Troisième article sur Gilles Tremblay. Voici les liens vers les autres:
http://nicolas-cousineau.com/2017/08/08/gilles-tremblay-1932-2017-ii-cedres-en-voiles/
Après l’accident vasculaire cérébral, Gilles a regagné de la santé, de la parole, de la mobilité… mais pas totalement. Parfois, j’entendais encore la voix du Maître, celle de Monsieur Tremblay, comme pendant pratiquement tout le retour depuis Québec. Il y avait des retours surprenants, comme cette fois où Philippe Mius d’Entremont, Vincent Fournier-Boisvert et moi sommes allés improviser pour Gilles… Et avons eu la surprise que Gilles, à son tour, lance une autre improvisation! Beaucoup de plaisir, ce matin-là. Cela dit… Avec les années, les moments de cette voix se sont faits plus rares.
Avec les années, la maison des Tremblay a commencé à montrer des signes de décrépitude, elle aussi: la peinture écaillait ici et là, les chaises de la salle à manger creusaient de plus en plus, le mortier du balcon s’effritait… Ni Gilles ni Jacqueline ne pouvaient plus s’en occuper. Oh, ils avaient bien de l’aide, des enfants et de Gaëtan (merci pour tout, encore, Gaëtan, même si ce ne sont pas mes parents), mais ce n’était pas assez.
Puis, la mobilité des parents diminuant encore (je me souviens qu’ils ont été les premiers, avec leur fils cadet, Guillaume, à venir au salon funéraire, lorsque mon père est mort; j’étais content de les voir et, même si c’était relativement près de chez eux, frappé qu’ils aient pu se rendre à pied), les enfants se sont rendus finalement à la décision de vendre la maison et de placer les parents dans une résidence où ils pourraient recevoir les soins et l’attention nécessaires à leur état… Ma dernière visite dans cette maison a eu lieu lors d’un passage d’Emmanuel, pendant que tout allait être vidé. Il m’a donné quelques livres, quelques souvenirs… Je voyais pour la dernière fois le piano Steinway doré avec des moulures, la grande table, les recoins mystérieux, les gigantesques collections de livres (!!!)… Dernier souper dans cette maison, alors que Gilles et Jacqueline n’y habitaient déjà plus (le dernier souper en leur présence auquel j’aie participé était pour le 80e anniversaire de Gilles).
Dans la résidence, il y avait tout de même un piano dans leur appartement, et Gilles avait encore sa collection de gongs. J’allais les voir essentiellement lors des passages d’Emmanuel. Gilles entendait moins bien, Jacqueline perdait la mémoire… Puis ils ont eu besoin de plus de soins encore, et il y a eu un autre déménagement, à un autre étage de la même résidence.
Dans ces années, je jasais souvent de musique avec Eugénie, une de mes amies musiciennes. Elle me parlait de son retour aux études, de mon enseignement, qu’elle voyait depuis un moment à titre d’accompagnatrice de certains élèves d’une de mes classes, de ma connaissance de la musique… Je lui disais que mes connaissances n’étaient rien, que j’avais eu le privilège de côtoyer d’authentiques grands Maîtres, Fouquet, Pierri, Müller, Berger (le violoncelliste, pas le compositeur), Meunier, Vaillancourt… Tremblay…
Sur les entrefaites, nous avions de disponibles quelques pièces que j’avais enseignées ou jouées dans d’autres cadres ou pour le plaisir; j’ai organisé une petite séance pour les Tremblay, au cours de laquelle nous avons joué Après un rêve de Fauré et la Louange à l’éternité de Jésus de Messiaen. Gilles nous a écoutés attentivement, puis n’a pas immédiatement fait de commentaire.
Après un moment, Eugénie lui a demandé: « Est-ce que ça vous fait repenser au temps avec Messiaen? » Il a répondu: « Vous faites entendre ce que le compositeur n’a pas écrit dans la partition. » C’est la dernière fois que j’ai entendu la voix de Monsieur Tremblay. Je suis encore ému, juste de l’écrire.
Je l’ai revu, quelques fois par la suite, j’ai rejoué, seul ou en duo avec Emmanuel… Lundi le 17 juillet, Emmanuel étant en ville, je suis allé le voir et visiter ses parents. Après le souper, Emmanuel a conduit Gilles au piano électrique de la salle à manger de la résidence. Gilles a improvisé, à une main puis à deux, un genre de contrepoint à trois voix… Nous sommes montés sur la terrasse, Emmanuel, ses parents et moi, puis Gilles a été fatigué; nous sommes redescendus et il est allé se coucher. J’ai attendu une minute ou deux de trop, avant d’aller le saluer: il dormait déjà.
Je vais parler des funérailles dans un autre billet, finalement…