer de la jouer, dans le cadre d’un concert dédié à Claude Champagne et à ses élèves.

Je suis allé m’acheter la musique (à prix de liquidation!) et l’ai posée par terre à côté de mon lutrin, osant à peine l’ouvrir et la lire sans encore la jouer pendant un bon mois, tellement elle m’intimidait! Puis, bon, c’est pas tout, ça, mais le concert approche: il me reste à peine plus d’un mois! Alors, bon, ok, faut bien essayer de la jouer, cette pièce!…

Premières lectures… Bout d’pompe à jus d’bottines! C’est pas facile! Un immense geste montant, en voix double, avec des quarts de tons, entrecoupé de plein d’épisodes, dont un particulièrement hostile: des quarts de tons en mouvement sur les deux cordes, en position du pouce!

Après une première semaine, je prends rendez-vous avec Raphaël Dubé, petit-fils de Gilles Tremblay et fils de Joëlle, mon ancienne monitrice; c’est lui qui m’enseigne comment passer à travers la pièce. Merci, beaucoup d’idées sont plus claires, maintenant. Je vois que je suis dans la bonne direction. C’est d’ailleurs ce que me dira Gilles, le lendemain: « Vous avez compris, reste juste à le faire » (je paraphrase à peine). Pendant que je suis chez les Tremblay, Jacqueline appelle Emmanuel, en France, qui me donne, lui aussi, des indications sur la pièce.

Une deuxième semaine de pratique, puis une troisième, pendant laquelle je commence à jouer la pièce à des gens pratiquement tous les jours. Merci renouvelé à mes cobayes de ce temps. Je rejoue la pièce à Gilles, qui me semble (poliment) un peu découragé… Je lui souligne la difficulté du passage en double-cordes avec les quarts-de-tons croisés; il me regarde avec un air mi-penaud mi-narquois: « Excusez-moi! »…

Dernière semaine, dernières victimes de mes essais: Philippe Mius d’Entremont, dont c’est l’anniversaire lorsque je lui joue la pièce, et Julie-Odile Gauthier-Morin, qui était rentrée de voyage la veille. Elle trouve mon jeu dur, brutal, violent… Avec raison. Je tente d’adoucir les angles…

Le lendemain, dernier essai devant Gilles Tremblay, la veille du départ pour Québec, soit trois jours avant le concert… Il fait la baboune devant mon interprétation sage… Je lui fais la remarque qu’on m’a signalé que je jouais violemment et que j’essaie de contrôler… Il m’interrompt en pointant un endroit dans la partition: « Ça, c’est violent! »

Je rejoue, comme si je giflais.

« Oui! C’est ça! »

Et je me sens comme une bouteille de champagne dont le bouchon viendrait de sauter! Je continue, jusqu’à la fin de la pièce (j’avais repris environ au troisième cinquième), Gille est ravi, je suis euphorique.

En rentrant chez moi, ce soir-là, juste après une répétition avec Marie-Hélène et Dominic Boulianne (pour des pièces en trio de Claude Champagne), je m’aperçois que je connais la pièce de mémoire, finalement! Aurai-je le culot de la jouer par cœur, deux jours plus tard?

Le lendemain, après une répétition en ville, j’emmène les Tremblay, Gilles et Jacqueline, vers Québec; ils vont résider dans un bed&breakfast tout près de là où habite Joëlle. Souper avec Joëlle.

Le surlendemain, dernière répétition puis concert. Entre les pièces en trio de Champagne et « ma » pièce, il y a d’autres solos, de Clermont Pépin, Serge Garant… Je n’assiste pas à ces pièces, pour me concentrer sur ma mémoire et réviser la pièce une dernière fois… Puis je joue.

Ça se passe très bien. Peut-être pas aussi magnifiquement que la fois du bouchon de champagne, mais pas loin. Le geste me semble clair, la pièce me semble courte, ce qui est généralement très bon signe.

Le lendemain, retour à Montréal par le Chemin du Roy. Gilles, en verve et aiguillonné par Jacqueline, se met à me parler de la classe de Messiaen. J’ai eu le sentiment que le voyage durait 45 minutes! Passage chez Jean-François, le fils aîné des Tremblay. Je rejoue la pièce pour les présents et Gilles m’écrit une très belle et aimable dédicace.

La suite de mon témoignage dans la troisième partie, Crépuscule et funérailles.

 

 

Nos amis les chanteurs, deuxième épisode (Montréal, août 2017)

Cette fois-ci, ce sera répétition et concert dans un centre sportif. Au programme, trois solistes, à savoir un ténor fameux, passablement touche-à-tout, puis un couple de chanteurs populaires. Le couple a une petite fille dont la santé laisse à désirer, en ce jour; la sœur de la chanteuse est disponible, au cas où il faudrait un remplacement au pied levé.

Le ténor populaire est très à l’aise avec l’orchestre; les deux « jeunes » chanteurs sont moins expérimentés, et ça se sent dans leurs commentaires. Cependant, ils ne boudent pas leur plaisir, et expriment volontiers leur gratitude envers l’orchestre.

Ce ne sont pas que des variétés, puisqu’il y a toute une variété de musique…

ahem… ma sœur me donnerait une pénalité pour ce jeu de mot…

Bon; il ya du chant napolitain, un air d’opérette allemand, des airs d’opéra italiens, du pop américain, européen, québécois… Pour tous les goûts, finalement. La chanteuse ose s’offrir un air populaire italien en duo avec le ténor…

C’est mignon: tout le long des répétitions des pièces en duo et en trio, le couple de chanteurs populaires, sans en avoir l’air, prend conseil auprès du ténor et celui-ci, sans en avoir l’air, leur donne des cours de chant et de musique. Pas la moindre trace d’arrogance, de suffisance, de snobisme, ni d’une part ni de l’autre; au contraire, il y a beaucoup de respect et de délicatesse de part et d’autre.

Pendant le concert, je suis encore une fois frappé par l’aisance de ce ténor avec le public: il l’enroule autour de son petit doigt avant de le mettre dans sa petite poche! En plus, il chante vraiment bien. Les deux chanteurs populaires sont très bons aussi.

Il y a tout de même un moment où j’ai été ému, transporté dans mon souvenir… Du temps où je vivais dans Villeray, près du marché Jean-Talon (rue Jules-Verne, si, si!), j’allais souvent souper dans un machin à brochettes sur St-Denis, près de Villeray (justement), et je jouais au scrabble avec une dame âgée qui y soupait, elle, pratiquement tous les soirs. Je ne sais pas quel était le poste de radio, mais les mêmes chansons jouaient presque tous les soirs, et presque dans un ordre identique. Une des chansons du couple, fort jolie (une traduction d’un original américain, semble-t-il), passait donc très souvent; c’est la première fois que j’entendais parler d’eux.

Suzanne est morte du cancer, quelques semaines après mon père…

Évidemment, cette chanson a fait partie du programme…

Nos amis les chanteurs, premier épisode (Montréal et Québec, juillet 2017)

… Bon, j’ai pris du retard dans mon écriture… Là, je paie pour; j’ai beaucoup de chroniques à rattraper… Voyons; deux sur des concerts avec des chanteurs, une ou deux sur un décès et les funérailles subséquentes, une ou deux sur d’autres cérémonies dans la même fin de semaine, un esquissé passé douloureux… Bon, allez, au clavier, mon coco!

Ce billet-ci va parler de ma première gig d’orchestre, quelques semaines (déjà!) après mon retour de voyage.

Il y a parfois une curieuse relation entre les chanteurs et les… instrumentistes… J’ai failli écrire « les vrais musiciens »! Mais, outre la taquinerie méchante, ce petit mot illustre bien l’espèce de rivalité sous-jacente entre les deux « équipes », si j’ose dire; rivalité pas toujours dénuée d’un peu de jalousie de la part des instrumentistes, il faut bien le dire…

Jalousie basée, d’une part, sur l’antériorité de la pratique: les chanteurs « classiques » commencent parfois leurs études aussi tard que le collège ou l’université, parce que leur chant demande que la morphologie du corps soit entièrement développée, alors que nous, les instrumentistes, arrivons au même niveau scolaire nantis déjà de plusieurs années d’expérience. Alors, dans les mêmes classes, nous nous côtoyons, instrumentistes au moins un petit peu chevronnés d’une part, chanteurs et chanteuses ne sachant pas toujours de quoi il est question d’autre part, et parfois ça nous fait grincer des dents, surtout lorsque la réponse au problème insoluble pour les uns semble tellement évidente aux autres. En plus, les chanteurs et chanteuses sont formé(e)s pour assumer l’attention de toute une salle, en rayonnant en toutes circonstances; nous, non. Conséquence: aucun problème, si flagrant soit-il, ne semble jamais venir de la personne qui chante, lorsque ladite personne assume un peu trop ce rôle de vedette. Nous, ça nous énerve. Pour finir, il y a aussi les cachets, qui sont nettement plus favorables aux chanteurs solistes qu’aux orchestres qui les accompagnent…

Mais, rendu là, il faut bien dire qu’une sélection s’est déjà opérée, après les études; normalement, à l’orchestre, nous accompagnons des gens beaucoup plus solides et généralement infiniment plus aimables que ce que je viens de décrire, et c’est tout à leur honneur.

Reste que les répétitions ne sont pas toujours faciles…

Pour ce programme, composé d’airs d’opéra, il y a en tout huit solistes, soit deux sopranos, une mezzo, trois ténors et deux barytons. Dès le début de la répétition, le chef les convoque tour à tour, dans le désordre, pour tenir tout le monde un peu occupé, en alternance.

Contrairement au concert, les chanteurs, pendant les répétitions, sont tournés vers l’orchestre. Ça fait que nous pouvons mieux observer leur art et leurs manières… Ce sont tous d’excellents chanteurs, il faut bien le dire… mais la mezzo, entre les moments où elle chante magnifiquement un air orné d’une quantité incroyable de vocalises, par ailleurs magistralement et suavement exécutées, la mezzo, disais-je, mâche une chique de format olympique… « J’ai une gomme! », proclame-t-elle, comme si tout le monde ne l’avait pas remarquée. Je repense à mon père et à son dédain, que dis-je, dégoût, pour ces machins… Il aurait fait une crise d’apoplexie!

Il y a le baryton qui chante cet air si populaire, si universellement connu, à pleins poumons… Les chanteurs de concert ou d’opéra ont beaucoup de puissance; c’est aussi douloureux pour nous que d’endurer des trombones ou une batterie, croyez-moi! Et parfois, ils font des petits concours, on ne sait pas trop pourquoi: incertitudes momentanées pour cause de retour de vacances, crise de m’as-tu-vu, apprentissage ou redécouverte d’un texte peu familier? Toujours est-il que lorsque le même baryton et un des ténors commencent leur splendide duo, nous nous demandons quelle nuance peut bien être écrite dans leurs partitions; nous, nous avons « pianissimo » mais les oreilles nous frisent encore devant leurs « fortissimo » intense.

Le même ténor, qui souffre d’un déficit d’attention diagnostiqué (rapporté par une des soprani), est parti à la pause, oubliant de répéter un de ses airs… Un autre ténor chante son air « fortissimo » du côté des violons, épargnant relativement les basses, pour une fois.

… J’ai l’air de grincer des dents… Y a-t-il eu de beaux moments? Oui: d’abord, il y a très peu de Verdi dans ce programme, ce qui est une bonne nouvelle pour les instrumentistes. Verdi, c’est un peu comme Chopin ou Paganini: autant la mélodie est superbe, autant les accompagnements sont souvent monotones ou vides. Ensuite, il y a de très beaux airs, dont un splendide duo de Mozart, en plus des autres évoqués jusqu’ici, plus Bizet, Puccini et quelques grands favoris…

Mais tout ça ne prend son sens qu’au moment du concert, il faut bien le dire. Après une brève dernière répétition/prise de son, car le concert va avoir lieu en plein air, répétition essentiellement orientée sur les pièces d’ensemble (quelques duos, un trio, un sextuor), puis après le souper, nous arrivons enfin sur scène pour le concert.

Premier constat: il fait froid! Plusieurs musiciens restent en coupe-vent, une des chanteuses fera la remarque qu’il y a quand même une injustice envers les femmes dans ce genre de concert, alors qu’elle se présente en robe bustier devant un parterre rempli de gens en manteaux… On dirait un festival d’hiver, alors que nous sommes fin juillet!

Second constat: je peux bien chialer devant les petits travers des chanteurs et chanteuses en répétition, reste qu’il faut du courage en chien pour aller s’exposer comme ils le font, devant un public si nombreux, en mettant leur carrière en jeu à chaque fois: ils sont à un craquement de voix de la fin, dans un sens… On peut bien leur pardonner un petit moment de cabotinage… Ils savent susciter des vagues d’émotions dans le public, vagues sur lesquelles ils surfent avec aisance, voire avec élégance…

Il faisait trop froid, alors le chef a retiré une des pièces du programme; c’est vraiment bien tombé: il a commencé à pleuvoir juste vers la fin du rappel!